Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.1.djvu/709

Cette page n’a pas encore été corrigée
1403
1404
TRANSSUBSTANTIATION


De Lugo, sous, les mêmes espèces se succèdent l’un à l’autre deux substances avec le même rôle de sujet des accidents.

Si l’on accepte la première hypothèse, on ne voit plus comment sauvegarder la propriété du mot « transsubstantiation », qui implique le passage de toute la première substance en toute l’autre substance. Le terme du départ (extremum a quo) est, en effet, purement et simplement annihilé par soustraction de l’inllux divin. Or, ce qui est annihilé ne peut être dit vraiment et à proprement parler passer tout entier en un autre être positif.

Dans la seconde hypothèse, on ne doit point tout d’abord accorder qne la succession de deux substances sous une troisième entité, même dans le cas où ces deux substances présentent le même rapport avec cette troisième entité, suffise pour comporter le passage de l’une en l’autre. Dirat-on que l’eau devient du viii, parce que dans la même outre on dépose du vin après l’eau ? Mais acceptons qu’on puisse parler ici de conversion : il n’en est pas moins vrai que cette conversion ne pourra être appelée, de son nom propre, une « transsubstantiation. Dans toute expression employée pour désigner une conversion où il subsiste un élément commun, le préfixe trans se rapporte à ce qui demeure ; la terminaison du mot se rapporte à ce que l'élément commun perd et acquiert dans la conversion. Ainsi s’expliquent les termes : trans-formalion, trans-figuration, truns-location ; ils désignent le passage d’un seul et même sujet sous des formes et des figures et en des lieux différents. Il en va de même dans le cas présent : le préfixe devrait se référer à l'élément qui subsiste, les accidents ; et la conversion dont il s’agit devrait marquer le passage du premier sujet des accidents lequel était la substance du pain en l’autre sujet qui serait, en l’occurence, la substance du corps du Christ. On ne devrait donc pas parler de transsubstantiation, mais de transsubjectation. De euchar., q. lxxv, § 3, tertio, 6e éd., p. 359.

Mais, de plus, comment sauvegarder l’expression : transsubstantiation, dans les deux théories en cause ?

Dans sa Disquisitio, Piccirelli s’est efforcé de répondre à cette première argumentation en montrant que le concept de conversion, tel que le présente Billot, ne s’impose pas aussi rigoureusement en regard des décisions du magistère, p. 17-38, et surtout, en ce qui concerne le concile de Trente, p. 27-32. Les modernes ne nient donc pas la conversion, mais ils s'écartent du concept que s’en sont formé les anciens et, avec eux, Billot et ses disciples, p. 48, § 1.

Mais voici que, tournant directement sa critique contre les systèmes modernes, Billot entend démontrer avec évidence qu’il est impossible que le corps du Christ soit rendu présent dans l’eucharistie par voie de production ou d’adduction.

Comment, en effet, concevoir une « production » du corps du Christ ? Métaphore ou réalité? Dans le premier cas, rien ne s’est produit sur l’autel et tout demeure en état. Dans le second cas, c’est une nouvelle substance du corps du Christ qui est produite et qui ne saurait être identifiée avec le corps présent au ciel. Comment alors affirmer que le Christ de l’eucharistie est le Christ né de la vierge Marie, le Christ qui a été attaché à la croix pour le saiut du monde et qui siège aujourd’hui à la droite du Père ?

Comment concevoir une adduction du corps du Christ ? Les anciens scolastiques, n’ayant aucune idée du mode de localisation, ubicatio, inventé par les théologiens postérieurs, excluent l’hypothèse de l’adduction en montrant l’impossibilité évidente d’expliquer la présence du Christ dans l’eucharistie par un mouvement local. Cf. saint Thomas, III », q. lxxv, a. 2. Pour se tirer d’affaire, les modernes, et notamment Suarez et De Lugo, ont imaginé un mode intrinsèque de localisation, entité métaphysique causant la présence d’une chose en un lieu, sa transmission en un autre lieu même fort distant sans abandonner le premier, pourvu toutefois que cette nouvelle présence locale soit due à un nouveau mode ou principe de localisation. On verra à l’art. Ubiquisme que Brenz, pour justifier la présence du Christ dans le pain eucharistie, n’a rien inventé de plus que ces théologiens

