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ZINZENDORF. DOCTRINES

son enfance, convaincu que la « religion du cœur » est la seule indispensable et qu’en elle toutes les branches religieuses, qu’il nommait bizarrement les tropes religieux, pouvaient s’entendre, en dépit des différences dogmatiques. Il dut être puissamment encouragé par Jablonsky, dans ses idées. Il eut la pensée d’être, lui, le centre de réconciliation de tous les chrétiens. Il fit admettre par les siens que l’Église du Christ contient tous ceux qui, par la foi et l’amour, sont membres du corps dont Jésus est la tête, mais qu’il peut y avoir des « tropes » différents : luthérien, calviniste, morave. Il aurait volontiers ajouté : catholique !

En 1741, il réunit à Londres un synode morave. On y conféra au Christ le titre de « Ancien-Général », que l’on avait donné peu auparavant à un frère morave, placé ainsi au-dessus de tous les « anciens » de la communauté. Ancien étant la traduction de prêtre, le titre donné ainsi au Christ, équivalait à celui de « Prêtre universel ». Zinzendorf fut proclamé Scharnier, c’est-à-dire charnière de la chrétienté générale ! Il songeait alors à partir en personne pour les missions, et il avait déposé son titre d’évêque, pour n’être auprès des païens que « frère Louis ». Il n’y obtint du reste qu’un médiocre succès et en revint dès 1742. En son absence, la communauté avait plutôt cherché à se faire reconnaître comme corps religieux légal indépendant et elle y avait réussi, en Prusse et dans le Wetterau. À peine rentré, Zinzendorf combattit cette tendance qui allait contre ses projets de fusion des Églises et il se fit nommer « serviteur plénipotentiaire de la communauté », ce qui lui donnait des pouvoirs de dictateur. Ce fut surtout alors qu’il établit, dans ses groupes, ce qu’il nommait des tropes éducatifs, τρόποι παιδείας, correspondant aux divers Credos des Églises. Son système fut approuvé au synode morave de Marienborn (1745), ainsi que la doctrine si chère à son esprit de la « religion du cœur », Herzensreligion.

En octobre 1747, le ministère de Brühl, en Saxe, lui accorda l’autorisation de rentrer dans le pays. On lui octroya toute liberté ainsi qu’aux siens, sous la condition de l’observation de Y Augustana. Cela ne l’empêcha pas de continuer ses voyages. En Angleterre, un acte du Parlement, en date du 12 mai 1749, reconnaissait l’Église épiscopale morave sous le titre officiel à’Unitas fratrum. De 1749 au milieu de 1750, puis de 1751 à 1755, il réside à Londres, où il trouve un champ plus favorable à ses idées et dont il songe à faire le centre de ses créations. Il revient toutefois en 1755 en Saxe. Il s’y trouve aux prises avec d’énormes difficultés financières. Il s’est ruiné pour les moraves. Il a fait de grosses dettes, que son Église mettra quarante ans à payer. II a perdu, à quinze ans, un fils en qui il mettait tout son espoir pour l’avenir de son Église (1752). Il perd sa femme très aimée en 1756 et se remarie, en 1757. Enfin, il expire le 9 mai 1760, en disant ces fières paroles : « Je suis tout dévoué à la volonté de mon Seigneur et II est content de moil »


III. Doctrines.

La religion du cœur.

