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YVES DE CHAKTRES — YVES DE PARIS


trop zélés, du grief d’hérésie. On a dit à l’art. Pascal II, t. xi, col. 2061 sq., les tragiques événements de 1111, la concession faite par le pape à l’empereur Henri V de l’investiture laïque, l’émoi que suscita parmi les intransigeants l’abandon du pape, la révolte des grégoriens dont plusieurs envisagèrent comme nécessaire la déposition du pape « hérétique ». Dans ces conjonctures, c’est Yves qui sut faire prévaloir en France les avis de la prudence et de l’orthodoxie sous la plume de son métropolitain Daimbert, archevêque de Sens, écrivant à Josseran, archevêque de Lyon : « L’hérésie ne peut êlre qu’une erreur dans la foi. Mais cette investiture, dont on fait tant de bruit, n’est point une fausse persuasion qui s’est glissée dans le cœur, c’est un geste qui n’a que la signification qu’on veut lui donner : in solis est manibus dantis et accipientis, qu.se. bona et mala agere possunt, credere vel errare in fide non possunt… Évidemment, si un laïque en venait à ce point d’insanité qu’il pensât pouvoir donner, par la crosse, le sacrement ou la res sacramenti, à coup sûr nous le jugerions hérétique, non point à cause du geste qu’il fait, mais à cause de sa présomption diabolique. Mais si nous voulons désigner les choses par leur vrai nom, nous dirons que l’investiture pratiquée par les laïques est une intrusion et une présomption sacrilège ; pour la liberté et l’honneur de l’Église il faudrait que, demeurant sauf le lien de la paix, elle soit entièrement abolie. Là où elle peut se supprimer sans schisme, qu’on la supprime ; là où elle ne peut disparaître sans schisme, que l’on attende en faisant de discrètes réclamations. Cette intrusion n’enlève rien aux sacrements ecclésiastiques. » Epist., ccxxxvi, col. 242.

A quelque temps de là paraissait en France un opuscule intitulé Defensio Paschalis papæ (dans Libelli de lite, t. ii, p. 658 sq.) qui donnait aux idées de l’évêque de Chartres leur dernière précision. L’auteur inconnu condamnait avec véhémence le principe même de l’investiture laïque ; l’idée que le pouvoir civil pourrait intervenir dans la transmission des droits spirituels lui paraît abominable et même hérétique. Mais, tout comme Yves, il ne laisse pas de reconnaître au souverain laïque un droit de regard sur la transmission des biens et des droits temporels. Il emploie même la distinction célèbre qui devait prendre place dans les conventions de Worms de 1122 : l’investiture par la crosse et l’investiture par le sceptre. Cette solution raisonnable dérive en droite ligne des principes d’Yves de Chartres. Si le grand évêque est mort trop tôt pour voir le triomphe définitif de ses idées, on ne peut lui refuser l’honneur d’avoir, par son action courageuse, préparé l’acte qui donnerait provisoirement la paix à l’Église et formulé dans ses écrits des maximes de concorde entre l’Église et l’État. S’il a été plus tard exploité par des théoriciens du gallicanisme, comme en témoigne la Defensio declarationis de Bossuet, il convient de rappeler l’hommage que lui a rendu Léon XIII, en citant un passage d’une lettre d’Yves à Pascal II (Epist., ccxxxviii) dans l’encyclique Immortale Dei.

I. Sources.

Elles sont essentiellement constituées par les œuvres d’Yves de Chartres. L’œuvre canonique a été publiée la première : d’abord la Panormie par Sébastien Brant, Baie, 1499, et par Melchior de Vosmedian, Louvain, 1557, puis le Décret par Jean du Moulin, Louvain, 1561, et par F. J. Fronteau, Paris, 1647 ; la Correspondance, par F..Turet, Paris, 1585, reprise par le même en 1610, par Fronteau, en 1647, enrichie de notes par J.-B. Souchet, chanoine de Chartres. Les Serinons ont été publiés d’abord par le célèbre liturgiste, Melchior Hittorp, qui fit entrer les 21 premiers dans son recueil d’anciens écrits sur la liturgie, Cologne, 1568 (Rome, 1591 ; Paris, 1624). Ils sont passés dans l’édition générale des œuvres d’Yves, donnée par Fronteau, Paris, 1647. Cette édition générale fut aussi

