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TERTULLIEN. DOCTRINE, LA CRÉATION


Adv. Prax., xiii, xx, de la substance du Père, id., m, iv ; un même Dieu avec le Père et le Fils. Id., n. Il ajoute qu’il procède du Père par le Fils : Spirilum non aliunde puto quam a Paire per Filium. Id., iv. Il est par suite le troisième terme de la Trinité : lia connexus Patris in Filio et Filii in Paracleto 1res e/Jicit cohserentes alterum ex allero, qui 1res unum sinl, non unus. Id., xxv.

Cependant sa pensée n’est pas toujours claire et il lui arrive de parler de l’Esprit Saint, comme s’il ne le distinguait pas nettement du Fils. La seconde personne, dit-il, est la parole du Père et la troisième l’Esprit dans la parole, Spiritus in Sermone. Adv. Prax., xii. Ailleurs, id., xxvi, il écrit : Hic Spiriius Dei idem erit Sermo. Sicut enim Joanne dieenle : « Sermo caro factus est », Spiritum quoqne intelligimus in mentione Sermonis, ila et hic (Luc, i, 35). Sermonem quoque agnoscimus in nomine Spiritus. Nam et spiritus substanlia est sermonis et sermo operatio spiritus, et duo unum sunt. » Un peu plus loin, id., xxvii, il paraît enseigner l’incarnation du Saint-Esprit : De Spiriiu sancto virgo concepit et quod concepit, id peperil, id ergo nasci habebat quod erat conceptum et pariendum, id est Spiritus, cujus et vocabitur nomen Emmanuel, quod est interpretatum nobiscum Deus. Ces formules sont assurément équivoques ; elles s’expliquent en partie par le fait que Tertullien, dans Y Adversus Praxean, combat les monarchiens « qui, plutôt que de distinguer des personnes dans l’essence divine, les distinguaient en Jésus-Christ, mettant d’un côté le Christ, c’est-à-dire Dieu, le Père, l’Esprit ; de l’autre Jésus, c’est-à-dire l’homme, la chair. Pour les réfuter, il importait de montrer la divinité même, l’esprit, se faisant chair. L’apologiste croit découvrir, dans l’évangile même de l’incarnation, ce nom d’esprit appliqué à la personne du Verbe et il s’en empare, sans se préoccuper des complications inextricables introduites par ce langage dans la théologie de la troisième personne. » A. d’Alès, op. cit., p. 98. Ces remarques sont exactes, mais elles n’empêchent pas l’équivoque de subsister.

Nous pouvons maintenant mettre en relief ce que la théologie de la Trinité doit à Tertullien. Celui-ci insiste, comme il convient, sur l’unité de Dieu, mais il ajoute aussitôt que cette unité n’empêche pas une certaine économie ; et, par ce mot qui lui est cher, il indique une dispensation, une communication de l’unité qui en fait découler une trinité. L’économie ne divise pas l’unité ; elle la distribue seulement en trois personnes, numériquement distinctes entre elles : Duos quidem deftnimus Patrem et Filium, et jam très cum Spiritu Sancto secundum rationem œconomise quæ facil numerum. Adv. Prax., xiii. Ces trois personnes sont également Dieu : Et Pater Deus et Filius Deus et Spiritus sanctus Deus et Deus unusquisque. Id. Elles ne sont pas unus, mais unum, parce qu’il y a entre elles unité de substance et non unité numérique : Ego et Pater unum sumus ad substantiæ unitatem, non ad numeri singularitatem. Id., xxv. Toutes ces formules, et il est facile d’en trouver beaucoup d’autres semblables dans VAdversus Praxean, sont définitives. En dépit de ses lacunes, Tertullien a donc réalisé, dans la théologie de la Trinité, un progrès sensible ; il a touché au consubstantiel et il a trouvé la formule : Très personæ, una substantia, qui restera toujours celle de l’Église latine.

