qui n'était qu’un abrégé parfois copié mot à mot de celui de Wyclif, que Jean Hus fut condamné, à Constance, à la peine du feu. Aussi est-ce au domaine de l’ecclésiologie qu’appartiennent le plus grand nombre des 45 propositions de Wyclif censurées au même concile.
Wyclif avait eu déjà à maintes reprises à exprimer en passant ses opinions sur l'Église, sa nature, sa composition et sa constitution, dans les années qui précédèrent sa citation à Lambeth, en mars 1378, et la publication des bulles de Grégoire XI contre ses doctrines. Mais ce fut surtout après la publication de ces bulles et après sa comparution à Lambeth qu’il réunit ses notes à ce sujet et publia son De Ecclesia, probablement à l’automne de 1378. Il n'était pas encore parvenu au degré d’exaspération contre la papauté et contre le haut clergé qu’il devait ressentir plus tard. Cependant, la colère grondait déjà puissamment dans son cœur et il avait commencé à envoyer en mission, sans autorisation épiscopale, ses « pauvres pécheurs » ou « pauvres prêtres ».
La première chose que Wyclif souligne avec force, dans son ecclésiologie, c’est que l’on se trompe grossièrement en identifiant l'Église avec les prélats et les prêtres, les moines, les frères et autres tonsurés qui semblent la conduire, alors même qu’ils vivent d’une façon véritablement maudite contre la loi de Dieu, c’est-à-dire contre l'Écriture.
L'Église, selon lui, comprend trois parties, « très bien symbolisées, comme le disent les docteurs, par les trois parties entre lesquelles l’hostie est divisée sur l’autel ». Ce sont l'Église triomphante au ciel, l'Église militante sur la terre, et l'Église « endormie au purgatoire ». — On notera cette dernière expression, qui semble indiquer que Wyclif admettait le purgatoire, mais n’y voyait les âmes que plongées dans le sommeil. Quoi qu’il en soit, c'était sur l'Église militante que se concentrait surtout son attention théologique. Il définissait cette Église : universitas prædesiinatorum, la totalité des prédestinés. Ne sont donc membres effectifs de l'Église, selon lui, que les élus, ceux qui doivent être sauvés, ceux que le péché mortel même ne peut perdre, parce qu’ils recevront la grâce de la persévérance finale. Wyclif croyait suivre, sur ce point, la doctrine de saint Augustin. En réalité, il avait trouvé des idées de cette nature dans Thomas Bradwardine. Et, selon son principe que rien ne doit être admis, de la part d’un docteur, qui ne soit dans l'Écriture, il se référait à la doctrine de la prédestination de saint Paul. La base de l’institution ecclésiastique serait donc, selon lui, « l'élection divine ». On peut se trouver dans l'Église, en apparence, sans appartenir à l'Église. L'Église visible n’est pas la véritable Église, car, dans son essence, celle-ci est invisible. Sur tout cela, voir De Ecclesia, éd. Loserth, 1886, p. 74, 89, 111, 140, etc. Il suit de ce qui précède que nul ici-bas ne sait de science certaine s’il appartient à l'Église. Ni le pape, ni à plus forte raison un évêque ne peut dire « s’il est de l'Église, ou s’il est un membre de l’ennemi » ! C’est une chose que l’on ignore aussi totalement que l’heure de la mort ou du jugement. Nous ne savons pas davantage, pour la même raison, comment et quand Dieu imprime le caractère sacerdotal, car ne sont vraiment prêtres que les prédestinés. Nul ne devrait accepter une prélature sans un véritable tremblement. On ne doit pas même dire que l'Église est l’ensemble de tous les « fidèles pèlerins » de cette terre. Car il y en a qui ont la foi et qui périront quand même. On ne doit pas admettre non plus que le Christ soit le chef de tous les hommes, fidèles et infidèles, comme saint Thomas le soutenait. Wyclif divise les hommes en deux camps nettement opposés,
