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YVES DE CHARTRES

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tangible que, sur nombre de points, la législation canonique était loin d’être uniforme et que bien des prescriptions contenues dans les auteurs se contredisaient. Sans avoir encore essayé ce que Gratien ferait un demi-siècle plus tard, une concordia discordanlium canonum, Yves posa du moins les principes qui permettraient un jour de tenter une synthèse des auctoritales. En tête de la Panormie figure un Prologue, qui se retrouve d’ailleurs également en tête du Décret, cf. P. L., t. clxi, col. 47-60 et col. 1041-1046, et qui existe aussi à l’état isolé dans certains mss., tant sa vogue a été grande au début du xiie siècle ; ce célèbre Prologue annonce en effet celui du Liber de misericordia et juslitia d’Alger de Liège ou du Sic et non d’Abélard, en matière d’interprétation des textes.

Un demi-siècle avant saint Bernard — qui semble, en plus d’un point, tributaire d’Yves de Chartres — il donne une théorie assez poussée de la loi et de la dispense. Yves ne se dissimule pas le fait que les auctoritates rassemblées par lui semblent parfois se contredire : l’essentiel est d’abord de bien se rendre compte quid secundum rigorem, quid secundum moderationem, quid secundum judicium, quid secundum misericordiam dicatur. Col. 47 C. « La législation ecclésiastique a pour but essentiel de donner à l’Église son armature ou de la restaurer si elle a été entamée de quelque côté. Or, la grande loi de ce travail, c’est la charité toujours attentive au salut du prochain. Aussi le docteur qui interprète et au besoin modère les règles ecclésiastiques en se fondant sur l’esprit de charité ne pèche pas, ne se trompe pas, quand il prend comme principe régulateur le salut des fidèles. » Aussi bien faut-il distinguer entre les préceptes. Les uns sont invariables, ceux qu’a sanctionnés la loi éternelle, ainsi les commandements du décaloguc ; les autres sont variables, ceux que la loi éternelle n’a pas sanctionnés, mais que le zèle des chefs a imaginés pour aider les fidèles à faire leur salut, quas lex œterna non sanxit, sed posteriorum diligentia ratione utilitatis invenit, non ad salutem principaliter obtinendam sed ad eam tutius muniendam. Col. 50 A. Telle la loi qui destitue de la cléricature celui qui est astreint à la pénitence ; telle l’interdiction faite par Notre-Seigneur de toute espèce de serment. Eh bien ! pour les premiers préceptes, il n’est pas de dispense possible, qu’ils soient positifs ou négatifs. Les seconds au contraire admettent la dispense : In his quæ propter rigorem disciplinæ, vei muniendam salutem posteriorum sanxit diligentia, si honesta vel utilis sequatur rompensalio, potest præccdcre auctoritale præsidenlium diligenter deliberata dispensatio. Col. 51 A.

L’Évangile, aussi bien que l’histoire ecclésiastique, fournit de nombreux exemples à l’appui de ce principe : Paul par exemple fait circoncire Timothéc en dépit de la loi apostolique qui interdisait ce rite, et tant d’autres faits que les annales ecclésiastiques rapportent. Et cela explique les décisions différentes données par exemple dans la question des ordinations faites en dehors de l’Église. C’est avec la même discrétion que les papes ont procédé dans la question des translations épiscopales : celles-ci avaient été strictement interdites par les apôtres et par les canons, pourtant certains papes les ont permises pour un plus grand bien de l’Église. Col. 54 D. D’autres avaient interdit que les fils « le prêtres fussent élevés au sacerdoce, mais le bien même de l’Église a fait donner sur ce point nombre de dispenses. Tout et II se justifie par un mot de saint Léon qui est de QO.pl tale importance : « Quand il n’y a point de néct que l’on ne touche pas aux règles des Pères ; mais, quand il y a nécessité, quo, pour l’utilité de l’Église, celui-là en dispense qui possède l’autorité : la nécessité amène le changement de lu loi. > Ubl vero neeessilat

fueril, ad ulilitalem Ecclesiæ qui potestatem habet eu dispenset. Ex necessitate enim filmulatio legis. Col. 57 A.