revendiquée par J.-B. Souchet. C’est elle qui est reproduite dans P. L., t. clxi, col. 47-1344, et clxii, col. 11-610. Il n’y a pas eu d’éditions récentes, mais des lettres ont été réimprimées, traduites ou découvertes. Signalons au moins l’édition des lettres ix et ccxxxvi par Sackur, dans Libelli de lite, t. H, p. 640-654 ; L. Merlet, Lettres d’Yves de Chartres et d’autres personnages de son temps, dans Bibliothèqw de l’École des Charles, t. xvi, 1855, p. 443-471, avec traduction française ; Lettres de saint Ives, eu. de Chartres, traduites et annotées par L. Merlet, Chartres, 1885 et plus récemment, F.-S. Schmitt, Trois lettres inconnues d’Yves de Chartres, dans Rev. bénéd., t. l, 1938, p. 84-88 ; G. Œsterle, Ivonis Carnutensis epist. incognilæ, dans Archivto di dirito eccl., il, 1940, p. 56 et 205. Ajoutons qu’une édition des lettres d’Yves, avec traduction française, est préparée par J. Leclercq, dont nous avons signalé plus haut l’étude relative au recueil épistolaire de l’évêque de Chartres ; elle paraîtra dans la collection Les classiques de l’histoire de Fronce au Moyen Age.

IL Travaux. — L’œuvre canonique d’Yves a été étudiée dans les travaux suivants : P. Fournier, Les collections canoniques attribuées à Yves de Chartres, dans Bibl. de l’École des Chartes, t. lvh et LVlri, 1896 et 1897 ; du même, Yves de Chartres et le droit canonique, dans Revue des questions historiques, t. lxiii, 1898, p. 51-98 et 384-405 ; P. Fournier et G. Le Bras, Histoire des collections canoniques en Occident, Paris, 1932, t. ii, p. 55-114 ; F. Bliemetzrieder, Zu der Schriften Ivos von Chartres, dans les Silzungsberichte de l’Académie de Vienne, Phil.-hist. Klasse, t. clxxxii, 1917 ; A. Esmein, La question des investitures dans les lettres d’Yves de Chartres, dans Bibl. de l’École des Hautes-Études. Sciences religieuses, t. i, 1889, p. 139-178.

Son intérêt théologique a fait l’objet de plusieurs aperçus, notamment : J. de Gheliinck, Le mouvement théologique du XII’siècle, Paris, 1914 ; 2° éd., 1948 ; L. Ott, Untersuchungen zur theologischen Briefliteratur der Frùhscholastik, Munster in W., 1937, p. 26-33.

Les rapports entre l’œuvre d’Yves et l’école théologique d’Anselme de Laon ont été mis en lumière dans plusieurs articles des Rech. de théol. anc. et mèdiéo., par F. Bliemetzrieder, t. i, 1929, p. 435-483, par H. Weisweiler, t. iv, 1932, p. 237-269 et 371-391, et plus récemment par O. Lottin, Nouveaux fragments théologiques de l’école d’Anselme de Laon ; voir les Conclusions et Tables des articles de cet auteur, t. xiv, 1947, p. 157-185.

L’action historique de l’évêque de Chartres est évoquée dans tous les ouvrages qui traitent de la seconde phase de la Querelle des investitures ; le plus récent est celui d’A. Fliche (dont nous avons déjà signalé l’ouvrage sur Philippe I er), La réforme grégorienne et la reconquête chrétienne (1057-1123) (= Fliche et Martin, Histoire de l’Église, t. viii), Paris, 1940, où nombre de pages sont consacrées à Yves, avec indication d’ouvrages plus anciens. É. Amann et L. Guizard.


YVES DE PARIS, capucin du xvir 3 siècle. — Il est né à Paris vers 1590. De sa famille, de son éducation, de ses études, l’on ne sait à peu près rien. Il dut faire de bonnes humanités, voyagea sans doute en Italie où il connut, pour la combattre, la philosophie aristotélicienne et naturaliste des Padouans, où il connut aussi, mais pour l’adopter, du moins en partie, le platonisme de Florence. Il fit ensuite son droit à l’université d’Orléans, puis fut inscrit comme avocat au Parlement de Paris. Il resta dans le monde jusqu’en 1620 ; à cette date, sans qu’on sache pourquoi, il entra dans l’ordre des frères mineurs capucins. En raison de son âge et de la formation philosophique déjà reçue, il commença aussitôt ses études théologiques et fut ordonné en 1632, à quarante ans.

Aussitôt, il dut prendre la plume pour défendre la vie religieuse menacée. C’était l’époque des grandes batailles entre réguliers et séculiers. Déjà en 1625, plusieurs évêques, celui de Langres, celui de Poitiers et celui de Léon, s’étaient trouvés en conflit avec les religieux de leur diocèse, et l’assemblée du clergé de France avait essayé de promulguer un règlement des réguliers. Puis était survenue l’affaire des jésuites d’Angleterre et de leurs livres condamnés par la Sorbonne. A ce moment Jean-Pierre Camus, disciple