Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.1.djvu/763

Cette page n’a pas encore été corrigée
1511
1512
TRÉVOUX (MÉMOIRES DE)


plus grande objectivité ; on les admit de nouveau plus tard, mais sous le contrôle de la rédaction. Les rédacteurs, dit la Préface, s’efforceront de garder la stricte neutralité, « excepté quand il s’agira de la religion, des bonnes mœurs ou de l'État, en quoi il n’est jamais permis d'être neutre ».

Le journal continua à paraître régulièrement, bien que souvent en retard, sauf en 1720, où, pour rattraper de gros retards, on supprima les numéros de juin à décembre. Il obtint rapidement un grand succès ; les contributions affluèrent si nombreuses qu'à partir de 1702 il fallut le publier tous les mois et ajouter de temps à autre des feuilles supplémentaires. Comme il était inévitable, les jugements portés sur certains livres soulevèrent assez souvent les protestations des auteurs et entraînèrent parfois de vives controverses. Dans l’ensemble, les rédacteurs gardèrent l’impartialité et la modération promises ; ils n’y réussirent cependant pas toujours. Le P. Sommervogel écrit : « Cette stricte neutralité, charitable utopie des rédacteurs, a-t-elle toujours été pratiquée ? Non, et elle ne pouvait pas l'être. Du moins une rigoureuse justice dictat-elle toujours leurs jugements ? Il ne nous coûtera pas de répondre négativement, après les aveux qu’ont fait souvent à ce sujet les rédacteurs eux-mêmes. » Essai, p. xvii.

En 1731, un coup imprévu frappa les Mémoires. » Le duc du Maine, dit-on, fatigué des plaintes qu’on lui faisait sans cesse contre cet ouvrage, refusa un nouveau privilège. » Table du Journal des Savants, t. x, p. 670. Nous ignorons les causes exactes de ce revirement ; le journal lui-même n’en fait aucune mention. A partir d’avril 1731, les Mémoires sont imprimés à Lyon. Les armes du duc du Maine disparaissent du frontispice ; le titre est légèrement modifié : « Mémoires… commencés d’imprimer l’an 1701, à Trévoux, et dédiés à S. A. S. Monseigneur le duc du Maine… » Ce n'était là qu’une solution provisoire. Les multiples inconvénients causés par l'éloignement de l’imprimerie subsistaient. On trouvait que le journal baissait, qu’il ne gardait plus suffisamment l’impartialité et la modération du ton.

Une fâcheuse maladresse attira à la rédaction de nouveaux et graves ennuis. Dans le numéro de juin 1731, les Mémoires insérèrent une lettre signée Michel Fichant, prêtre du diocèse de Quimper. Le correspondant prétendait établir que les Élévations sur les Mystères, publiées comme œuvre posthume de Bossuet par l'évêque de Troyes, son neveu et homonyme, n'étaient pas authentiques. Dans une réponse faisant suite à la lettre, la rédaction adopta ces conclusions en les accentuant. L'évêque de Troyes, depuis toujours très opposé, au point de vue de la doctrine, aux journalistes de Trévoux, porta en 1733 l’affaire devant le Parlement de Paris. Le P. provincial et les supérieurs des trois maisons de Paris durent reconnaître la conformité du texte imprimé avec le manuscrit autographe de Bossuet, faire amende honorable et s’engager à veiller de plus près sur la rédaction. Non content d’avoir eu gain de cause, le prélat publia une longue Instruction pastorale au sujet des calomnies avancées dans le journal de Trévoux, Paris, 1733, dans laquelle il épancha, en des termes extrêmement violents, son irritation contre les rédacteurs des Mémoires et les jésuites en général. Pour ces diverses raisons, un changement plus radical s’imposait.

