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TERTULLIEN. ÉCRITS


modeste et ne sortir que la tête voilée, il prétend mesurer la longueur du voile qui leur est imposé. Lorsqu’il veut jouer le rôle de directeur de conscience, et cela lui arrive souvent, il multiplie sans mesure les règles les plus minutieuses et les plus strictes : malheur à qui refuserait de se soumettre ; celui-là, il n’hésite pas à le condamner à l’enfer, où ses supplices serviront de spectacle durant l’éternité aux élus du ciel.

Doué, comme il l’est, d’une magnifique éloquence, Tertullien trouve pour exprimer ses idées, un style d’une puissance incomparable. Il connaît, pour les avoir étudiées dans les écoles, toutes les ressources de la stylistique, de la dialectique, de la rhétorique ; mais il ne se laisse pas embarrasser par les règles trop strictes des grammairiens. A-t-il besoin d’un mot nouveau, il n’hésite pas à le forger. Lorsque la syntaxe classique ne lui permet pas d’exprimer avec assez de vigueur ses sentiments, il la laisse de côté, pour écrire des phrases abruptes, incorrectes, mais chaudes et vivantes. Tous ses ouvrages sont des plaidoyers : composés avec art et méthode, ils ne perdent jamais de vue le but qu’ils se proposent d’atteindre ; mais les arguments qu’ils emploient sont loin d’avoir tous la même valeur. En juriste consommé, Tertullien sait faire appel à toutes les ressources de la procédure et de la casuistique ; même lorsqu’il défend une mauvaise cause, ce qui lui arrive assez souvent, il discute avec vigueur, mais il ne redoute pas les sophismes les plus discutables.

A peine est-il nécessaire d’ajouter qu’il n’est pas un écrivain facile. Il se plaît à dire beaucoup de choses en peu de mots, ainsi que le remarquait déjà saint Vincent de Lérins : quot peene verba, lot sententiæ, Common. , c. xviii, et sa concision le rend souvent obscur. Ses formules, lourdes de sens, se laissent à peine traduire dans une autre langue ; souvent même, on hésite devant l’interprétation exacte d’un mot nouveau, d’une construction inattendue, d’une formule à effet : te livre qu’il a écrit Sur le manteau en particulier ne cesse pas de faire le désespoir des commentateurs.

Malgré ses défauts et peut-être en partie à cause d’eux, Tertullien ne laisse pas d’être un très grand écrivain. Il nous apparaît comme le créateur de la langue théologique latine. Personne, à la fin du n c siècle ne peut rivaliser avec lui pour la puissance de l’éloquence et pour la richesse de la langue.

II. Écrits.

Tertullien a beaucoup écrit : entre 197 et 213 surtout, son activité littéraire a été des plus técondes ; plus tard, après sa définitive rupture avec l’Église catholique, il s’est réfugié dans un silence presque toi al. a peine interrompu de temps à autre par des niais bruyants.

Nous avons la bonne fortune de posséder la plus grande partie de ses ouvrages. Malheureusement, la tradition manuscrite en laisse fort à désirer. Le manuscrit le meilleur de beaucoup est le Parislnus 1622, plus connu sous le nom d’Agobardinus, parce qu’il a été copié au ixe siècle pour l’évêquc de Lyon, Agobard ( « l I 810). Encore ce manuscrit est-il incomplet ; la fin en est perdue depuis 1res longtemps < ! le fait est d’autant plus regrettable que la partie perdue renier mail plusieurs livres dont nous n’avons plus aucune copie.

I Ht-deuxième couche de manuscrits est représentée par le Montispessulanus W ci le Paterntacerwii t39 (aujourd’hui a Sélestal >. qui datent du xie siècle. Ces manuscrits sont encore satisfaisants dans l’ensemble, mais ils contiennent déjà un texte remanié sous l’influence, semble I il. des moines de Cluny.

Enfin, la tradition la plus récente appartient au xv siècle. Elle est représentée par plusieurs manuscrits, dont les plus connus sont à la bibliothèque na tlonale de i lorem i Les corrections arbitraires y sont

multipliées à foison, ’b-telle sorte qu’on ne peut avoir

qu’une confiance mitigée dans le texte qu’ils renferment.

