n’accepta pas toutes les doctrines de Wyclif, mais tout ce qui fut condamné de lui au concile de Constance était tiré presque mot pour mot des œuvres de Wyclif. Voir la série des propositions condamnées dans Denz.-Bannw., n. 627-656. Et le concile ne sépara jamais les deux noms de Wyclif et de Hus, auxquels il joignait seulement celui de Jérôme de Prague. De même, quand le pape Martin V dressa, par la bulle Inler cunctas, du 22 février 1418, une liste de Trente-neuf articles sur lesquels on devait interroger toute personne suspecte de hussitisme ou de wyclifitisme (lollardisme), Denz.-Bannw., n. 657-689, les mêmes noms étaient toujours mis côte à côte, comme ceux d’hérétiques professant des erreurs analogues. En 1525, le Trialogus de Wyclif fut imprimé pour la première fois à Bâle. Il semble que Luther ait possédé ou du moins connu ce livre. Il ne parle cependant pas de Wyclif dans ses écrits, si ce n’est de façon tout à fait accessoire et insignifiante. Par contre, il a précisé de la façon suivante ses relations personnelles avec Jean Hus, dans une lettre de février 1520 (non 1529, comme dit Workman, Wyclif, t. i, p. 9) à Spalatin : « Imprudent que je suis, jusqu’ici j’ai enseigné et soutenu toutes les doctrines de Jean Hus ; avec la même imprudence, Jean Staupitz (voir ce mot) les a enseignées aussi ; bref, nous sommes tous hussites sans le savoir, enfin Paul et Augustin sont hussites à la lettre. Considère les monstruosités auxquelles nous sommes parvenus sans avoir pour chef ni pour docteur ce Bohémien. Dans ma stupeur, je ne sais plus que penser, en voyant les si terribles jugements de Dieu parmi les hommes, alors que la vérité évangélique très évidente a été brûlée publiquement depuis plus de cent ans déjà et qu’elle est tenue pour condamnée et qu’il n’est pas permis de la professer 1° Enders, Luther’s Briefwechsel, t. ii, p. 345.
Ce texte est décisif pour démontrer que Luther ne subit, directement, aucune influence de la part de Hus et encore moins de Wyclif, dans l’élaboration de ses doctrines. Par contre, la subordination doctrinale de Hus par rapport à Wyclif est absolument indéniable et elle atteint les proportions du plagiat pur et simple.
Il y avait eu des relations entre l’université d’Oxford et celle de Prague, presque depuis la fondation de cette dernière, en 1347-1349. Le fervent nationaliste tchèque, Adalbert Rankow, avait fondé des bourses d’étudiants tchèques à Oxford en 1388, quelques années après la mort de Wyclif. Les relations entre la Bohême et l’Angleterre avaient été multipliées par le mariage du roi Richard II d’Angleterre avec Anne, la sœur du roi de Bohême, Wencestas, en 1382. Les voyages des courtisans et serviteurs tchèques de la reine s’ajoutèrent à ceux des étudiants pour favoriser les échanges de manuscrits d’un pays à l’autre. Au cours de sa discussion avec l’Anglais Stokes, en 1411, Jean Hus devait dire qu’il y avait vingt ans et plus que des membres de l’université de Prague et lui-même possédaient et lisaient les œuvres de Wyclif. Il y a des raisons de croire qu’il ne parlait que des ouvrages philosophiques. Ce serait donc depuis environ l’année 1391 que ces ouvrages auraient été répandus à Prague. L’une des raisons de leur succès, c’était la querelle violente qui divisait Prague, entre les nominalistes et les réalistes. Mais une raison locale aggravait l’acharnement des partis opposés. Les Allemands, dont les Tchèques accusaient les envahissements, étaient pour le nominalisme, tandis que les Tchèques étaient tenants du réalisme. Il subsiste à la Bibliothèque royale de Stockholm cinq traités philosophiques de Wyclif écrits de la propre main de Jean Hus, avec des notes marginales en tchèque où il manifeste une admiration voisine de
