Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.2.djvu/1053

Cette page n’a pas encore été corrigée
3635
3636
YVES DE CHARTRES


un choix de ses lettres, peut-être assemblées par lui-même ; leur ordre est très variable, au gré des nombreux mss. qui contiennent ce dossier épistolaire, fréquemment consulté comme un modèle du genre, et pose un problème littéraire, étudié par J. Leclercq, La collection des lettres d’Yves de Chartres, dans Reu. bénéd., t. lvi, 1945-1946, p. 56. Les correspondants d’Yves sont des plus variés : les deux papes Urbain II et Pascal II, les deux rois de France Philippe I effet Louis VI le Gros, les rois Guillaume II et Henri I er d’Angleterre, la reine Mathilde, femme de ce dernier, etc. Cette correspondance date exclusivement du temps de l’épiscopat d’Yves, sauf l’avantdernière lettre, Epist., cclxxxvii, qui remonte à l’abbatiat de Saint-Quentin, ainsi qu’une des trois lettres récemment éditées par F’.-S. Schmitt. Les pièces les plus importantes sont certainement les lettres aux deux papes Urbain et Pascal, et la correspondance échangée avec Hugues de Lyon. Ancien légat de Grégoire VII pour la France, Hugues représentait, dans toute leur intransigeance, les principes de la réforme grégorienne. Ses maximes d’action étaient aux antipodes de celles d’Yves de Chartres, esprit avant tout réaliste et conciliateur. Cet antagonisme des deux hommes se reflète dans la correspondance qu’ils échangèrent.

Au point de vue de la théologie, quelques-unes des lettres présentent un certain intérêt : le n. ccli sur la réception de l’eucharistie en viatique, et le n. cclxxxvii sur la manducation du corps du Christ par les apôtres à la dernière cène. Cette dernière a été jointe par Jean Ulimier, en 1561, à d’autres pièces de la controverse bérengarienne. Elle figure dans l’office du Saint-Sacrement de Port-Royal. Le n. cclv traite de la non réitération de l’extrême-onction.

En matière de mariage, la correspondance d’Yves de Chartres offre une abondante doctrine, encore hésitante parfois, qui appelle à elle seule une étude. On en trouvera des analyses dans l’article Mariage par G. Le Bras, t. ix, col. 2123 sq., et dans Le mariage en droit canonique, par A. Esmein et R. Généstal.1. Dauvillier, 1929-1935. Les interventions d’Yves en plusieurs causes matrimoniales ont été mises en relief par P. Daudet, L’établissement de la compétence de l’Église en matière, de divorce et de consanguinité, Paris, 1941.

Statut canonial.

Cet aspect, jusqu’ici moins

connu, de l’œuvre d’Yves de Chartres, un des promoteurs de la vie canoniale à la fin du xie s., a été mis en lumière par Ch. Dereine, Vie commune, règle de S. Augustin et chanoines réguliers au Xi* s., dans Rev. d’hist. eccl., xli, 1946, p. 365-406, et Les coulumiers de S. -Quentin de Beauvais et de Springiersbach, ibid., xliii, 1948, p. 411-442. L’auteur y montre l’influence modératrice de la spiritualité d’Yves dans les Consuetudines, qu’il publie en appendice, de S. -Quentin de Beauvais, d’après le ms. Ste-Geneviève 349, copie tardive d’un coutumier codifié, selon lui, au second quart du xii° s. et déjà signalé par G. Morin et L. Fischer, Ivo von Chartres, der Erneuerer dervita canonica in Frankreich, dans Festgabe A.Knôpfler, Frib.-en-Brisg., 1917, p. 71. L’influence d’Yves sur la vie monastique serait aussi à étudier.

