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3. L’appel au peuple anglais.

Wiseman était loin de se douter de l’agitation causée par le bref Universalis Ecclesiæ et par sa lettre pastorale. Après la cérémonie du 30 septembre, le nouveau cardinal partit de Rome à petites journées pour rentrer en Angleterre. A Vienne, le 30 octobre, il apprend par le Times l’opposition de ses compatriotes au bref pontifical. Il en est vivement touché, mais il ne réalise pas encore la gravité de la situation. Il envoie à lord Russell une lettre d’explication et continue tranquillement son voyage jusqu’à Bruges, où il arrive dans la seconde semaine de novembre. Là, il est pleinement renseigné sur la gravité de la situation. Aussitôt son parti est pris : méprisant les conseils de prudence qui lui sont donnés par ses amis, il se remet en route et arrive à Londres le Il novembre. Trois jours lui suffisent pour rédiger une petite brochure : Appeal to the Reason and good jeeling of the English People, qui parut le 15 novembre. Cet appel à la raison du peuple anglais est, comme le note dans son Journal Charles Greville, du Conseil privé, « un véritable manifeste dans lequel il (Wiseman) prouve de façon irréfutable que tout ce qui a été fait est parfaitement légal et est une question de discipline ecclésiastique qui ne nous intéresse en aucune façon. » F.-W. Cornish, op. cit., t. i, p. 348.

Un rapide examen des faits récents, des attaques de la presse, de la partialité des ministres, avait persuadé l’archevêque qU’il n’y avait plus qu’un recours possible après le tribunal de Dieu : s’adresser directement à « l’amour de la probité et de la loyauté qui est l’instinct naturel de l’Anglais…, à cette répulsion pour tout avantage usurpé, toute tricherie, toute embûche malhonnête, toute clameur de parti, employés pour renverser même un rival ou un ennemi… C’est à ce tribunal impartial, franc et humain, que j’en appelle et que je demande pour moi et pour mes coreligionnaires catholiques d’être entendus librement, loyalement et avec impartialité ».

II montre ensuite combien ses compatriotes ont été égarés, trompés quant aux faits et aux intentions. L’acte du pape est certes une négation de la suprématie royale, mais de la suprématie religieuse seulement ; et celle-ci est rejetée aussi bien par les dissidents que par les catholiques. Aucun préjudice n’est porté aux évêques anglicans : le bref n’intéresse que les catholiques. Le chapitre anglican de Westminster n’a pas à craindre que le nouvel archevêque le trouble dans la jouissance des honneurs et des richesses de l’antique abbaye. Mais « autour de l’abbaye de Wesminster s’étendent des labyrinthes de ruelles…, de bouges, hideux repaires de l’ignorance, du vice, de la dépravation et de crimes… Une population presque innombrable, qui est en grande partie catholique (de nom tout au moins), y fourmille… Voilà la seule partie de Westminster que je convoite ». Il reproche enfin leur attitude aux ministres de l’Église établie. « Les chaires et les meetings, les églises et les hôtels de ville sont devenus indistinctement les théâtres de leurs exploits ; ils ont prononcé des dicours, proféré des mensonges, répété des calomnies, lancé des mots brûlants de mépris, de colère et de haine, remplis de sentiments impies, indignes d’ecclésiastiques et de chrétiens, contre des gens qui avaient été presque les seuls à les traiter avec respect. » Thureau-Dangin, op. cit., t. ii, p. 209-214.

La brochure eut tout de suite une très large diffusion : trente mille exemplaires sont vendus le premier jour ; elle est reproduite par les cinq plus grands journaux quotidiens de la capitale, y compris le Times. L’effet fut considérable. Si le cardinal n’obtint pas immédiatement gain de cause, l’agitation se fit moins violente, au moins momentanément. Le Times dut reconnaître la justesse des observations du cardi nal : il chercha à excuser son attitude par ce que les précisions nécessaires n’avaient pas été données qui eussent fait mieux comprendre les deux documents. La lettre de lord J. Russell n’est plus unanimement approuvée ; Roebuck, un libéral, reproche à son auteur d’avoir, à l’heure « où la paix et la bonne harmonie allaient se rétablir, profité de sa grande situation pour souiller parmi nous l’esprit de haine et de discorde, déchaîné le démon de la persécution, divisé un grand empire qui, sans votre fatale intervention, allait enfin connaître les bienfaits de l’union, de la paix et de la prospérité ». Thureau-Dangin, op. cit., t. ii, p. 216. Gladstone prend parti pour Wiseman parce que ses amis de la Haute Église avaient été attaqués en même temps que les catholiques romains ; Disræli, enfin, est heureux de mettre son adversaire J. Russell en contradiction avec lui-même.

Cependant Wiseman continuait d’agir sur l’opinion par des conférences dans la pro-cathédrale Saint-George : Three Lectures on the Catholic Hierarchy, delivered in St-George’s Sdulhwark, 1850. Mais le mouvement d’opposition avait été trop violent : les manifestations continuèrent, devinrent des émeutes où souffrirent catholiques et puseyistes. « Wiseman perdit de sa popularité dans cette bagarre, mais il est hors de doute que son Église gagna à une affirmation bruyante (la première depuis la Réforme) de sa vitalité, et qu’en dépit des caricatures par lesquelles Punch termina cette bataille l’archevêque de Westminster fut dès lors aux yeux de ses compatriotes tout autre chose qu’un monsieur simplement habillé de rouge. » E. Dimnet, La pensée catholique dans l’Angleterre contemporaine, p. 18.

2° L’administration de l’archevêché de Westminster.

— 1. Difficultés et premières mesures. — Le cardinal Wiseman commençait son ministère archiépiscopal au milieu des difficultés extérieures ; il rencontrera bientôt dans ses efforts pour mettre sur pied la nouvelle organisation d’autres obstacles qui proviendront des catholiques et de son entourage, et qui ne seront d’ailleurs que la continuation de ceux qu’il avait dû surmonter durant son vicariat apostolique. « Son optimisme envers et contre tout et son tempérament autoritaire lui firent des ennemis, et il était porté à considérer que les « droits » revendiqués par d’autres entravaient le développement de ses projets. Le clergé diocésain avait peu de sympathie pour ses réunions et lectures publiques, alors qu’il les comparait avec la rareté de ses contacts familiers. Descendre dans le détail est essentiel au succès d’une autocratie, et à cela il ne pouvait se résoudre. Les évêques lui étaient opposés, qui se souvenaient de l’indépendance réciproque des vicaires apostoliques… Il lui fut impossible de se concilier les anciens catholiques, bien que certains lui fussent fortement attachés. » David Mathew, Catholicism in England, p. 198 sq. « Les prêtres de paroisses (se montraient) mécontents d’un système qui ne leur donnait qu’une part illusoire dans le choix de leurs chefs et permettait à l’évêque de les déplacer à son gré. » E. Dimnet, op. cit., p. 40.

Wiseman avait vu dans le rétablissement de la hiérarchie un moyen de donner à l’Église plus de stabilité et de vitalité. L’œuvre de restauration sera en partie réalisée lors des réunions de ses suffragants en conciles provinciaux à Oscott, en 1852, 1855 et 1859. Cf. Collectio Lacensis, t. iii, col. 895 sq. On y traita en particulier de l’organisation de l’enseignement élémentaire, de l’érection du Collegio Pio à Rome, de l’amélioration du sort des détenus catholiques et du mariage chrétien.

Mais l’organisation matérielle était secondaire pour Wiseman. Il sentait avec raison que pour faire sortir de l’ombre l’Église catholique, lui donner du prestige