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TRIBUT. L’OBLIGATION FISCALE


ont essayé de le fonder et de lui donner la force nécessaire. Les théories libérales ont le tort de ne voir dans l’impôt qu’un échange de services, ne donnant au devoir fiscal qu’un caractère plutôt précaire ; les théories socialistes exagèrent les droits de l'État, possesseur de tous les biens individuels et pouvant se permettre tous les excès : entre les deux, la doctrine catholique tient un juste milieu et seule permet de faire naître le vrai devoir moral. Cf. A. Janssen, Le fondement philosophique du devoir fiscal, dans les Ephemerides Iheologicæ Lovanienses, 1925, p. 367 sq., analyse de ces divers systèmes et accord avec de nombreux économistes et sociologues allemands présentant sous divers noms les mêmes idées, Opfertheorie (Roscher), Pfiichttheorie (Eheberg), Konzequenztheorie (Ambert), Solidaritâtstheorie (Henri Pesch). Ce dernier nom est adopté par des moralistes comme Prfïmmer, t. ii, n. 291. Le plus simple serait sans doute d’appeler cette doctrine catholique, théorie du droit naturel et social.

IV. Le devoir de l’impôt : nature précise de

SON OBLIGATION ET CASUISTIQUE DE CE DEVOIR.

Les progrès de la théologie morale, d’une part, étudiant plus profondément les questions et surtout cherchant, en vue de l’administration du sacrement de pénitence, à déterminer tout à fait au concret les devoirs et les péchés, et, d’autre part, le développement croissant des impôts dans les nations modernes ont amené les moralistes à se demander comment dans la pratique devait s’appliquer l’enseignement scripturaire et patristique sur l’impôt, la doctrine générale que nous venons de résumer. L’obligation fiscale, générale et de principe, en descendant dans la pratique, ne perd-elle pas de sa rigueur ? Dans quelle mesure s'établit le devoir concret de payer les impôts tels que le fisc les réclame ? Jusqu'à quel point l'évasion et les fraudes fiscales chargent-elles la conscience et imposent-elles l’obligation de la restitution ?

Toute cette casuistique de l’impôt, sur laquelle le confesseur pouvait avoir à prendre parti, qu’il lui fallait résoudre pour juger des fautes ou répondre aux questions des pénitents, est déjà esquissée dans le :. Sommes pénitentielles composées dès le Moyen Age en vue d’aider le ministre de la pénitence ; elle est examinée à fond et en détail à partir du xvie siècle dans les œuvres des casuistes proprement dits.

Nous donnerons les grandes lignes des conclusions auxquelles ces efforts ont abouti et qui ont été ou sont actuellement proposées.

1° Du xrri' au xviw siècle : sonunistes et casuistes. Doctrine la plus commune : le péché fiscal, péché contre la justice stricte. — 1. Sans nul cloute, la solution la plus fréquente que donne à cet examen casuistique l’ensemble des moralistes, du xiir » au xviiie siècle, c’est que le devoir abstrait de l’impôt, en se déterminant dans lt concret, garde toute sa rigueur : il y a faute, à refiler de pay< r l’impôt ou à le payer imparfaitement, une fois du moins qu’il a été fixé par l’autorité compétente et déclaré au contribuable, faute contre la justice stricte ou commutative ; et, par conséquent, on sera obligé à restitution, si on s’est dérobé à ce devoir ou si on l’a mal rempli.

Pour prouver que c’est liien là la pensée dominante des auteurs en cette période, il nous suffira de reeourir à saint Alphonse, Theol. mnr., t. III, n. 616, éd. Gandé, t. II, p. 96. C’est en effet un des grands services que nous a rendus ce docteur, approuvé par l'Église, qu’il a comme dressé l’inventaire de tout le travail casuistique des sir-eles précédents.

