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TERTULLIEN. DOCTRINE, LA PÉNITENCE


texte de Jérémie, pour étayer son argumentation. Puisque le pain est la figure du corps, il faut bien que Jésus ait eu un corps réel. Cela prouve-t-il que le pain lui-même soit le corps du Christ ? Oui, car, à la Cène, le Christ a fait du pain son corps. Nous voudrions assurément que l’auteur eût insisté sur ce dernier point qu’il affirme en passant parce qu’il ne l’intéresse pas directement et nous sommes un peu gênés par l’insistance avec laquelle il explique le sens figuratif de l’oracle de Jérémie. Mais de quel droit voudrions-nous trouver ici toute sa doctrine eucharistique ?

Ailleurs, c’est le mot censetur qui fait difficulté : dans le commentaire de l’oraison dominicale, Tertullien parle du pain quotidien que nous devons demander à Dieu : et d’abord du pain matériel ; puis il continue : Quanquam « panem nostrum quotidianum du nobis hodie », spiritaliler potius intelle g amus. Christus enim partis noster est, quia vita Christus et vitæ partis. « Ego sum, inquit, partis vitæ » ; et paulo supra : « Partis est sermo Dei vivi, qui descendit de cselis. » Tune quod et corpus ejus in pane censetur : « Hoc est corpus meum. » Ilaque petendo pancm quotidianum, perpetuitatem postulamus in Christo et individuitatem a corpore ejus. De orat., vi. Il y a, dirions-nous, trois espèces de pains que nous demandons à Dieu : le pain matériel qui entretient la vie du corps ; le pain de la parole de Dieu ; le pain du corps du Christ, car le corps du Christ est une espèce de pain, en vertu des paroles prononcées à la Cène. On pourrait ici encore souhaiter un mot plus clair et plus précis que le verbe censetur ; mais ce verbe n’exclut pas la présence réelle et il signifie être compté, tirer son origine, ou plus généralement être, dans le vocabulaire de Tertullien. Cf. A. d’Alès, op. cit., p. 366.

Si les allusions à l’institution de l’eucharistie sont habituellement obscures, c’est qu’elles viennent dans des contextes où Tertullien s’occupe de tout autre chose que de la croyance à la présence réelle. On trouve des formules plus claires lorsqu’on rencontre des passages où il s’agit de la célébration eucharistique elle-même. Ici, Tertullien n’a plus à démontrer des thèses, à développer des arguments, à discuter contre Marcion et contre les docètes. Il est le témoin de la foi de l’Église et il dit simplement comment se comportent les fidèles en face du sacrement.

Nous avons déjà cité à propos du baptême (col. 150), le passage célèbre du De resurrectione carnis, viii : Caro… corpore et sanguine Christi vescitur ut et anima de Deo saginetur. Sans doute est-ce un rhéteur qui a écrit cette phrase et l’on sent, en la lisant, qu’il s’est complu au jeu brillant des antithèses. Le corps est lavé, oint, muni du signe de la croix, couvert par l’imposition des mains, pour que l’âme soit transformée d’une manière analogue et reçoive la grâce symbolisée par le signe corporel. Lorsqu’il en vient à parler de la nourriture, il ne dit pas un mot du pain ; mais bien au contraire : la chair est nourrie du corps et du sang du Christ, pour que l’âme soit engraissée de Dieu. Il est difficile d’employer des expressions plus réalistes.

Ailleurs, nous apprenons que le pécheur repentant, lors de son retour à l’Église, se nourrit du corps du Seigneur, c’est-à-dire de l’eucharistie : (ethnicus conversus ) opimitate dominici corporis vescitur, eucharislia scilicet. De pudic, ix. Qu’il se trouve des fidèles à ce point désireux d’observer la règle du jeûne aux jours des stations, qu’ils renoncent ces jours-là à recevoir le corps du Seigneur et à assister aux prières du sacrifice, Tertullien s’en indigne : ces fidèles scrupuleux ne feraient-ils pas mieux de se tenir auprès de l’autel, de recevoir dans leur main le corps du Seigneur et de le mettre en réserve pour le consommer lorsque le moment sera venu de rompre le jeûne. De orat., xix. Ailleurs, en parlant de la femme chrétienne qui a un mari païen, Tertullien s’inquiète : cet homme pourra-t-il