Beaucoup des ouvrages de Tertullien ne sont conservés que dans un seul manuscrit. Pour le De jejunio et le De pudicitia, nous sommes même obligés de recourir, à défaut de manuscrit, aux éditions du xvie siècle et la situation était semblable pour le De baptismo jusqu’à la découverte, encore récente, d’un manuscrit de Troyes.

Seule, V Apologétique a été très souvent copiée ; encore l’établissement du texte présente-t-il des difficultés spéciales, par suite de l’existence de deux recensions très différentes l’une de l’autre ; la première est représentée par un Codex Fuldensis, aujourd’hui perdu, mais dont les leçons ont été conservées grâce à un érudit du xvie siècle Fr. Junius ; la seconde est contenue surtout dans plusieurs manuscrits de Paris, dont l’un, le 1623, remonte au xe siècle. L’accord n’est pas encore fait entre les philologues sur les mérites respectifs des deux recensions et sur leur origine. Les uns, comme Callewært, se prononcent résolument en faveur du Fuldensis, tandis que d’autres, avec J. Martin, préfèrent de beaucoup la tradition parisienne.

La chronologie des œuvres de Tertullien est difficile à établir avec précision. Quelques points de repère nous sont fournis soit par les mentions que fait l’auteur lui-même de ses ouvrages antérieurs, soit par les allusions à des événements historiques connus par ailleurs. D’une manière plus générale, on peut suivre, au moins dans ses grandes lignes, la désaffection croissante de Tertullien envers l’Église catholique : aux livres pleinement catholiques succèdent, à partir de 203 environ, des ouvrages de plus en plus défiants, de plus en plus hostiles, jusqu’à ce que, vers 213, la rupture se manifeste définitive avec le De fuga in persecutione. Nous répartirons, dans la liste suivante, les ouvrages de Tertullien entre les trois périodes que nous venons d’indiquer.

Période catholique.

1. Liber ad amicum philosophum,

avant 197. Livre perdu.

2. Ad martyres, P. L., t. i (édit. « le 1811), col. 619628 ; début de 197 ou 202-203.-— Tertullien s’adresse aux chrétiens emprisonnés, pour les exhorter à garder la paix entre eux et à souffrir courageusement pour la foi du Christ.

3. Ad nationes, P. L., I. i, col. 559-608 ; après février 197. — Écrit apologétique en deux livres, consacrés l’un à dénoncer les crimes des païens, l’autre à réfuter les doctrines polythéistes. Le texte de cet ouvrage est incomplet. Édition critique de J.-G. l’h. BorlelTs, Leyde, 1929.

4. Apologeticum, P. /… I. i, col. 257-536 ; fin de 197.

— Ouvrage adressé aux gouverneurs des provinces et spécialement à celui de l’Afrique. Tertullien se propose avant lout de démontrer que la procédure utilisée contre les chrétiens est Illégitime et injuste. Les chrétiens ne sont pas coupables des crimes dont on les accuse : infamies secrètes, comme l’infanticide et l’inceste ; crimes publics et politiques, comme l’impiété et la lèse majesté, bai réalité, c’est le nom chrétien qui seul est poursuivi et rien n’est aussi contraire au droit que cette manière de faire. Du reste, les mesures de persécution sont vaines : bien loin d’empêcher le

Christianisme de se répandre, elles ne servent qu’à

accroître son rayonnement : Plurrs rfjirimur quotas

mrtinmr a vobiêj srmrn est iafigu.it rhristianorum. <. i „

L’A/iologétiqur est sans aucun doute le chef-d’œuvre

de Tertullien. Nulle part ailleurs, l’auteur n’a été aussi bien seri p.n >a parfaite connaissance du droit, par son érudition, par le souvenir de ses lecl mes classiques

et surtout par son (aient naturel et son éloquence pas sionnée. Il faut se garder de prendre à la lettre toutes

ses affirmations : lorsqu’il déclare, par exemple, que les