Apre, avoir posé direct* nient et prat iquetnent la question : An fraudantes gabrllas percent et teneantur ihI ratttutlonemt, il répond : Senttnfla rommunissima et probabilior affirmai. En faveur de cette opinion, il

cite les noms de vingt-trois auteurs, parmi lesquels se trouvent les plus considérables des moralistes des siècles précédents ou du temps où il écrivait, comme les auteurs des grands traités De fustitia et jure (Molina, Lessius, Soto, Lugo), ainsi que Cajétan, Suarez, Sanchez, Diana lui-même, Viva, Lacroix, Concina, etc. Il eût pu en ajouter une foule d’autres, comme saint Antonin de Florence, ou invoquer le Catéchisme du concile de Trente, part. III, c. viii, q. 8, très net à présenter cette réponse comme l’enseignement courant de l'Église. Quant aux arguments apportés pour la fonder, saint Alphonse donne ceux par lesquels nous avons établi plus haut le devoir abstrait (Écriture sainte et argument de raison) : ils prouvent qu’il s’agit bien de justice stricte. Ajoutons que, parmi ces auteurs cités, s’ils sont unanimes à admettre cette obligation de justice, certains, comme nous allons le dire, admettent quelque atténuation quand il s’agit de la restitution.

2. Et cependant cette opinion la plus commune (remarquez que le superlatif restreint la généralité du qualificatif) n’est dite par saint Alphonse que plus probable. C’est qu’en effet, si répandue qu’elle fût, elle n’avait pas été sans rencontrer des contradicteurs. Une seconde opinion, refusant de reconnaître cette obligation de justice stricte, avait été formulée et même d’assez bonne heure. D’après elle, les lois fiscales étaient plutôt à considérer comme des lois purement pénales, n’imposant qu’une obligation adoucie, invitant certes à payer, mais n’obligeant sous peine de péché les récalcitrants ou les mauvais payeurs qu'à subir les peines et les amendes qui leur seraient infligées. C’est dès le xiiie siècle, semble-t-il, avec Henri de Gand, Quodlibet iii, q. xxii, que cette théorie de la loi pénale a fait son apparition dans l'étude théologique et juridique de la loi positive ; sa légitimité y sera tout à fait admise au xvie avec de Castro, Vitoria, Suarez, etc. Dès le xe siècle, Angelo Carletti de Chivasso, dans sa Summa Angelica (v° Peagium), l’applique au moins à certaines lois fiscales, non sans véhémentes protestations de la part de Sylvestre Priérias dans la Summa Sylvestrina (v° Gabella). Au xvie siècle, Martin de Aspilcueta, (le docteur Navarrus), dans son Manuale confessariorum, c. xxiii, n. 55 et 60 ; cf. c.xvii, n. 200, soutient avec force cette opinion pour toute loi fiscale qui porte des sanctions pécuniaires, c’est-à-dire pratiquement pour l’ensemble des impôts. Suivie par d’autres auteurs peu connus du reste (saint Alphonse cite Beja, Duardus, etc.), cette opinion a du moins été regardée par un certain nombre d’auteurs, partisans de la première opinion, Diana, Sanchez, Sa, Sayrus, etc., comme assez fortement probable pour libérer le confesseur d’imposer la restitution. Quant à saint Alphonse, il résume lis arguments présentés par les tenants de la deuxième opinion (volonté présumée du législateur de ne pas obliger à la fois à la faute et à la peine, amendes considérables imposées, disproportion des impôts avec les besoins réels des princes, si les impôts étaient parfaitement acquittés, etc.) et il conclut avec une certaine timidité : An autem propter has rationes (quie ceterum non videntur contemnendæ), ista (opinio) sit sufficienter probabilis, sapientioribus me remitto. Il ajoutera dans VHomo aposlolicus, tr. x, n. 81, que néanmoins il n’omet pas de conseiller la première opinion. Et pratiquement, au sujet de la restitution, il fait remarquer que généralement, au sujet dis impôts, Molina et Lugo estiment qu’il faut avertir 1rs peuple* de les payer, mais posl faclum non esse cogrndos ad rrslitutinnrm tributi (Irfraiidati. si jtrobabilitcr sibi Muniront, in tanin rrrligalium niiillihiilinr nliquid injustum ÊOlvlUé vel rompe/enter rontribuisse ad publicas neces*itates.