catholiques. Billot n'éprouve aucune peine à montrer toutes les contradictions inhérentes à cette hypothèse, produit de l’imagination plus que de la raison. Quelle réalité accorder à ce mode ? Localisation affectant le corps du Christ déjà localisé au ciel ? En admettant cette multilocation, comment la concevoir sans être obligé d’admettre la multiplication du corps du Christ ? Et s’il y a de multiples localisations du corps du Christ, elles existeront par concomitance partout où ce corps se trouvera, « d’où il suivrait que le Christ à Borne serait en Amérique et le Christ en Amérique serait à Borne : tissu de contradictions ! » Op. cit., thèse xxxix, § 3. Billot aurait pu ajouter que, pour pallier à ces contradictions, la plupart des auteurs précités recourent à l’hypothèse d’une sorte de spiritualisation du corps du Christ, lui permettant de se trouver actuellement sous toutes les espèces consacrées, mais réduit ad punctum et avec une extension simplement « aptitudinelle ». Cf. Hervé, Manuale theol. dogm., t. iv, n. 72. On peut avec quelque fondement se demander quelle a été l’influence de cette opinion sur la thèse cartésienne de l’eucharistie.

Piccirelli ne répond pas directement à ces critiques, mais déclare superflues ces hypothèses d’une localisation modale et d’une union du corps du Christ avec les accidents. Cela mis à part, il se rallie en substance à la thèse de Suarez, p. 177 sq. ; cf. p. 263 sq. Mais Billot conclut à la nécessite de revenir aux formules de saint Thomas et des veteres du xiiie siècle. Ceux-ci soutiennent que « par la transsubstantiation, toute la substance du pain disparaît. Cependant on ne saurait dire qu’elle est anéantie. L’annihilation, en effet, est le retour au néant. Or, par la transsubstantiation, la substance du pain et du vin ne retourne pas au néant ; mais elle est tout entière changée, convertie à la substance du corps et du sang du Christ, conversion qui fait un lien intime entre les deux effets : cessation de la substance du pain, présence du corps du Christ. Conversion et annihilation sont deux notions bien différentes : le dogme de la présence réelle affirme la première et exclut la seconde. Il ne faut donc pas imaginer que Dieu annihile d’abord (en cessant de la conserver) la substance du pain, puis par une action positive rende présent le corps du Christ sous les espèces eucharistiques. C’est par le passage de toute la substance du pain au corps du Christ (conversion) que celui-ci devient présent ». A. -A. Goupil, op. cit., p. 49. Ajoutons, pour résumer plus complètement la pensée de Billot, qu’en raison de cette conversion totale de la substance du pain en sa propre substance, le Christ ne reçoit aucune addition, aucun changement, hormis la présence sacramentelle, laquelle n’apporte aucune modification intrinsèque à l’humanité sainte du Sauveur, puisqu’elle est réalisée par la relation de contenant à contenu que les espèces sacramentelles acquièrent à l'égard de la substance du corps du Christ en qui s’est changée le contenu précédent, la substance du pain. Aucun accroissement quantitatif au corps du Christ : dès lors qu’il s’agit d’une conversion de toute une substance en une autre substance préexistante, il ne peut être question de quantité qui « ajoute » à cette substance préexistante. On ne saurait même envisager que la matière de la première substance s’ajoute à la matière de la seconde en laquelle elle se transformerait, précisément parce qu’il est ici question, non de transformation, mais de transsubstantiation. Cf. Billot, q. lxxv, § 4 (éd. cit., p. 366-367) et Silvestre de Ferrare, Cont. gent., t. IV,

c. LXI1I.

Outre Cajétan qui — malgré une divergence sur un point connexe — a maintenu sur ce point la tradition thomiste, il faut citer les partisans contemporains du retour à cette tradition : Gihr, Les sacrements de