III. Quelques points de théologie et de discipline ecclésiastique. — Nous avons indiqué, au fur et à mesure qu’elles se sont présentées, les contributions que peut fournir à la théologie l’étude de l’œuvre d’Yves de Chartres. Il n’y a pas à revenir sur l’appoint considérable qu’a procuré cette œuvre à la systématisation scolatique. Yves n’a pas seulement, selon toute vraisemblance, inspiré Gratien, il est encore au point de départ des traités De. sacra mentis, comme celui d’Hugues de Saint-Victor, et des Sommes de sentences élaborées au xir » siècle. Le copieux rassemblement d’auctoritales que représentent ses traités canoniques et dont beaucoup ressortissent à la discipline théologique met à la disposition des premiers scolastiques les matériaux indispensables ; en même temps les rubriques diverses sous lesquelles elles sont groupées fourniront des cadres tout prêts pour d’autres spéculations. Que l’on songe aux divers titres relatifs à l’autorité du pape et l’on verra que l’évêque de Chartres a presque mis sur pied un traité de l’Église ; l’on en dirait autant de la théologie sacramentaire, surtout pour l’Eucharistie, cf. J. de Ghellinck, art. Eucharistie au XIIe siècle en occident, t. v, col. 1233 sq. Si la théologie proprement spéculative est moins abondamment représentée dans son œuvre, elle ne laisse pas d’y paraître en maint endroit et nous avons relevé quelques-unes des formules que l’auteur de la Panormie laisse à développer à ses successeurs.

Mais il est un point sur lequel Yves a exercé une influence plus nette encore dans le domaine des rapports entre le spirituel et le temporel : il s’agit de l’intervention des laïques dans l’Église et plus spécialement dans la nomination des grands dignitaires ecclésiastiques. En ce domaine, Yves a fourni la solution de bon sens, entrevue avant lui par Guy de Ferrare, qui a permis au Saint-Siège de terminer la question des investitures et de sortir d’une lutte qui, à divers moments, semblait se montrer sans issue.

Désireux d’effectuer la réforme de l’Église, Grégoire VII et ses fidèles partisans ont vii, non sans raison, dans la mainmise du pouvoir laïque sur les nominations ecclésiastiques une des causes principales de l’abaissement de l’Église. L’investiture « par la crosse et l’anneau » leur est apparue comme le symbole de l’accaparement par le pouvoir laïque des droits spirituels. Ils l’ont interdite, sans faire aucune distinction entre les différents droits qu’elle était censée remettre : pouvoir spirituel d’une part, et que seule l’autorité ecclésiastique était capable de conférer, pouvoirs temporels d’autre part, sur l’attribution desquels le souverain laïque avait pourtant son mot à dire. À la Curie romaine, on raisonna d’abord comme si la dignité épiscopale était un tout indivisible et, sans tenir aucun compte des habitudes et des droits acquis, on considéra que l’investiture laïque était de soi une faute grave et que rien ne pouvait excuser. C’est ce raidissement de la Curie qui allait donner à la lutte du sacerdoce et de l’empire un caractère parfois si âpre. Car c’était pour les souverains laïques aussi une quasi-nécessité que le maintien d’un signe qui attestât la provenance des droits régaliens et autres que les seigneurs ecclésiastiques avaient au cours des âges tenus de la munificence royale. C’était cette munificence royale qui avait fait les évêques et les abbés propriétaires d’abord, puis seigneurs temporels. Il était difficile d’exiger de la souveraineté laïque un total renoncement à tout signe qui attestât qu’une partie des fonctions exercées par ces hauts dignitaires faisait d’eux les « hommes » du souverain.

L’application des mesures relatives à l’investiture laïque et à la simonie fut très modérée en France au début du pontificat d’LTrbain II. Souvenons-nous qu’Yves de Chartres lui-même, élu par le clergé et le peuple de Chartres, avait ensuite reçu l’investiture royale. Son métropolitain, ayant refusé pour ce fait de le sacrer, Urbain II avait lui-même conféré l’épiscopat au nouvel élu ; cf. art. Urbain II, t. xv, col. 2279.

Les recherches canoniques ultérieurement entreprises par Yves lui donnèrent d’autre part la preuve