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ZW1NGLI. PERIODE EUASMIENNE


traité de luthérien par ses adversaires, il déclare que personne en Suisse n’avait entendu parler de Luther, lorsque lui-même « avait commencé, en 1516, à prêcher l’Évangile du Christ ». Opéra, t. ii, p. 144. Un peu avant, dans son Apologeticus Archeteles, adressé à l’évêque de Constance, les 22-23 août 1522, il affirmait qu’il y avait « environ six ans » qu’il avait pris la résolution de faire fructifier le talent que Dieu lui avait confié. Ibid., t. i, p. 256. Mais voici, à ce sujet, un témoignage moins connu et venant de Luther lui-même. Il est tiré des Propos de table : « Quand nous étions à Marbourg, raconte Luther, celui-là (Zwingli) parlait toujours en grec. En son absence, je dis : Comment n’a-t-il pas honte de parler grec, en présence de tant de savants hellénistes, Œcolampade, Philippe (Mélanchthon), Osiander, Brenz ? Ils le savent pourtant mieux que lui ! » Ces paroles lui furent rapportées. Le lendemain, il se justifia devant le prince (landgrave de Hesse) en ces termes : « Illustre prince, je parle souvent grec, car voici treize ans que j’ai commencé à lire en grec le Nouveau Testament. » Luthers Tischreden in der Mathesischen Sammlung, édité par E. Kroker, Leipzig, 1903, p. 121. Or, le Colloque de Marbourg est de 1529. Les treize ans de Zwingli nous ramènent une fois encore à 1516. Cette date est donc un vrai « tournant » dans la vie de ce personnage. Mais que s’est-il donc passé, en 1516, qui explique l’importance de cette année fatidique pour son évolution ? C’est ce que nous allons essayer de dire, mais en prenant un nouveau point de départ, car nous entrons dans une nouvelle période de la vie de Zwingli

II. PÉRIODE DE RÉFORMISME ÉRASMIEN (1516-1522).

— Trois événements principaux, dont deux d’ordre extérieur et le troisième d’ordre très intime, nous semblent avoir marqué, pour Zwingli, l’année 1516. 1° En premier lieu, l’année 1516 est celle de la publication par Érasme du Nouveau Testament en grec, Novum instrumentum omne, diligenter ab Erasmo Rot. recognitum et emendatum, à Bâle, chez Jo. Frobenius, février 1516. Or, ce fut pour Zwingli une véritable révélation. Depuis 1513, il s’adonnait à la langue grecque. C’est de 1514 à 1515, qu’il s’est pris de vénération et d’admiration pour Érasme. Il prétendra plus tard, en 1523, qu’il y avait huit ou neuf ans qu’il était arrivé à cette ferme conviction « qu’il n’y a qu’un seul médiateur entre Dieu et nous, à savoir le Christ » et qu’il avait appris cela notamment d’Érasme, ce qui paraît vraiment extraordinaire, car on se demande en quels autres théologiens qu’Érasme il aurait pu trouver une doctrine contraire I « J’ai lu alors, dira-t-il, une belle et touchante poésie latine du savant Érasme de Rotterdam, dans laquelle Jésus se plaint qu’on ne cherche pas tout secours en lui seul, bien qu’il soit la source de tout bien, l’unique Sauveur, la consolation et le trésor des âmes. » Et ce serait alors qu’il se serait jeté uniquement dans l’Écriture et les Pères. Il avait déjà dit la même chose dans un écrit daté du 6 septembre 1522 : De la clarté et de la certitude de la parole de Dieu : « Il y a sept ou huit ans que j’ai commencé à me donner tout entier à la sainte Écriture. » Opéra, t. i, 379. Ce fut donc avec une ardeur enthousiaste qu’il se plongea dans la lecture du Nouveau Testament en grec, publié par Érasme. La lettre dont nous avons cité un passage plus haut, en date du 29 avril 1516, est l’un des témoignages de sa ferveur. Il voit en Érasme « l’homme qui a le plus mérité des lettres et des mystères de l’Écriture sainte », — « celui qui est tellement embrasé de charité envers Dieu et les hommes que tout ce qui touche aux lettres le touche lui-même », — « celui pour qui tous doivent prier,

pour que Dieu le conserve, pour que les saintes Lettres qu’il a arrachées à la barbarie et à la sophistique puissent grandir jusqu’à l’âge mûr et ne soient point privées dans leur enfance d’un tel père ». Ibid., t. vii, p. 36.