l’enthousiasme. Ces traités furent copiés en 1398. En cette même année, un jeune étudiant tchèque, Jérôme de Prague, déjà pourvu de sa licence, obtenait la permission de passer à Oxford pour y poursuivre ses études. Il en revenait, en 1401, rapportant un tableau représentant Wyclif, comme prince des philosophes, et aussi deux manuscrits recopiés par lui des œuvres de Wyclif, notamment le Trialogus, qui était comme un abrégé de toute sa doctrine, dans son dernier état. Jérôme de Prague avait voué à Wyclif un culte si ardent qu’il put affirmer, au cours d’une dispute publique : « Quiconque n’a pas étudié les ouvrages de Wyclif ne trouvera jamais la racine vraie de la connaissance. » Il n’eut pas de peine à communiquer ses sentiments à un patriote tchèque, conquis d’avance, tel que Jean Hus. Mais les adversaires étaient aux aguets. Le 28 mai 1403, le recteur de l’université de Prague, à la suite d’un âpre débat au collège Carolinum, publia une ordonnance interdisant toute discussion sur les Vingt-quatre propositions de Wyclif condamnées au concile des Blackfriars, en mai 1382. À ces propositions, un docteur silésien en ajouta vingt et une autres. Ainsi fut constituée la liste des Quarante-cinq propositions, qui furent désormais censées résumer les erreurs de Wyclif et qui furent condamnées à ce titre, à Constance, le 4 mai 1415. Denz.-Bannw., n. 581-625. On savait pourtant que les œuvres de Wyclif contenaient bien d’autres opinions condamnables, car, à Constance, on proposa 260 chefs d’accusation contre lui. Entre 1403 et 1407, Jean Hus traduisit du latin en tchèque le Trialogus de Wyclif, probablement avec le concours de Jérôme de Prague. Les achats de manuscrits wyclifites, en Angleterre, se poursuivirent activement, de la part des docteurs bohémiens. Jean Hus déployait une grande activité littéraire, mais on a pu dire de ses écrits, que ses lettres à ses amis sont seules à avoir quelque originalité. « Pour les œuvres de Hus, écrit Workman, elles ne sont, pour la plus grande part, que de simples copies de Wyclif. Souvent des sections entières des ouvrages du grand Anglais ont été transcrites en bloc, sans altération et sans discernement. Mêmes les titres ne sont pas originaux. Leur apparence de science, qui devait tromper Luther, est entièrement d’emprunt. L’Anglais Stokes avait raison, à Constance, de demander crûment à Hus : « Pourquoi te glorifles-tu de ces écrits, en les présentant faussement comme tiens, puisque, après tout, ils « ne t’appartiennent pas mais sont à Wyclif, sur les « traces de qui tu marches ? » Dans le même sens, le vieil ami de Hus, André Brod, lui criait : « Wyclif « a-t-il été crucifié pour nous ? Avons-nous été baptisés « en son nom ? « Workman, The âge of Hus, 1902, p. 177. Cependant, il est exact que Hus n’a pas accepté toutes les opinions de son maître. Si l’on compare les Trente propositions de Hus condamnées à Constance, Denz.-Bannw., n. 627-656, avec les Quarante-cinq de Wyclif, Denz.-Bannw., n. 581-625, on constate deux choses importantes : 1. Hus n’a pas été condamné, quoi qu’en dise Workman, ibid., p. 303, pour avoir soutenu les propositions de Wyclif contre la transsubstantiation, qu’il admettait encore, car aucune mention n’est faite de cet article dans les propositions qui lui sont reprochées ; — 2. les propositions en question, reprochées à Hus, roulent en général sur l’Église et elles sont aussi bien de Wyclif que de lui-même. En voici un abrégé qui permettra d’en juger : Il n’existe qu’une Église sainte et universelle, qui est l’universalité des prédestinés (1). La prop. 6, confirmant la première, la donne comme un article de foi. La prop. 21 expose que c’est par la grâce de prédestination que tout le corps de l’Église et ses membres sont unis à leur chef, le Christ. Un certain