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TRIBUT. L’OBLIGATION FISCALE


3. Nous devons en outre ajouter que les tenants du devoir concret de stricte justice n’allaient pas sans mettre en fait d’autres atténuations plus générales à l’application de leur doctrine. Us le faisaient particulièrement en insistant sur les caractères de justice que devaient posséder eux-mêmes les impôts pour entraîner une obligation si stricte : saint Alphonse, loc. cit., n. 615, éd. Gaudé, p. 95, développe avec soin les conditions du juste impôt, dont nous avons parlé plus haut ; a) la justitia causse, qui est, non le bon plaisir et l’enrichissement du prince, mais les nécessités du bien commun ; — b) la proporlio iribuii cum necessiiate occurrenti ; — c) l'œqualitas in personis, les contribuables devant être imposés selon leurs facultés et leurs ressources. D’autres, comme Lugo, reconnaîtront que, de leur temps, beaucoup d’impôts ne réalisent pas ces conditions. Sans aller aussi loin, on se trouvait dès lors devant des impôts, sinon manifestement injustes et n’obligeant plus en conscience, du moins devant des impôts douteusement injustes. Était-on libéré de l’obligation par ce doute ? Les réponses des moralistes n’avaient pas toujours sur ce point toute la clarté désirable ou, tout au moins, elles n'étaient pas aisées à rapprocher et à réunir. Généralement ils distinguaient doute négatif et positif, mais n’attribuaient pas toujours à ces mots le même sens. Sans entrer dans cette discussion, contentons-nous de remarquer que, si certains sont plus favorables à donner, dans le cas de vrai doute, sérieux, fondé sur de bonnes raisons, l’avantage au fisc, représentant l’autorité, certains autres, considérant qu’il s’agit d’une matière onéreuse et, pour employer l’expression canonique, odiosa, décidaient plutôt en faveur du contribuable. Quoi qu’il en soit, ce que nous venons de dire fait suffisamment comprendre que, même en tenant sur l’obligation des impôts la doctrine la plus rigoureuse, en fait bien des adoucissements se trouvaient permis et même devaient être apportés par les confesseurs vis-à-vis des pénitents de bonne foi et de suffisante bonne volonté.

2° Aux xix c et XXe siècles. En théologie morale : l’impôt plutôt dû en justice légale ou comme loi purement pénale ; la réaction de la théologie sociale. — 1. Quand, après la tourmente de la Révolution française, la théologie morale peut reprendre sérieusement ses études, on sait que, non sans heurts ni sans fortes résistances surtout en France, elle se mit à l'école de saint Alphonse. C’est dans le sens de ce docteur, qu’elle traita d’abord la question des impôts : le cardinal Gousset, Théol. mor., t. i, n. 999, fait un devoir de stricte justice au contribuable d’acquitter ses impôts, quelle que soit la coutume contraire, qu’il appelle une erreur ; il recommande cependant au confesseur la prudence dans l’avertissement au pénitent, afin de ne pas tourner chez le fraudeur la bonne foi en mauvaise. Gury, Compendium, t. i, n. 736 sq., résume saint Alphonse, puis insiste sur les difficultés que présente la matière et donne toute une série de passages tirés de divers auteurs, qui en somme excusent le plus souvent de la restitution.

Dans la suite, si on cherche à reconnaître la tendance, qui paraît s’affirmer et prédominer en théologie morale au sujet des impôts, on peut dire, croyonsnous, que c’est celle de préférer à l’obligation de justice stricte ou commutative une obligation plus adoucie, celle de justice légale ou de loi purement pénale.

En général, de 1850 à nos jours, les moralistes font volontiers de la question des lois fiscales un simple cas de lois positives, dont l’obligation est à interpréter comme les autres lois civiles ; elles n’obligent que dans la mesure où le législateur entend les imposer, et cette mesure peut être reconnue en particulier à deux signes : les sanctions qui y sont jointes et la manière dont le milieu social les interprète. Si ces sanctions

sont très fortes et si les contribuables estiment avec ensemble ne pas charger leurs consciences en acquittant le moins possible leurs impôts, c’est qu’il ne s’agit que d’une obligation adoucie et restreinte. Beaucoup d’auteurs font en outre remarquer que les législateurs modernes n’ont pas grand souci d’atteindre les consciences, qu’en outre les impôts sont exorbitants, dépassant de beaucoup les vraies nécessités sociales, que leurs produits sont employés à toutes sortes de dépenses ou peu morales ou antichrétiennes, étrangères ou opposées au vrai bien commun.

