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TERTULL1EN. DOCTRINE, LA TRINITÉ


un monarchien, c’est-à-dire un partisan farouche, exclusif, de l’unité de Dieu et que, d’après Tertullien, le monarchianisme possédait, dans la masse du peuple fidèle, un grand nombre d’adeptes effrayés sans doute par la crainte du polythéisme. En réfutant l’hérétique, Tertullien expose donc ses propres théories, qui, en tant que telles, ne sont pas nécessairement celles de la grande Église. S’il a raison de combattre l’erreur monarchienne, il est possible qu’il apporte à la lutte un peu trop de vigueur et qu’il emploie des formules inégalement heureuses pour exprimer la distinction des personnes.

Il n’y a, déclare Tertullien, qu’un seul Dieu : Unius autem substantiæ et unius status et unius potestatis, quia unus Deus, ex quo et gradus isti et formée et species in nomine Palris et Filii et Spiritus Sancti deputantur. Adv. Prax., n. L’unité divine n’est pas compromise par la trinité des personnes : Non enim desinit esse qui habet Filium ipse unicus, suo scilicel nomine, quoliens sine Filio nominatur, cum principaliter determinatur ut prima persona, quæ anle Filii nomen erat proponenda quia Pater ante cognoscitur et post Patrem Filius nominatur. Itaque unus Deus Pater et absquc eo alius non est. Quod ipse inferens non Filium negat, sed alium Deum ; ceterum alius a Pâtre Filius non est. Adv. Prax.,

XVIII.

D’autre part, la trinité des personnes dans l’unité de substance est indiquée par l’emploi du terme persona, que Tertullien introduit dans la théologie et qui y demeurera comme une acquisition définitive. Il y a donc trois personnes en Dieu : Secundo persona Sermo ipsius et lerlia Spiritus in Sermone. Adv. Prax., xii. Et cette trinité de personnes ne nuit en rien à la monarchie divine, tout en maintenant intacte l’économie, c’est-à-dire la dispensation par laquelle le Père engendre le Fils : Ita trinitas per consertos et connexos gradus a Pâtre decurrens et monurchia> nihil obstrcpit et œconomiæ slatum prolegit. Adv. Prax., vin.

Le Père est naturellement le principe des deux autres personnes ; et par suite il possède par rapport à elles une certaine supériorité : Pater enim lotu substantia est ; Filius vero derivatio totius et portio, sicut ipse profiletur, quia Pater major me est. Adv. Prax., ix. Dicens autan : Spiritus Dei… (Luc, i, 35), non directo Deum nominans, portionem totius intclligi voluit quæ cessura erat in Filii nomen… Quod Deus Dci lanquam substantiva res, non erit ipse Deus, sed hactenus Deus qua ex ipsius Dei subslantia, qua et substantia est et ut portio aliqua totius. Adv. Prax., xxvi. De telles expressions ne laissent pas de surprendre, car il n’est pas exact de dire que le lils est une portion de la substance paternelle et les comparaisons, familières à Tertullien, du soleil et des rayons, de la source et du fleuve, de la racine et de la tige, suffisent peut-être à expliquer dans quel sens on peut interpréter le mot « portion ». Il reste dam l’ensemble, les formules employées par Tertullien oui nue saveur subordinatienne et qu’il est parfois difficile de leur trouver un sens orthodoxe.

Au commencement, Dieu était seul, en ce sens que

rien n’existait en dehors de lui ; pourtant, il n’était pas

ument seul, car il avait en lui sa raison que les

Grecs appellent Àôyoç et les Latins sermo : Anle

omnia enim Deus irai solus, ipse sibi et mundus et locus

et omnia. Soins autem quia nihil aliud extrinsecus præ hr illum. Ceterum ne lune quidem soins : habebat enim

n quam habebat m semetlpso rationem suam. Adv.

Prax., x. Il faut d’ailleurs bien entendre ce mot de

i I Hé XûYOÇ : la raison est comme le fond et la

de la parole il la parole est la raison en

ous ne pouvons pas en effet penser s ; ins

Intérieurement noire pensée, ni parler snns exprimer ce que nous pensons. Ainsi Dieu, néct renient pensant, possédai ! nécei airement en lui une

parole intérieure qu’il produisait et qui était, par rapport à lui, un second terme. Ibid.