5° La création, les anges, les hommes. — Dieu est créateur du ciel et de la terre. Tertullien a dû défendre ce dogme contre les hérétiques, Hermogène et Marcion. Hermogène prétendait que la matière est éternelle comme Dieu et qu’elle est la source du mal. Tertullien lui répond que l’éternité est un attribut de Dieu et que proclamer la matière éternelle revient à la diviniser. Plus subtile était la thèse de Marcion : il admettait bien la création, mais il l’attribuait au Dieu juste de l’Ancien Testament et il ne voulait pas y

reconnaître l’œuvre du Dieu bon. Tertullien lui oppose que le monde est bon et qu’ainsi il n’a rien d’indigne du Dieu bon. Par ailleurs, il affirme que Dieu seul est véritablement créateur, De resurr. carn., xi, bien qu’il semble admettre que les anges qui ont apparu aux hommes se sont fait ex nulla materia le corps sous lequel on les a vus. De carne Christi, vi. Ce dernier passage est d’ailleurs des plus embrouillés et il n’y a pas lieu d’y insister.

Les créatures les plus élevées sont les anges : les philosophes eux-mêmes, comme Socrate et Platon, ont admis leur existence. Apol., xxii, xlvi ; De anima, i, 36. La conscience populaire, les religions païennes plaident en faveur des démons ou des génies. Apol., xxxii. Les affirmations de l’Ancien et du Nouveau Testament sont d’ailleurs poui les chrétiens des arguments décisifs. Les anges sont des esprits matéiiels, issus du souille de Dieu, Adv. Marc, ii, 8 ; iii, 9, possédant un corps subtil, igné, qui se déplacent avec une prodigieuse rapidité : ils exercent sui les hommes une action protectrice et veillent spécialement sur les petits enfants, Apol., xxii ; De anima, xxxvii. Souvent, ils sont apparus aux hommes sous une forme humaine, au moyen de corps qu’ils se sont donnés pour la circonstance. Adv. Marc, iii, 9 ; De carne Christi,

m, VI.

Tous les anges ne sont pas restés fidèles à Dieu. Il semble que le premier péché du diable fut un péché d’orgueil et de jalousie à l’égard de l’homme. De patient., v. Cependant, Tertullien s’arrête plus volontiers sur le passage de la Genèse (vi, 1, 2) qui raconte l’union des fils de Dieu avec les filles des hommes et il en conclut que les mauvais anges ont commis une faute charnelle, ce qui les a fait déchoir de leur dignité. Les descendants de ces unions sont les démons, encore plus mauvais que les anges déchus. Apol., xxii ; De cultu fem., x. Diables et démons emploient toutes leurs activités à séduire l’homme, à l’entraîner au mal, à le perdre. De anima, xx ; Apol., xxiii, xxvii. Pourtant leur pouvoir est borné et ils sont vaincus par les exorcismes chrétiens. Apol., xxiii, xxvii ; Ad Scap., n, iv ; De cor., xi.

Après les anges, les hommes. L’homme est composé d’un corps et d’une âme qui lui est intimement unie : Vocabulum homo consertarum subslantiarum duarum quodam modo fibula est, sub quo vocabulo non possunt esse nisi cohserentes. De resur. carn., xl. L’âme elle-même peut être définie de la sorte : Deftnimus animam Dei ftatu natam, immortalem, corporalem, efftgiatam, subslantiam simplicem, de suo sapienlem, varie procedentem, liberam arbitra, accidentiis obnoxiam, per ingénia mutabilem, rationalem, dominatricem, divinatricem, ex una redundantem. De anima, xxii. Et cette définition résume toute la doctrine que Tertullien a exposée dans son traité Sur l’âme.

L’âme est donc de nature corporelle : sans doute est-elle un corps à part, plus subtil que les autres ; mais elle possède toutes les qualités des corps ; elle a, comme eux, une disposition (habitus), une limite (terminus), trois dimensions et même une figure distincte et une couleur, d’ailleurs très pâle et comme aérienne. Sur ce dernier point, Tertullien se réfère aux révélations d’une voyante montaniste, qui a aperçu un jour une âme humaine. Sur les autres, il se contente de recourir à l’autorité des stoïciens, en particulier à celle du médecin Soranus et de réfuter de son mieux les thèses spiritualistes de Platon.

Bien que matérielle, l’âme est simple et indivisible. Elle est aussi unique et il n’y a pas lieu de distinguer, comme le veulent quelques philosophes, entre animus, le principe actif, siège de l’énergie psychique, et anima principe vital passif. Elle est enfin immortelle et la mort, bien loin de marquer le moment de sa déchéance,