Autant de raisons invoquées par nos auteurs modernes pour se porter vers une obligation moins stricte, plus adoucie et qui dispense de se poser la question supplémentaire de la restitution.

2. Une classification exacte des moralistes des xixe et xxe siècles d’après leur doctrine des impôts n’est pas aisée : ils y mettent généralement trop de nuances ; nous en proposons cependant une, qui ne sera qu’approximative et restreinte.

a) Si l’obligation de justice stricte, à savoir de justice commutative a eu moins de faveur auprès d’eux qu’aux siècles passés, elle n’a jamais été abandonnée cependant. Lui sont restées fidèles, par exemple, Bouquillon, Theol. mor. fund., 3e éd., 1903, n. 227 sq. ; Lehmkuhl, Theol. mor., 10e éd., 1902, t. i, n. 981, en ce qui concerne les impôts directs, les impôts indirects étant généralement tenus par lui comme lois pénales. Citons encore Scavini, Theol. mor., 14e éd., t. ii, n. 604 ; Marres, De just., 2e éd., t. II, n. 496 ; Mûller, Theol. mor., 7e éd., t. ii, p. 466, s’appuyant sur le quasi-contrat entre gouvernement et contribuables.

Parmi les auteurs plus récents, deux excellents sont à noter, qui ont repris cette doctrine : le dominicain Prùmmer, Theol. mor., 2e éd., 1923, t. i, n. 290 sq., qui, l’appuyant lui aussi sur le quasi-contrat, l’applique en somme à l’ensemble des impôts, et le sulpicien Tanquerey, Synopsis, t. iii, 4e éd., 1910, n. 592 sq., qui admet une obligation directe de justice légale et indirectement une obligation de justice commutative, quand la taxe a été fixée et intimée aux intéressés.

b) Mais, du moins jusqu'à ces derniers temps, la plus grande partie des moralistes préféraient s’arrêter comme principe d’obligation fiscale à la seule justice légale ou sociale, dont ils faisaient volontiers une vertu se suffisant à elle-même. Le quasi-contrat ne leur disait pas grand chose et certains comme Noldin le critiquaient. Le devoir social leur paraissait, grâce à cette seule justice, assez pressant et assuré, la doctrine scripturaire et patristique assez respectée et passant suffisamment dans la pratique.

Ainsi, pour nous en tenir à quelques noms : Vermeersch, Quæst. de justitia, 1901, n. 105 sq. ; Noldin, De prseceptis, 7e éd., 1908, n. 316 (du moins en ce qui concerne toutes les lois « préceptives » fiscales) ; Wafïelært, De justitia, n. 420 sq. ; les allemands Simar, Mor. theol., 1893, p. 368 ; Mausbach, Kath. moral, th., t. n b, § 53 ; Schindler, Mor. theol., t. iii, p. 829.

c) En troisième lieu, tout un groupe d’auteurs adoptent résolument la doctrine qu'à la fin du xviiie siècle saint Alphonse hésitait à reconnaître comme ayant une probabilité ferme et assurée : celle qui regarde les lois fiscales, soit dans leur ensemble, soit en partie (impôts indirects), comme des lois purement pénales. Ce courant s’affirme spécialement à la fin du xixe siècle et, un moment, on pouvait se demander s’il ne deviendrait pas tout à fait prédominant ; donnons comme s’y rapportant les auteurs suivants : Biederlack, De justitia et jure, 1891, n. 103 ; Crolly, De jure et justitia, t. iii, n. 1010-1023 ; Berardi, Praxis confes., t. iii, n. 413 ; Bucceroni, Inst. theol. mor.. De legibus, n. 237 ; Génicot, Theol. mor., t. i, n. 574 ; Salsmans, dans ses nouvelles éditions de Génicot et