Visiblement, Zwingli est sous le coup d’une émotion durable. Au surplus, les livres qui ont été conservés de sa bibliothèque sont remplis de notes marginales de sa main, qui attestent le soin passionné avec lequel il a scruté le Nouveau Testament édité en grec par Érasme. Mieux que cela, nous savons qu’il apprit par cœur, en grec, presque toutes les épîtres de saint Paul et des autres apôtres. Le musée de la ville de Zurich conserve une copie manuscrite de la main de Zwingli du texte grec du Nouveau Testament, soigneusement daté de 1516-1517, et du reste admirablement calligraphié. Il est donc tout entier adonné à Érasme. Voilà pourquoi il lui dit qu’il est désormais son « esclave ». Il ne jure que par lui. Il ne veut suivre et imiter que lui. Il est érasmien tout entier. Par là même, il est réformiste, car Érasme vise à la réforme de l’Église par la réforme des études théologiques et bibliques, par la critique des abus ou des déviations de la vie catholique, par le sarcasme ou l’ironie contre la scolastique, contre la fausse dévotion monacale, sans toutefois accepter pour autant de se séparer de l’Église. Ce réformisme érasmien n’est donc pas encore révolutionnaire. Il s’apparente, avec des différences très nettes cependant, au réformisme fabriste, celui de Lefèvre d’Étaples et du prochain « Groupe de Meaux ». Voir ici Lefèvre d’Étaples, t. ix, col. 132 sq.

2° En second lieu, l’année 1516 est, pour Zwingli, l’année du Concordat de Bologne entre François I er et Léon X. Nous avons vu qu’il avait fait campagne, dans son pays, contre l’alliance avec la France et pour l’alliance avec le pape. Or, voici que le pape en personne a eu avec le roi de France une entrevue, en décembre 1515, et qu’un traité en règle est intervenu, peu après, entre les deux princes. Du coup, le zèle de Zwingli pour la cause papale se trouve refroidi. Dans son Labyrinthe, qui est de 1516, on l’a dit, le symbole de la papauté est un lion borgne, allusion évidente au pape régnant Léon X (en latin Léon et lion sont le même mot), dont la myopie était fort connue. Or, ce symbole est donné par l’auteur comme aussi redoutable que les autres. Il condamne sans réserve le principe même de la guerre mercenaire suisse. « Pour une vaine gloire, dit-il, nous donnons notre vie et cupidement nous pillons le prochain et violons tous les droits de la naturel… D’autre part, le roi de France, vainqueur à Marignan et maître du Milanais, négocie une nouvelle alliance avec les Suisses. Ses offres sont alléchantes. De la part des chefs des cantons, c’est la course aux pensions et aux gratifications françaises. Le parti français est tellement fort, à Glaris même, la paroisse de Zwingli, que, dégoûté de voir ses conseils si peu suivis, il se décide à répondre à l’appel de Diebold von Geroldseck, administrateur du célèbre pèlerinage d’Einsiedeln, qui lui propose le poste de prédicateur du peuple, dans cette ville (14 avril 1516). En vain ses paroissiens de Glaris essaient-ils de le retenir. Il reste à leur prière jusqu’au 26 novembre et consent à demeurer leur curé nominal, avec un vicaire pour le remplacer, arrangement qui durera jusqu’à sa nomination à Zurich, en décembre 1518, mais son opposition à la France et à l’alliance française ne lui permet plus, pense-t-il, de faire œuvre utile au milieu d’eux. Il est clair qu’un certain éloignement se produit dans son esprit, à l’égard de la papauté en général. Et cela aussi faisait partie du réformisme érasmien ou fabriste, sans conduire encore au schisme proprement