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TRIBUT. L’OBLIGATION FISCALE


n'était pas encore persécuteur de l'Église ; mais la doctrine est donnée comme générale : l’impôt est dû, même à un prince païen, en conscience et en vertu du pouvoir venant de Dieu que possède, en toute société voulue par Dieu, l’autorité suprême. Voir F. Prat, La théologie de saint Paul, 2e éd., 1912, t. i, p. 458 sq., le commentaire de Lagrange et celui de Huby, dans la collection Verbum salutis.

2. Enseignement patristique.

En partant de ces textes scripturaires, les Pères de l'Église, dans leurs commentaires des évangiles et de l'épître aux Romains, dans leur prédication et leurs ouvrages de morale rappellent avec ensemble le devoir de l’impôt comme une doctrine traditionnelle sur laquelle on ne peut avoir de doute. De ces très nombreux passages de leurs œuvres, nous ne donnerons que quelques références plus significatives : S. Justin, Apol., i, n. 17, P. G., t. vi, col. 353 ; S. Irénée, Cont. hmres., V, xxiv, 1, P. G., t. vii, col. 1187 ; Constitutions des apôtres, ii, 46 et iv, 13, 1. 1, col. 705, 825 ; Tertullien, Apol., c. xlii et d’autres textes cités par Guignebert, Tertullien, 1906, p. 206 sq., De idol., xv ; De fuga, xii ; Scorp., xiv ; S. Jean Chrysostome, In Episl. ad Rom., hom. xxiii, 2, P. G., t. lx, col. 617 ; S. Ambroise, Expos. Ev. sec. Luc., t. IX, 35, 36, P. L., t. xv, (1866), col. 1894 ; S. Augustin, Exp. Epist. ad Rom., n. 72, t. xxxv, col. 2083 ; Serm. xxxi, 1, t. xxxvii, col. 1591 ; Epist., xevi, n. 2, t. xxxiii, col. 356.

3. Doctrine des théologiens.

À leur tour, scolastiques et casuistes présentent cette même doctrine en cherchant à mettre en vue son fondement, c’est-àdire sa raison théologique et en étudiant ses applications. De saint Thomas à saint Alphonse, c’est toujours sur le caractère naturel de la société civile et du pouvoir politique, sur l’origine divine de l’une et de l’autre, sur les nécessités du bien commun et l’obligation générale d’obéir aux justes lois qu’ils établissent la raison du devoir fiscal. Certains parleront de quasicontrat existant entre les sujets et les princes touchant les impôts ; ce quasi-contrat est entendu par eux comme naissant de la nature même de la société civile et des nécessités naturelles.

Avec plus de précision qu’aux temps patristiques, ils s’efforcent de bien délimiter ce devoir : devant les abus du pouvoir et les excès de la fiscalité ils cherchent à établir les conditions générales requises pour que se forme et s’exerce l’obligation. Il ne peut s’agir que de justes impôts ; or, cette justice, déclarent-ils communément, suppose trois éléments : une autorité légitime reconnue comme telle ou tout au moins procurant suffisamment le bien commun, — une cause raisonnable, et non une fin immorale ou le simple bon plaisir et les satisfactions personnelles des princes, — une proportion convenable dans la répartition des charges entre les sujets et les contribuables.

Il nous est impossible — et il serait oiseux — de relever les principales étapes de cette longue suite ; signalons au moins comme point de départ la manière dont saint Thomas parie des impôts et de leur obligation dans sa réponse à la duchesse Alcyde de Brabant, qui, en 1261, entre autres questions, lui avait posé celle-ci : Si liceat exactiones (au sens d’impôts) facere in subditos christianos ? Opusculum xvii, éd. de Parme, t. xvi, p. 294. Après avoir posé en principe que les princes sont institués non ut propria lucra quærant, sed ut communem populi utilitalem procurent, il conclut à la légitimité de réclamer des contributions, soit collectée établies par coutume, soit secours extraordinaires selon les besoins publics, le prince pouvant du reste en vivre, tout en procurant l’utilité commune. De ce texte rapprocher, dans le Commentaire de l'épttre aux Romains, c. xiii, lect. 1, ce qui est dit des tributa, quasi stipendia ministerii (à entendre en vue du

