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TRINITÉ. APOGÉE DE LA SCOLASTIQUE

que les textes scripturaires sur lesquels pouvait s’appuyer Joachim pour comparer l’unité divine à une simple unité collective ou de ressemblance, ne supportent pas, appliqués à la Trinité, une interprétation univoque. Et il en fournit un exemple en faisant l’exégèse de Joa., xvii, 22, par comparaison avec Matth., v, 48. Il affirme ici le grand principe de l’analogie qui doit gouverner toute la théologie : pas de ressemblance entre les créatures et Dieu qui ne laisse subsister une plus grande dissemblance. Remarque trop importante pour ne pas être soulignée.

Conclusion.

Les textes du IVe concile du Latran montrent qu’à l’aube du XIIe siècle le dogme trinitaire ne réalise plus de véritable progression et se trouve, jusque dans ses détails, à l’abri de controverses graves. Un seul point peut-être n’est pas encore suffisamment mis en relief dans les documents officiels de l’Église : le rôle des relations divines. Les Pères, même les Pères grecs, dont le concept trinitaire part des trois hypostases pour aboutir à la substance unique, font état, dans l’exposé du dogme et pour réfuter les objections ariennes, des relations réelles d’origine, qui seules peuvent, en Dieu, expliquer la distinction des personnes, sans nuire à l’unité et à la simplicité. Voir, par exemple, saint Grégoire de Nazianze, Orat.. xxix, 16 et xxxi, 9, P. G., t. xxxvi, col. 96 A et 141 C ; saint Grégoire de Nysse, Quod non sint tres dii, P. G., t. xlv, col. 133-136, ce dernier texte moins clair dans son expression et cependant, quant au sens, concordant avec ce que saint Grégoire de Nazianze appelle τῆς πρὸς ἄλληλα σχέσεως διάφορον. Les Pères latins, partant de la substance pour aboutir aux personnes, ne peuvent y parvenir qu’au moyen des relations d’origine, dont le concept trouve une élaboration déjà remarquable chez saint Augustin. Voir t. I, col. 2347. Toutefois les relations divines n’étaient pas encore entrées dans les textes officiels de l’Église (si l’on excepte le XIe) concile de Tolède, qui, par lui-même, n’a pas valeur œcuménique). Peut-être l’œuvre de suprême clarification que vont accomplir les grands scolastiques a-t-elle été nécessaire pour faire consacrer à Florence la formule dogmatique préparée par la tradition depuis des siècles.

Mais, à côté du dogme, reste son exposé philosophique, qui est le propre de la scolastique. On a vu que, dès la fin du xiie siècle, Pierre de Poitiers avait excellé dans la précision des formules à employer. Voir col. 1719. Son œuvre sera continuée et parachevée par les théologiens postérieurs. Le progrès s’affirmera surtout — mais ici avec des divergences parfois fort accentuées — dans la théorie rationnelle de la Trinité ; chacun, en effet, y introduit le concept analogique qu’il s’est fait de la vie intime de Dieu.

Les luttes engagées au xiie siècle ont convaincu la raison humaine de son impuissance à démontrer le mystère lui-même et tous les théologiens affirment d’un commun accord que la philosophie ne saurait nous le faire même soupçonner. Mais, cet aveu fait, il reste que Dieu a imprimé dans les créatures des vestiges, dans l’âme humaine une image de sa vie intime ; et donc la raison a le droit et le devoir d’en rechercher les traces à la lumière de la foi. Mais — tous les théologiens sont également d’accord pour le noter — « les explications rationnelles des processions divines n’atteignent point la réalité même des choses. Elles ne fournissent que des comparaisons, puisque, ne s’appuyant que sur des images, elles ne procèdent que par voie d’analogie. Sans doute, dans nos docteurs scolastiques comme dans les saints Pères, on rencontre souvent la théorie des processions présentée sous une forme syllogistique. Mais il ne faut jamais oublier que les théologiens attribuent à de pareils argument, une simple valeur de « convenance », comme ils disent. La raison ne démontre point apodictiquement ce dogme inaccessible, mais elle montre que, loin d’impliquer contradiction, le mystère se reflète dans les plus belles créatures. Par là, elle écarte les obstacles ; elle prépare les voies de l’âme à l’arrivée de la foi : arguit et commendat, suivant l’heureuse expression d’Hugues de Saint-Victor… Toutes nos théories de la Trinité sont de simples comparaisons par voie d’analogie ». Th. de Régnon, op. cit., t. ii, p. 119-120.

