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TERTULLIEN. DOCTRINE, LES SACREMENTS


Jésus et il prétend appuyer son affirmation sur les textes des prophéties. De carne Christi, xxiii. Il excède manifestement sur ce point et son propos de sauvegarder la vérité de l’incarnation lui fait perdre toute mesure.

Homme, le Christ a connu toutes les faiblesses de l’humanité, sauf le péché. Il a été laid. Il a souffert de la faim, de la soif ; il a pleuré ; il a frissonné devant la mort. Il a répandu son sang. Cependant, tout homme qu’il est, il est Dieu en même temps. Sur ce point, Tertullien ne se contente pas de répéter les affirmations traditionnelles. Il s’efforce encore d’éclaircir le mystère. Tout d’abord, dit-il, le Verbe n’est pas changé en l’homme ni en la chair ; en s’incarnant, il reste ce qu’il était ; il a seulement pris l’homme, susrepit hominem ; il a pris la chair, assumpsit carnem ; il a revêtu la substance de l’homme, subslantiam hominis induit. Ces expressions reviennent à chaque instant sous sa plume et il s’explique clairement à ce sujet dans V Adi’ersus Pruxean, xxvii : Igitur Senno in carne, dum et de hoc quærendum quomodo Sermo caro sit factus, utrumne quasi transfiguratus in carne an indutus carnem ? Immo indutus. Ceterum Deum immutabilem et injormabilem credi necesse est, ut œlernum. Transfiguratio autem interemplio est prislini. Omne enim quodcumque transfiguratur in aliud, desinit esse quod fuerat et incipit esse quod non erat. Deus autem neque desinit esse, neque aliud potest esse. Sermo autem Deus. Il n’est donc pas permis de parler d’une transformation, ou d’un changement de Dieu en l’homme. Dieu reste ce qu’il est et l’homme reste ce qu’il est. Ce n’est pas l’homme, en Jésus, qui est le Fils de Dieu, comme le prétendent certains modalistes. lit si l’on attribue au Christ total le titre de Dieu, la filiation divine est, en quelque sorte, prêtée à l’homme qui l’a empruntée. Adv. Prax., xxiv. Far où il faut entendre non pas que Jésus est seulement le Fils adoptif de Dieu, mais qu’il est son Fils en vertu de l’union.

L’humanité et la divinité dans le Christ ont leurs opérations distinctes : Tertullien énonce déjà la doctrine que reprendra saint Léon le Grand : Sed quia substanliæ ambæ in statu suo quæque distincte agitant, ideo illis et operæ et exitus sui occurrerunt. Adv. Prax., xxvii, Quie proprietas conditionum divinæ et humanæ sequa utique naturæ ulriusque veritale dispuncta est, eadem fide et spirilus et carnis. Yirlules spirilum Dei, passiones carnem hominis probaverunt. De carne Christi, v.

Faut il alors employer le mot de mélange pour caractériser l’union ? Tertullien utilise parfois cette expression : miscente in semelipso hominem et Deum. Adv. Marc, ii, 27 ; mais ce qu’il dit par ailleurs de la permanence des opérations propres à chaque nature montre bien qu’elle ne traduit pas sa pensée définitive. En réalité, il y a entre Dieu et l’homme dans le Christ une union d’un genre spécial, unique, telle qu’on peut attribuer à Dieu les souffrances de l’homme et à l’homme les grandeurs de Dieu : Deus pusillus inventas est ut homo maximus fierel. Qui talem Deum dedignaris, nescio an ex fide credas Deum crucifixum. Adv. Marc, ii, 27. Nasci se Deus in utero palitur matris. De pal., ni.

Finalement, il faut dire, et c’est aussi l’expression à laquelle s’arrêtera la théologie catholique, qu’il y a en Jésus-Christ une personne et deux natures ou substances : Sic et Apostolus de ulraque ejus (Christi) substanlia docet : « Qui factus est, inquit, ex seminc David », hic eril homo et filius hominis qui definitus est Filius Dei secundum spirilum. Hic erit Deus et Sermo Dei Filius. Videmus duplicem statum, non confusum sed conjuncturn in una persona, Deum et hominem Jesum. Adv. Prax., xxvii.

