donc : Lollardi sunt zizania. Eux-mêmes les prédicateurs ambulants de Wyclif se nommaient soit les « hommes vrais », true men, soit les « chrétiens », Christian men. On leur donna plus tard, mais surtout en Bohême, le nom qu’ils n’avaient jamais pris de Wyclifites. "Wyclif avait fabriqué pour leur usage un grand nombre de sermons et de tracts. Après lui, ses disciples les plus remarquables, surtout Hereford et Purvey, tous deux traducteurs de la Bible, sous son impulsion, continuèrent à les fournir de compositions de cette sorte. Un grand nombre de ces pièces ont été imprimées. Il en reste beaucoup en manuscrits. On les a longtemps attribuées en bloc à Wyclif. La recherche récente a su distinguer divers auteurs, par l’examen du style, de la méthode, des sujets traités. Il semble que Wyclif ait réussi à grouper autour de lui un nombre assez considérable de collaborateurs instruits. Nous ne connaissons les noms que de quelques-uns. A Hereford et Purvey, il faut joindre celui d’Aston. Mais il y en eut sûrement d’autres qui nous sont inconnus. Les tracts ont été composés soit dans les dernières années de Wyclif, soit après sa mort. Leur caractère général est la violence. Ils sont très anticléricaux. Ils attaquent avec une particulière âpreté les frères mendiants, qui étaient pour les poor priests les concurrents les plus dangereux. Ils chargent les frères des crimes les plus odieux : adultères, sodomie, cupidité. Les évêques ne sont naturellement pas ménagés, les moines « possessionnés » non plus. Le clergé paroissial est également fort malmené. La plupart de ces tracts sont en anglais. Voici la traduction de quelques-uns de leurs titres, suffisamment révélateurs de leur contenu : Du levain des pharisiens ;
— Les cinquante hérésies et erreurs des frères (Friars, il s’agit des frères mendiants) ; — Des prélats ; — Des clercs possessionnés ; — L’Office des vicaires (Curâtes) ; — - L’ordre de la prêtrise ; — De l’office pastoral, etc. Non seulement les lollards propagèrent toutes les opinions subversives de leur fondateur, mais en général, suivant la courbe de sa propre évolution, ils les accentuèrent dans le sens du radicalisme le plus excessif. Ils obtinrent un grand succès auprès du peuple et peut-être surtout auprès de la petite noblesse campagnarde, ou gentry, qui voyait dans les richesses de l’Église médiévale une proie très enviable.
Les documents du temps révèlent, chez les autorités anglaises civiles et ecclésiastiques, une véritable panique, en face des progrès de l’hérésie. Ils assurent que la moitié de la population était conquise. Deux hommes se dressèrent surtout contre elle : Guillaume de Courtenay, archevêque de Cantorbéry et primat d’Angleterre, du 9 septembre 1381 au 31 juillet 1396, et son successeur, Thomas Arundel, du 25 septembre 1396 au 19 février 1414. À la mort de ce dernier, le danger était complètement conjuré. La résistance des lollards fut très différente, selon qu’il s’agissait des maîtres d’Oxford, où Wyclif avait conquis de puissants concours, ou des prédicateurs ambulants et de leurs protecteurs dans la noblesse campagnarde. A Oxford, un coup avait été frappé par Courtenay, du vivant de Wyclif, par le triple synode des Blackfriars, en mai et juin 1382. À la suite de ces synodes, des lettres patentes contre les lollards avaient été obtenues de la Couronne, le 26 juin 1382. En novembre de la même année, on enregistrait, à Oxford, des rétractations importantes : Repingdon, Bedeman, Aston se soumettaient humblement. Le premier devait être nommé évêque de Lincoln, par la faveur du roi Henri IV de Lancastre, en 1404. Il devait mourir, chargé d’honneurs, en 1424. Le second devint, au temps d’Arundel, un zélé prédicateur contre l’hérésie. Le troisième par contre se repentit de sa rétractation
et retomba dans le lollardisme ; c’est pourquoi on peut lui attribuer, avec probabilité, un bon nombre des tracts lollards du temps. On ne sait pas ce qu’il devint, mais il semble qu’il ait persévéré jusqu’au bout dans l’hérésie. Hereford, autre lollard de marque, rétracta ses erreurs, en 1390, ou peut-être un peu plus tôt, et se fit le dénonciateur de ses anciens amis, qui lui reprochèrent durement son « horrible apostasie ». Il se fit chartreux, en 1417. Purvey fut plus fidèle à la mémoire de son maître Wyclif et c’est lui qu’il faut vraisemblablement regarder comme l’auteur des professions de foi lollardes dont il sera parlé dans un instant.
