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TRANSFORMISME. CRITIQUE TIIÉOLOGIQUE


Ce chapitre exprime au mieux les preuves d’ordre scripturaire et de < raison théologique » qui appuient l’enseignement donné. On sait, toutefois, que ce chapitre n’a été ni promulgué, ni même discuté. Du moins indique-t-il l’état de la dogmatique en 1870 : tendance à considérer l’origine unique du genre humain comme une vérité révélée, raisons apportées à l’appui de cette vue. Il ne semble pas que les théologiens d’aujourd’hui se soient beaucoup départis de cette rigidité. Us sont quasi unanimes à exclure comme inadmissible, en fait, l’hypothèse du polygénisme et même un monogénisme qui mettrait aux origines de notre humanité non pas un seul couple, mais un seul groupe humain. « Il paraîtra donc difficile d’envisager des essais de solution tels que ceux-ci : le péché originel pourrait être le fait d’une collectivité ; le c. v de l’épître aux Romains ne serait que l’affirmation de l’universelle culpabilité de l’humanité et de son rachat intégral, et non pas l’affirmation de l’origine commune de tous les hommes. » Albert F. de Lapparent, Nos origines, Paris, 1944.

2. État primitif de l’humanité.

Les mêmes réflexions s’imposent quand l’on confronte les dires des naturalistes sur l’état primitif, physique et psychique de l’humanité et la théorie construite à partir des données bibliques et des enseignements de la révélation par les théologiens sur le même sujet.

Tablant sur l’élévation du premier homme à l’état surnaturel — qui est un dogme de la foi chrétienne — la théologie a spéculé ultérieurement sur un ensemble de prérogatives, dites préternaturel’.cs, qui furent accordées aux premiers parents, comme une sorte d’efflorescence de la vie surnaturelle, en même temps que comme une protection de celle-ci. À sa sortie des mains du Créateur, disent les théologiens, le premier homme possédait, avec le droit conditionnel à l’immortalité du corps, une domination parfaite de l’âme sur les tendances inférieures, une connaissance encore des choses de l’âme et de Dieu assez grande pour faire de lui le chef et l’éducateur religieux de sa descendance. L’équilibre de ses qualités corporelles le mettait enfin à l’abri de la maladie et des misères de toutes sortes. Les divers représentants de la théologie ont renchéri, à qui mieux mieux, sur ces données et se sont fait de nos premiers parents un portrait idéal, au physique comme au moral. Ne parlons pas des artistes. En donnant au premier couple humain, à la première femme surtout, une admirable beauté physique, à travers laquelle transparaissait la splendeur éclatante, encore que toute ingénue, de l’âme, ils ne faisaient que se conformer aux enseignements des docteurs.

A comparer avec ce portrait idéal les reconstitutions que tentent de l’homme « primitif » les modernes naturalistes, le théologien se trouvera, sans doute, assez loin de compte. Au moment où elle se détache de l’animalité et prend ses caractères spécifiques, l’humanité est loin, à l’estimation des savants, de cette beauté idéale dont il a plu aux artistes de parer nos premiers parents. On a essayé, à l’aide des très nombreux restes conservés, de reconstituer l’aspect extérieur de la race de Néanderthal, qui pourrait bien être la race « humaine » la plus ancienne. Il est bien difficile de ne pas reconnaître l’aspect encore bestial des individus, assez nombreux et assez dispersés dans l’espace, dont on a confronté les restes. L’ « homme de la Chapelle-aux-Saints », un des spécimens les plus complets de cette race, n’était certainement pas un Adonis et, par ailleurs, autant que l’on en peut juger par les dimensions de son crâne et les circonvolutions de son cerveau, ce ne devait pas être un homme de génie. S’il nous faut nous représenter sous ces espèces les premiers représentants de l’humanité, nous voilà très loin du portrait que nous fournit

la théologie. Au fait ce ne serait pas dans le passé le plus éloigné qu’il faudrait chercher l’homme idéal ; c’est, au contraire, quand on avance dans le temps, que se rencontreraient des types plus évolués, la supériorité esthétique et physique s’accompagnant, jusqu’à un certain point, de la supériorité intellectuelle et morale. Le « miracle grec » ne pouvait se réaliser, à coup sûr, par les hommes de Néanderthal et il a fallu encore des millénaires pour polir et amenuiser la « race, plus dégrossie déjà, de Cro-Magnon » et la rendre capable des réalisations scientifiques, artistiques, intellectuelles, voire morales, dont témoignent les grandes civilisations du proche Orient. La perfection de l’humanité, pensent les naturalistes, loin de se trouver aux origines, est la conséquence d’un progrès et d’une évolution.

Des hypothèses diverses ont été faites par quelques penseurs pour répondre à ces difficultés qui ne sont pas toutes imaginaires. Les races « primitives » dont nou :  ; retrouvons les restes sont, a-t-on dit, des races dégénérées et ce n’est pas la toute première humanité que nous retrouvons en elles. S’il est un descendant de l’Adam biblique, l’homme de la Chapelleaux-Saints n’a guère de chances de nous fournir un portrait ressemblant de son aïeul. Éminemment plastique en cette période de ses origines, la première race humaine a subi plus ou moins vite, dès qu’elle s’est éloignée de son habitat primitif, les conséquences de la lutte pour la vie, qui s’est faite pour elle de plus en plus âpre. Cette lutte contre les forces ennemies de la nature a retenti dans son psychisme, aussi bien que dans sa constitution anatomique, et le transformisme, qui a comme principe fondamental la plasticité même des espèces vivantes, aurait mauvaise grâce à contester ici l’application de cette loi. Loin d’être en marche vers le progrès, l’homme de Néanderthal prenait le chemin de la dégénérescence. Avec un peu de bonne volonté et d’esprit « concordiste », on arriverait à trouver dans son cas une confirmation des données théologiques : les prérogatives naturelles accordées au chef de l’humanité ne sont pas passées à sa descendance. Tout au contraire, l’abâtardissement rapide de la race devait être l’inévitable conséquence de la faute primitive et les récits génésiaques ont conservé le souvenir de cette décadence. L’hypothèse vaut ce qu’elle vaut ; les biologistes ne sont pas d’accord à son sujet, cf. art. Polygénisme, col. 2531 ; mieux vaut ne pas y insister et se garder d’un « concordisme » que de nouvelles découvertes pourraient bien démentir. Retenons pourtant ce qu’elle a de juste : en fait nous ne pourrons jamais dire exactement si nous atteignons, dans les découvertes paléontologiques, l’humanité tout à fait primitive.

Une autre hypothèse admettrait une distinction réelle et substantielle entre la race de Néanderthal et la race ultérieure qui, en se diversifiant a donné les races humaines actuelles, entre l’homo faber et l’homo sapiens. En ce dernier seulement se réaliserait la définition propre de l’humanité, tandis que l’homo faber, aussi bien par sa constitution physique que par son psychisme, se révélerait encore comme tout enfoncé dans l’animalité. Intermédiaire entre l’homme et l’animal, cette créature pouvait très bien ne point participer à ce qui fait aux yeux du philosophe l’homme véritable, ne point posséder une âme raisonnable, libre, et dès lors immortelle. Que l’homo faber ainsi entendu ait précédé, sur la planète, l’homo sapiens et qu’il ait disparu au moment où celui-ci arrivait au jour, ou bien qu’il ait coexisté avec ce dernier, la chose est, somme toute, d’importance secondaire. On peut s’imaginer l’homo sapiens luttant contre l’homo faber, comme il avait à se défendre des grands fauves ou d’autres anthropoïdes moins évolués. Pour