Pourquoi le Fils de Dieu s’est-il incarné ? Pourquoi

a-t-il souffert les humiliations et la croix ? Pourquoi est-il mort ? Sans aucun doute, pour nous racheter. Tertullien dit en propres termes que nous n’aillions pas pu être sauvés sans sa mort et sa résurrection : Nec mors nostra dissolvi posset nisi Domini passione, nec vita restitui nisi resurrectione ipsius. De bapt., xi. Mais il insiste rarement sur ce point et cela tient sans doute à ce qu’il n’a pas trouvé ici d’adversaires à combattre. Il prouve longuement contre Marcion que le Christ a accompli toutes les prophéties de l’Ancien Testament, que sa mission n’a pas eu le caractère d’une révolution violente, mais qu’elle a mis le sceau aux révélations de Dieu, qu’il n’est pas venu pour détruire la loi mais pour l’accomplir. Il déclare encore que le Christ est l’Emmanuel, l’illuminateur des nations, le conquérant des âmes, le prêtre universel du Père, Christum Jesum, cathoticum palris sacerdotem, Adv. Marc, iv, 9 ; le pontife authentique de Dieu le Père, aulhenticus pontifex Dei Patris. id., iv, 35 ; le médiateur entre l’humanité et Dieu, Sequester Dei atque hominum, De resur., li ; le nouvel Adam, le principe en qui Dieu récapitule toutes choses. Ce sont là des mots jetés en passant et sur lesquels il ne s’arrête pas.

On a pu s’étonner que Tertullien, après avoir si nettement parlé de la satisfaction que le pécheur doit à la justice de Dieu, n’ait pas songé à mettre cette idée en valeur à propos de la mort de Jésus-Christ. J. Tixeront, op. cit., p. 417. Nulle part, en effet, il n’a fait ce rapprochement. Sa théologie de la rédemption est manifestement incomplète, et nous devons nous borner à le constater.

Les sacrements.

1. Idée générale. — Il ne faut

évidemment pas chercher dans les œuvres de Tertullien les éléments d’un traité des sacrements en général. Le terme même de sacramentum qu’il emploie très souvent revêt chez lui de multiples acceptions : il signifie naturellement d’abord serment militaire ou consécration ; puis règle de foi ou de vie religieuse ; puis mystère ou symbole ; et c’est de là qu’est venue la signification de sacrement au sens technique, car le sacrement est essentiellement un signe mystérieux. Le baptême, De bapt., i ; l’eucharistie, Adv. Marc, iv, 34 ; v, 8 ; le mariage, Adv. Marc, v, 18 ; De anima, xi, reçoivent de Tertullien le nom de sacrements, non encore d’une façon exclusive’, mais d’une manière générale. Il faut pourtant relever l’emploi de ce terme destiné à une si haute fortune.

De même, il est important de souligner que Tertullien met admirablement en relief les effets invisibles produits dans l’âme par le signe sensible. Le corps et l’âme, explique-t-il, sont indissolublement unis l’un à l’autre ; ils ne peuvent pas vivre l’un sans l’autre, et c’est par le corps que le signe atteint l’âme pour la sanctifier : Caro salulis est cardo. De qua cum anima Deo allegitur, ipsa est qux efficil ut anima allegi possit. Sciliccl caro abluitur ut anima emaculetur ; caro ungitur ut anima consecretur ; caro signatur ut et anima muniatur ; caro manus impositione adumbratur ul et anima Spirilu illuminctur ; caro corpore et sanguine Christi vescitur, ut et anima de Deo saginetur. De resur. carnis, vm.

Toutes les expressions ne sont d’ailleurs pas irréprochables dans ce texte, car Tertullien attache une importance exclusive à l’élément matériel du sacrement. Il semblerait, à le lire, que l’eau du baptême, l’huile de la consécration suffisent à elle-, seules pour produire la grâce, indépendamment des paroles qui doivent en accompagner l’administration. Lorsqu’il parle du baptême, il va jusqu’à laisser entendre que l’eau, bénite par le prêtre, reçoit une consécration spéciale qui la rend propre désormais à elTacer les péchés ; elle devient ainsi capable, quand on y plongera le baptisé