Parmi les nobles campagnards, l’histoire a conservé quelques noms moins obscurs que les autres. Le développement du lollardisme fut favorisé par les circonstances politiques et religieuses. La croisade de Spenser avait causé un grand mécontentement et de grandes pertes en hommes et en argent. Une guerre contre l’Ecosse, en 1385, aggrava la situation. Aux parlements de 1388, de 1390 et de 1393 furent énoncés en vain des griefs — toujours les mêmes — contre la Cour de Rome et contre le clergé en général. Mais ces réclamations non suivies d’effet n’en favorisaient pas moins la propagande lollarde à travers le pays, en y développant un esprit de plus en plus antipapal. Quand les pauvres prêtres prêchaient, la plupart du temps en plein air, dans les cimetières, il arrivait souvent que les chevaliers se tenaient en armes à leurs côtés, prêts à les protéger contre toute insulte ou toute répression. L’immense majorité des adhérents du lollardisme restaient profondément ignorants des doctrines propres à Wyclif, mais n’en retenaient que l’anticléricalisme foncier. Courtenay ne cessait de presser le gouvernement d’agir contre les hérétiques. Il obtenait des pouvoirs spéciaux pour les évêques des régions les plus contaminées. Il fut même assez habile pour arracher à la majorité du parlement de 1388 des ordres de poursuites contre les lollards, confirmant les prescriptions déjà édictées par le gouvernement royal. Pour cela il avait produit une liste de vingt-cinq erreurs reprochées aux lollards. Cette liste nous a été conservée et nous permet de préciser les doctrines des wyclifites, à cette date.
La note dominante des Vingt-cinq points de 1388, c’est le rigorisme moral, ou comme disent les Anglais, le « puritanisme ». On y proteste contre les chansons, contre les serments, contre les fêtes des saints, contre l’emploi dans le clergé de « chevaux gras », de bijoux et de riches vêtements. Wyclif avait déclamé maintes fois contre le luxe et contre le culte des saints, à l’exception du culte de la Vierge, qu’il consentait à maintenir, mais ici l’accent se faisait plus rude. On disait par exemple que « nul chargé d’âmes » (curate) ne devrait s’absenter d’auprès de ses enfants spirituels pour prendre part à une pompe mondaine, à une réjouissance du ventre ou à des affaires temporelles dans les cours épiscopales. Wyclif avait critiqué le culte des images, mais il n’avait jamais été aussi loin que le texte suivant : « Ces images ne peuvent faire ni bien ni mal aux âmes humaines, mais elles pourraient réchauffer le corps d’un pauvre homme, en temps de froid, si on les mettait au feu, et l’argent et les joyaux qui les parent profiteraient aux malheureux, et les cierges brûlés devant elles serviraient à éclairer de pauvres créatures dans leur travail. »
— « Le Christ, disait-on encore, est le frère de l’homme, c’est donc une hérésie manifeste d’enseigner qu’il est meilleur et plus agréable à Dieu d’offrir des dons à des bûches inertes ou à des pierres qu’aux pauvres gens, qui portent en eux l’image et ressemblance de la sainte Trinité. »
On note par contre que la phrase de Wyclif sur