bien commun), — dans la Somme théologique, II » -II", q. lxxxi, a. 1, le passage où est déclarée l’obligation des dîmes ecclésiastiques d’après le droit naturel, ce qui vaut aussi des impôts civils — enfin le texte du De regimine principum, t. III, c. xi, Opusc. xvi, éd. de Parme, t. xvi, p. 261, où son disciple Pto ! ornée de Lucques, achevant l'œuvre du maître, reconnaît la légitimité d’imposer des exactiones, et talliæ ac census, sioe tribula… dummodo non transcendant necessitatis metas…

A l’autre bout de la chaine, saint Alphonse, résumant tout le travail de trois siècles de casuistique, donnera brièvement à sa manière, Theol. moral., t. III, n. 616, éd. Gaudé, t. ii, p. 96, comme preuve de raison du devoir fiscal cette formule -….quiasicut rex teneiur vacare saluti populi, administralioni justitiæ et aliis oneribus ; sic contra, teneiur populus ex justitia et de jure naiurali solvere principi vectigalia ad ejus sustentalionem.

Valeur de cet enseignement.

De tout ce qui vient

d'être exposé, se dégagent clairement, croyons-nous, le caractère et la valeur sociale de la doctrine catholique sur l’impôt civil et son obligation générale : elle n’tst qu’une conséquence des principes admis par l'Église touchant la société civile, l’autorité politique, le bien commun fin de cette société, la loi obligeant les consciences, quand elle est juste et qu’on entend lui donner toute sa force.

C’est parce que l’impôt est un moyen nécessaire de procurer le bien commun dans une société naturelle, comme telle voulue de Dieu, et c’est dans la mesure où il sert ce bien commun, que le devoir fiscal s’impose aux citoyens et que les princes peuvent et doivent le leur imposer. Donc l’impôt est de droit naturel et son obligation est en principe obligation de justice naturelle ; sa détermination est un exercice de la justice distributive et son acquittement, un exercice de la justice légale.

L'étude plus poussée de ces divers points donnera lieu à des discussions, auxquelles se livreront avec ampleur les casuistes ; nous les résumerons tout à l’heure. Pour le moment, il suffira d’avoir noté qu’en principe l’obligation de l’impôt repose sur la justice naturelle et atteint la conscience.

La conséquence en est considérable : même si en fait, au concret, quand il s’agira de saisir la faute de l'évasion fiscale ou de son accomplissement imparfait, ainsi que le devoir de la restitution, on peut différer d’avis et ne pas arriver à des certitudes parfaites, il restera pour le sujet une obligation générale d’accepter l’impôt et de l’acquitter ; il devra être dans cette disposition générale de lui faire, si nous pouvons dire, bonne figure et de ne pas « rechigner » devant le fisc. Qu’on ne dise pas : qu’importe cette disposition générale ? D’abord elle devra s’affirmer, pour être sincère, par des actes ; et puis, on sait l’importance majeure qu’ont ces dispositions pour la vie personnelle et pour l’atmosphère sociale. Le casuistc, qui cherche à délimiter le péché — et le péché grave — pourra s’en désintéresser et, pour l’aveu confessionnel strictement requis, la regarder comme négligeable ; le directeur n’aura pas de peine à y voir un élément important de la tenue générale de l'âme et le sociologue un facteur capital de la paix sociale et de la saine ambiance civique. De même que le devoir de l’aumône se traduit, d’abord et avant tout, par l’obligation fondamentale et sincère d’avoir le cœur ouvert aux détresses d’autrui et prompt à le secourir, ce sera pour les citoyens la première conséquence du devoir fiscal d'être prêts à soutenir de leurs deniers et de leurs biens leur patrie, d’aider ceux qui la dirigent à la rendre prospère : élément qu’on ne saurait trop estimer de paix sociale et de vrai progrès.

Ajoutons que, par là, cette doctrine catholique de l’impôt se distingue déjà à fond des théories déficientes par lesquelles le libéralisme et le socialisme