Ainsi, dans toutes les théories relatives au mystère de la Trinité, nous trouverons deux éléments. L’un est révélé : c’est l’unité divine, c’est la trinité des personnes, dont les noms, Père, Fils et Saint-Esprit sont consacrés par l’Évangile et le symbole. Tous admettront donc en Dieu une paternité, une filiation, une procession qui n’est pas une génération. Mais d’autres noms divins nous sont révélés, qui fournissent eux aussi des images du mystère : le Fils est le Verbe, la Sagesse, l’Image, la Splendeur ; le Saint-Esprit est le Don, l’Amour. Ce sont là des indications. Les théologiens restent libres de choisir parmi ces données celles qu’ils veulent mettre à la base de leur œuvre. Déjà, dans l’étude du XIIe siècle, nous avons rencontré des essais — heureux ou malheureux — en ce genre. Saint Thomas, résumant les « voies » de ceux qui l’ont précédé, écrit fort pertinemment : « Pour prouver la trinité des personnes, quelques auteurs ont raisonné sur l’infinité de la bonté divine, qui se communique elle-même d’une manière infinie dans la procession des diverses personnes. D’autres se sont appuyés sur ce qu’il ne peut y avoir jouissance-possession d’un bien, si l’on n’en jouit pas en commun. Quant à saint Augustin, pour expliquer la Trinité des personnes, il part de la procession du verbe et de l’amour dans notre âme, et c’est la voie que nous avons suivie nous-même. » Sum. théol., Ia, q. xxxii, a. 1, ad 2um.

Après une période de tâtonnement, la théologie du xiiie siècle a vu deux noms se détacher de l’ensemble, deux noms d’initiateurs, Pierre Lombard et Richard de Saint-Victor. Le premier devait être l’organisateur de la théologie ; le second en est le docteur mystique. La doctrine de Pierre Lombard se retrouve dans Albert le Grand, mais elle prend une vigueur nouvelle chez saint Thomas dont l’influence est telle qu’on la retrouvera, au cours des siècles suivants, ininterrompue jusqu’à nos jours. Richard influencera Alexandre de Halès et se fixera en saint Bonaventure. Et, plus tard, l’école franciscaine prendra une direction nouvelle avec Duns Scot.


II. L’apogée de la scolastique et les controverses aboutissant au concile de Florence.

I. L’ENSEIGNEMENT SPÉCULATIF.

Coup d’œil général sur le XIIIe siècle.

Pierre Lombard est un disciple fidèle de saint Augustin. Ses Sentences sur Dieu et la Trinité reflètent toujours (sauf en ce qui concerne la charité identifiée avec l’habitation du Saint-Esprit dans l’âme) la doctrine et souvent la terminologie augustiniennes. Les théologiens s’efforcent de l’imiter, presque toujours en le commençant. Il suffit de citer les dominicains Roland de Crémone, Hugues de Saint-Cher, Jacques de Mandres, Pierre de Tarantaise, Hugues de Strasbourg (dans son Compendium veritalis theologicae : cf. A. Stohr. Die Trinitätslehre Ulrichs von Strassburg, Munster, 1921) et les anglais Richard de Fishacre et surtout Robert de Kilwardby († 1278). Leurs commentaires sur les Sentences s’en tiennent ordinairement à la formule primitive où l’étude du texte l’emporte sur la quæstio. Voir Sentence t. xiv, col. 1874. Dès l’origine se révèle chez les franciscains, un maître, Alexandre de Halès, qui, jusque dans le titre de son ouvrage, Summa theologica, affirme sa personnalité. Il sera le précurseur d’un autre maître, saint Bonaventure en atten-