ignorer quelle est cette nourriture que sa femme prend avant toute autre ? Et si on lui répond que c’est du pain, sera-t-il assez naïf pour croire que c’est du pain vulgaire et commun ? Ad uxor., ii, 5. Ailleurs encore, Tertullien rappelle que l’on reçoit le sacrement de l’eucharistie dans les assemblées qui précèdent le lever du jour et que, seuls, les présidents de la réunion ont le droit de le distribuer ; que l’on prend bien garde de ne pas laisser tomber à terre la moindre parcelle du pain consacré. De cor., in. De pareils textes ne nous renseignent pas seulement sur les usages liturgiques de l’Afrique au début du iiie siècle. Ils nous apprennent quelle était la foi des chrétiens en l’eucharistie.

4. La pénitence.

Tandis que nous ne connaissons la doctrine eucharistique de Tertullien que par des allusions rapides, nous avons la bonne fortune de posséder du rhéteur carthaginois deux traités entiers sur la pénitence : l’un, le De psenitentia, remonte à la période catholique de sa vie et traduit la doctrine et la pratique de l’Église ; l’autre, le De pudicitia, est une œuvre de parti pris, composée à la fin de sa carrière, à un moment où la haine du catholicisme le possède : il n’en est pas moins précieux par les faits nouveaux qu’il nous révèle. On a déjà, à l’article Pénitence, attiré l’attention sur ces deux traités ; nous pouvons ici nous contenter de rappeler l’essentiel.

a) Le « De psenitentia ». — Tertullien distingue deux sortes de pénitence : l’une préparatoire au baptême, l’autre qui s’accomplit après le baptême, s’il est nécessaire. La première a pour but de purifier le catéchumène et de l’affermir dans ses résolutions, de façon à rendre durable l’effet du sacrement qu’il va recevoir.

Normalement, cette première pénitence devrait être la seule. Après avoir reçu le baptême, le chrétien ne doit plus pécher ; tout au moins ne devrait-il plus tomber dans des fautes graves. Cependant, la réalité est souvent tout autre et il arrive à des baptisés de commettre des péchés que ne sauraient réparer les sacrifices quotidiens ou les prières habituelles. À ces pécheurs, Dieu a réservé une seconde planche de salut : « Une fois fermée la porte du pardon, une fois tirés les verrous du baptême, il a voulu qu’il y eût encore une ouverture ; il a placé dans le vestibule (de l’Église) une seconde pénitence pour qu’elle serve à ceux qui frapperaient. »

Cette pénitence, qui ne peut être reçue qu’une seule fois et après laquelle il n’y a plus de pardon, ne se passe pas seulement dans le cœur du pécheur ou dans le secret de sa maison. Elle comporte une série d’actes extérieurs, dont l’ensemble constitue l’exomologèse, et dont Tertullien décrit ainsi l’ensemble : Exomologesis… qua delictum Domino nostrum confitemur, non quidem ut ignaro, sed qualenus satisfactio confessione disponitur, confessione psenitentia nascitur, psenitentia Deus mitigatur. Itaque exomologesis prosternendi et humilificandi Iwminis disciplina est, conversationem injungens misericordise illicem. De pœnit., ix.

L’exomologèse est donc quelque chose de pénible et d’humiliant. Elle commence par la confession des péchés. Tertullien ne dit pas explicitement à qui cette confession doit être faite ; mais plusieurs hypothèses peuvent être exclues : tout d’abord celle d’une confession adressée à Dieu seul, car Dieu n’a pas besoin de notre aveu pour connaître nos fautes ; puis celle d’une confession publique que rien ne suggère dans l’ensemble du texte et qui est écartée par le silence même de Tertullien. Selon toutes les vraisemblances, c’est à l’évêque que doit être fait l’aveu des fautes dont le pécheur s’est rendu coupable et c’est lui aussi qui détermine la rigueur et la durée de l’expiation.

Après l’aveu vient en effet l’expiation qui, elle, est accomplie publiquement, en présence de tous les frères. Le pénitent couche sur la cendre, néglige les