à la manière de saint Augustin dans la Cité de Dieu, mais en poussant l’idée à l’extrême. Ceux qui ne sont pas prédestinés — Wyclif les appelle præsciti — forment eux aussi un corps, ennemi de l'Église, et le chef de ce corps est l’Antéchrist. Dans la pensée du novateur, la lutte entre ces deux corps est continuelle et formidable. Il en décrit sans hésiter certains aspects. Ainsi, pour lui, il n’y a pas de doute que les dotations faites à l'Église n’aient été des œuvres de l’Antéchrist. Et quand il eut rompu ses relations amicales avec les frères des ordres mendiants, il ne cessa plus de présenter les frères et tous les fondateurs de leurs ordres comme des fauteurs de l’Antéchrist. À plus forte raison, les ordres possessionnés étaient-ils d’origine antichrétienne. Ce qu’il ne peut absolument pas admettre c’est qu’un couvent soit riche et soit dirigé par un « abbé gras qui peut n'être, dans la prescience divine, qu’un démon incarné ». A en juger par le grand nombre de propositions condamnées extraites de ses écrits, c’est surtout par la violence de ses attaques contre la propriété cléricale et contre la pauvreté monastique — c’est-à-dire sur deux points opposés — que Wyclif a soulevé l’indignation de l'Église de son temps.
On ne lui a pas reproché d’avoir identifié l'Église à « l’universalité des prédestinés », mais on a censuré de lui les propositions suivantes, contre la propriété ecclésiastique : Contra Scripturam sacram est quod viri ecclesiastici habeant possessiones. N. 10. — Ditare clerum est contra regulam Christi. N. 32. — Sylvester papa et Constantinus imperator erraverunt Ecclesiam dotando. N. 33. — Papa cum omnibus clericis suis possessionem habentibus sunt hærelici, eo quod possessiones habent, et consentientes eis, omnes videlicet domini sœculares et cœleri laici. N. 36. — Imperator et domini sœculares sunt seducti a diabolo ut Ecclesiam ditarent bonis temporalibus. N. 39. — De telles propositions étaient éminemment révolutionnaires, en ce qu’elles renversaient tout le système bénéficiai sur lequel les siècles chrétiens avaient fondé la subsistance des clercs. Même si des abus nombreux avaient pu, avec le temps, sortir du système, il était singulièrement radical de le dénoncer comme l'œuvre de Satan. Et ce n'était pas seulement faire bon marché de l’assistance promise par le Christ à son Église, mais c'était se contredire soi-même, en prétendant montrer du doigt l’armée des præsciti, avec son chef l’Antéchrist, après que l’on avait bien établi que l'Église est invisible. Cela était d’autant plus arbitraire que Wyclif ne s’en tenait pas au seul principe de la « possession temporelle », pour condamner en bloc le clergé possessionné de son temps, qu’il s’agît du clergé séculier ou du clergé régulier (moines proprement dits). La pauvreté des ordres mendiants ne trouvait pas davantage grâce à ses yeux, depuis que les ordres mendiants avaient osé se dresser contre lui, comme on le verra, dans le domaine eucharistique. Voici, en effet, toute une série de propositions tirées de ses œuvres, condamnées au concile de Constance, et visant les ordres religieux : Augustinus, Benedictus et Bemardus damnati sunt, nisi pœnituerint de hoc quod habuerunt possessiones, et instituerunt et intraverunt religiones : et sic a papa usque ad ultimum religiosum, omnes sunt hæretici. N. 44. — Omnes religiones (on sait que ce mot désigne les ordres religieux) indifferenter inlroductæ sunt a diabolo. N. 45.
— Conferens eleemosynam fratribus est excommunicalus eo facto. N. 20. — Si aliquis ingreditur religionem privatam qualemcunque, tam possessionatorum quam mendicantium, redditur ineptior et inhabilior ad obscrvationem mandalorum Dei. N. 21. — Sancti, instituentes religiones privatas, sic instituendo peccaverunt. N. 22.
— Religiosi viventes in religionibus privatis non sunt