2° Les Mémoires à Paris (1734-1762). — À partir de janvier 1734, les Mémoires furent imprimés à Paris. De nouveaux rédacteurs furent désignés, sous la direction du P. Rouillé. Rapidement le journal se releva. Le duc du Maine lui rendit son patronage et ses armes reparurent sur le frontispice. Le duc mourut en 1736 ; son fils et successeur, Louis-Auguste de Bourbon,

accepta de continuer le patronage. En 1737, des raisons de santé obligèrent le P. Rouillé à quitter la rédaction. Nous ignorons qui fut son successeur immédiat. À partir de 1745, la direction fut assumée par le P. Berthier, qui devait être le dernier directeur jésuite. Grâce à l’impulsion donnée par les nouveaux rédacteurs et à leur prudente réserve, les Mémoires jouirent pendant quelques années d’un calme presque constant ; leur réputation croissait rapidement, au point de susciter en Italie deux essais de traduction (voir cidessous).

Mais la paix ne pouvait pas durer, malgré toute l’impartialité et la modération des rédacteurs. « L’impiété, cachée sous le nom de la philosophie, commençait une guerre acharnée contre la religion… Des ouvrages nombreux, infestés de principes irréligieux, circulaient partout… Les Mémoires de Trévoux… entrèrent dans la lutte avec courage, mais avec calme et prudence. » Sommervogel, Essai, p. lxxii. Tout en les combattant, ils n’hésitèrent d’ailleurs pas à reconnaître les mérites des Philosophes : « Il est dû de justes éloges aux nouveaux philosophes, pour avoir débarrassé la philosophie de je ne sais combien d’entités, de formalités et d’autres termes qui ne signifient rien… (Ils) ont souvent détruit avec succès, mais ils n’ont pas toujours bâti avec le même succès… La physique… est aussi incertaine que jamais et la métaphysique n’a guère de consistance. » Janvier 1747, p. 185. La lutte fut déchaînée surtout par les critiques que fit le P. Berthier de V Encyclopédie, dans laquelle il releva, avec preuves à l’appui, « des propositions repréhensibles en matière de religion », une insigne mauvaise foi et des plagiats nombreux. Les encyclopédistes obtinrent du magistrat que défense fût faite aux Mémoires de continuer leurs critiques. Pendant quinze ans, ils poursuivront le P. Berthier, les Mémoires et les jésuites, de leur haine et de leurs attaques violentes ; Voltaire se signala particulièrement dans cette lutte. Par contre, en dehors de ces adversaires aveuglés par la haine, on reconnaissait universellement les grands mérites du directeur des Mémoires, sa science aussi étendue que sûre, sa prudence et sa modération, sa piété.

La réputation toujours croissante du journal engagea, vers 1750, les libraires Chaubert et Briasson « a réimprimer, réparer, vérifier dans les Mémoires tout ce qui en avait besoin », afin de pouvoir fournir des collections complètes aux nombreux amateurs. On songea également à publier une table de tous les volumes parus. Les circonstances empêchèrent le projet d’aboutir ; il ne sera réalisé que plus de cent ans plus tard par le P. Sommervogel.

En 1762, la Compagnie de Jésus fut supprimée en France ; le 1 er avril, le collège Louis-le-Grand fut fermé. Le dernier numéro des Mémoires publié par les jésuites est celui de mai 1762. Malgré les vives instances et la promesse d’une pension considérable que lui fit le chancelier de Lamoignon, le P. Berthier refusa de continuer le journal après la dissolution de son ordre.

3° Après les jésuites (1762-1782). — On tenta de sauver le journal. Sous divers patronages — les armes du duc du Maine disparaissent du frontispice en 1766 — il eut successivement pour directeurs : Jean-Louis Jolivet, docteur en médecine de la faculté de Reims, « pauvre auteur d’un ouvrage anonyme Secret du gouvernement jésuitique » (1762-1764) ; le P. Mercier, génovéfain, plus connu sous le nom d’abbé de SaintLéger (1764-1766) ; l’abbé Aubert (1766-1774). En 1768, tout souvenir de l’ancien journal, jusqu’au nom de Trévoux, disparut du frontispice et on inaugura une nouvelle série de volumes sous le titre de Journal des Beaux-Arts et des Sciences. En 1774, les frères