Cependant, Dieu n’avait pas encore proféré cette parole, qui lui restait intérieure. Ce fut seulement lorsqu’il décida de créer l’univers qu’il exprima son Verbe : Ut primum Deus voluit ea quæ cum sophiæ ratione et sermone disposuerat intra se, in substantias et species suas edere, ipsum primum protulit Scrmonem. habentem in se individuas suas rationem et sophiam, ni per ipsum fièrent universa, per quem eranl cogitata alque disposita, immoet jacta jam, quantum in Dei sensu. Hoc enim eis deeral, ut coram quoque in suis speciebus alque substantiis cognoscerentur et tenerentur. Adv. Prax., vi. Au Verbe immanent succède ainsi le Verbe proféré et celui-ci est l’instrument de la création, par laquelle les choses qui existaient déjà dans les desseins de Dieu. sortent en quelque façon de lui et deviennent sensibles.

Le Verbe devient alors tout ce que son nom signifie ; il est une parole, une voix, un son, au moment où Dieu profère le Fiat lux, qui marque le premier acte de son œuvre créatrice. Cette prolation constitue la naissance parfaite du Verbe, qui jusqu’alors était caché dans le sein du Père, formé (conditus) en lui, porté dans ses entrailles. Désormais il est enfanté et il apparaît comme Fils : Hœc est nativitas perjecta Sermonis, dum ex Deo procedit : conditus ab eo primum ad cogilatum in nomine sophiæ : « Dominus condidit me initium viarum. » Dehinc generalus ad effectuai : « Cum pararcl cœlum, aderam illi simul. » Exinde cum parem sibi faciens, de quo procedendo filius factus est, primogenitus ut anle omnia genilus, et unigenilus ut solus a Deo genitus : proprie de vulva cordis ipsius, secundum quod Pater ipse testatur : « Eruclavil cor meum sermonem optimum. <> Adv. Prax., vu. Avant la création, pourrait-on dire, le Verbe n’était pas encore Fils. Il devient Fils par l’œuvre de la création, lorsqu’il sort du Père. Toutefois cette prolation ne constitue pas un changement substantiel ; elle n’apporte au Verbe qu’une modification dans son état.

Quelle est la nature du Verbe ou du Fils ainsi engendré ? Les hérétiques, suivant en cela les principes de la logique stoïcienne, n’y voient rien autre chose qu’un vain bruit, qu’un souille d’air, connue dans la parole humaine. Mais ce n’est pas du tout cela. I.e lils est un esprit, comme le Père ; il est une personne distincte du Père, par le fait de sa génération : Quacumque ergo subslantia Sermonis fuit, illam duo persanum et illi nomen Filii vindico, et dum Filium agnosco, secundum a Paire defendo… Oninc quod ex origine profcrtur. progénies est, mullo magis Sermo Dei, gui etiam proprie nomen Filii accepit. Adv. Prax., vu-vin. Le Verbe a donc une existence réelle : il est Dieu de Dieu, lumière de lumière. Apol., xxi. Il est éternel, puisqu’il a toujours existé en Dieu comme raison immanente, bien qu’il ne soit devenu I ils que par la création et c’est en ce sens qu’il faut entendre un passage difficile de Y Adv. Hermogenem, m : Fuit autem tempus cum et deliclum et filius non fuit, quod judicem et gui patrem Dominum faceret. Dieu, explique ici Tertullien, n’a pas toujours été juge et père ; car il a fallu un délit pour qu’il fût juge et un lils pour qu’il fût père et cela n’a pas toujours été. Nous ne concluons pas de là que le Verbe a été créé, ainsi que le diront plus tard les ariens, mais seulement que le Verbe n’a pas toujours été lils. Sur ce point, encore, la pensée de Tertullien est inexacte et elle devra être modifiée par les réflexions des théologiens ultérieurs.

On pourrall s’attendre a ce que Tertullien insistât beaucoup sur le Saint-Esprit. Le Paraclet ne joue i il

pas un rôle décisif dans la théologie niontanisle et les prophètes de Phrygic n’ont ils pas eu pour Iml d’an

noncer son avènement Imminent ? De tait, Tertullien affirme énergiquement que l’Eipril Saint est Dieu,