Que l’on applique ces principes d’interprétation a l’affaire des investitures laïques et l’on en arrive a cette conclusion que l’évêque de Chartres finira par exprimer clairement : Les prohibitions grégoriennes ont été prises pour le bien de l’Église ; l’essentiel est de sauvegarder les principes qui mettent en sûreté la constitution de l’Église ; mais n’est-il pas possible d’arriver à ce résultat sans bouleverser des habitudes qui se justifient partiellement et qui, raisonnablement interprétées, mettent seulement en évidence les liens vassaliques entre l’évêque, seigneur temporel, et le roi son suzerain ? Yves n’est pas arrivé dès l’abord à mettre bien au clair ce complexe d’idées, mais il est assez remarquable que, dans toute son œuvre canonique, il ne dise rien sur l’interdiction de l’investiture laïque, plus remarquable encore qu’il n’ait pas craint d’insérer dans ses recueils les textes qui faisaient une place à l’empereur dans l’élection du pape.

On était alors dans les premières années d’Urbain II et ce pape, qui avait formulé lui-même le principe de la dispense, évitait par politique tout ce qui pouvait le mettre en conflit avec les souverains autres que Henri IV. Mais, au fur et à mesure qu’il sentait sa situation s’affermir, le pape redevenait plus exigeant. Au concile de Clermont (novembre 1095), le canon 17 interdisait aux évêques et clercs de prêter au roi ou au seigneur le serment féodal, ce qui dépassait même les prohibitions grégoriennes. Le légat permanent du Saint-Siège en France, Hugues de Lyon, prenait au pied de la lettre les défenses du pape. En 1097, il s’opposa à la consécration de Daimbert, élu archevêque de Sens, parce que celui-ci. comme nous l’avons vii, refusait de reconnaître la priinatic lyonnaise et qu’il avait reçu l’investiture de son évèché de la main du roi. Saisi par les chanoines de Sens, Yves écrivit à Hugues une lettre célèbre : non seulement il y contestait la réalité des droits primatiaux que s’arrogeait l’archevêque de Lyon, mais il exprimait clairement ses idées sur l’investiture royale :

Quant à ce que vous nous dites de l’investiture que l’élu aurait reçue de la main du roi, ce fait nous est inconnu. Se serait-il produit, comme l’investiture n’a dans l’ordination de l’évêque aucune action sacramentelle, nous ignorons en quoi son adjonction ou son omission importe à la foi ou à la religion, car nous voyons que les rois n’ont guère été empêchés par l’autorité apostolique de concéder des évêchés à la suite d’une élection régulière. Nous lisons même que des souverains pontifes de sainte mémoire ont parfois intercédé auprès des rois en faveur des élus des Églises pour que l’évcché fut concédé par ers rois, qu’ils ont différé certaines consécrations, panse que Passent iment des rois n’était pas parvenu. Si nous ne craignions d’allonger notre lettre, nous pourrions cilcr des exemples. Le pape Urbain lui aussi, si nous avons bien compris, a seulement interdit aux rois l’investiture corporelle, mais non l’élection, dans la mesure où ils sont les chefs du peuple, quoique le huitième concile leur défende d’assister à l’éleçtion, mais non à la concession, nue cette concession ail lieu par la main, par le geste, par la parole, par la crosse. peu importe, si les rois ont l’intention de ne rien conférer de spirituel, mais seulement celle d’accéder au vrru exprimé ou île concéder aux élus les villas ccclésinstiq" d’autres biens extérieurs, que les Églises tiennent de le munlllccncc des rois. Eplll., ix. t. ii.xii. col. 7.’ï. Tri tlon A. niche. Histoire <ir PÊgtUe, i. iii, p. 382.

Hugues de l.yon saisi ! aussitôt le pape et lui signala la thèse aventurée que soutenait l’évêque de Chartres. Urbain H, comme nous l’apprend une autre lettre d’Yves, l’pist.. lxvii citée plus haut, col. : 1620, ’i voue relui ri.

Mais le temps allait venir où le papa lui-même aurait besoin d’être défendu, contre les grégoriens