Ainsi qu’on l’a vu tout au long de ce qui précède, l’idée fondamentale de Zinzendorf et ce qui fait de lui un précurseur remarquable de Schleiermacher, c’est qu’il pose nettement en face de la théologie de l’école, la théologie du cœur. Il croit que dans l’homme les facultés d’intelligence et de volonté ne sont qu’à la surface, tandis que la faculté de fond, celle d’où toute activité part dans l’homme, celle dont dépend toute la vie, c’est le cœur. Sans qu’il s’explique sur cette faculté, il est clair qu’il n’y faut pas voir seulement une faculté de sentiment, mais bien plutôt ce que nous appelons aujourd’hui, après les explications bergsoniennes, l’intuition, l’élan de tout l’être vers le vrai, le beau, le bien. La théologie du cœur, pour Zinzendorf est avant tout la religion du Sauveur. Jésus-Christ est tout pour lui. C’est en lui seul qu’il trouve Dieu. L’union à Jésus n’est pas seulement pour lui un moyen d’aller à Dieu, c’est l’union à Dieu même. Écoutons-le s’expliquer lui-même, dans l’exposé suivant de son biographe et ami Spangenberg : « Je pris (tout enfant), la ferme résolution et je l’ai toujours, d’être athée ou de croire en Jésus ; de considérer un Dieu qui se révélerait à moi en dehors de Jésus-Christ et non par Jésus, soit comme une chimère, soit comme un misérable démon ; de tenir pour néant toute théologie qui, dans cette économie où je vis, n’a pas son origine en Jésus venu dans sa chair, dans sa passion et sa mort ; de regarder tout théologien chrétien qui ne pourrait me comprendre sur ce point dans les vingt-quatre heures, comme un fou et un aveugle. Je m’en tiens là à tout risque. Mon thème est : Sans le Christ, pas de Dieu dans le monde ! Spangenberys Apologetische Schlussschrift, quæstio 62.

En pleine réaction contre son siècle, contre les philosophes déistes et contre les adversaires de l’Évangile, il veut donc que l’on mette au premier rang de l’enseignement religieux et de tout enseignement de la jeunesse l’histoire du Sauveur, sa vie terrestre, ses miracles, surtout ses souffrances, sa mort et sa résurrection. C’est cela qui est pour lui la grande révélation de la divinité. C’est en vain que l’on cherche Dieu, avec les déistes, avec un Voltaire par exemple, dans le spectacle de la nature, dans l’admiration pour « l’horloge » si bien montée qu’est le monde et qui ne peut s’expliquer sans un « horloger ». On ne peut s’enthousiasmer, pense-t-il, pour un horloger. On s’enthousiasme, au contraire, pour un frère, pour un ami, pour un Sauveur mort pour vous sur une croix. On sent si bien son cœur qu’on est contraint de lui donner son cœur ! Depuis son enfance, Zinzendorf a eu la plus touchante dévotion aux souffrances du Christ, à sa passion, à son précieux sang, à ses plaies sacrées, en tant que sources de toute rédemption. Par suite, il avait aussi une tendre dévotion à l’eucharistie, où ce sang est reproduit, retrouvé, reçu. C’est par ce don du corps et du sang, que Jésus nous unit à lui. L’Église, en tant qu’épouse du Christ, est née, comme Eve du côté d’Adam, de la plaie ouverte du Cœur de Jésus en croix. Zinzendorf a embrassé avec ferveur, sans l’avouer, la dévotion catholique au Sacré-Cœur. Les théologiens protestants lui ont reproché d’avoir presque isolé de la personne du Christ, le côté blessé de Jésus, pour en faire l’objet de sa piété. « Le culte du Christ dégénère, disent-ils, en culte du Côté, Pleurakultus. » Zinzendorf a également mis en grand relief la doctrine paulinienne du mariage chrétien fondé sur l’union du Christ et de l’Église et sur la mort du Christ pour son Église, Eph., v, 25, 31, 32.

Cette préoccupation d’attirer l’attention exclusive sur Jésus-Christ semble parfois friser l’antique modalisme patripassien. Jésus est bien le Père qui a vécu et qui est mort pour nous. C’est le Créateur. C’est l’unique vrai Dieu pour les telluriens que nous sommes. Zinzendorf pousse la bizarrerie jusqu’à dire que Dieu le Père n’est pour nous que « ce qu’on appelle dans le monde un beau-père ou un grand-père ». Un passage de ses œuvres va mettre en évidence sa pensée sur ce point : « Le grand dessein général (Hauptplan) de uotre religion, au total, est que nous croyions historiquement que le Créateur de l’univers, que le Père de l’éternité, est né d’une simple Vierge qui n’a jamais connu aucun homme, et qui, ombragée par l’Esprit-Saint, a réellement enfanté le Salut du monde, de son propre corps, et que cet Enfant qui fut le sien, non pas de façon mystique ni hiéroglyphique, mais en toute réalité, a grandi en force corporelle et spirituelle, puis en diverses formations extérieures, en travaux et en difficultés, a mené la vie la plus simple