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TRANSFORMISME. CRITIQUE THÉOLOGIQUE


le récit plus majestueux du grand élohiste concorde moins malaisément avec nos modernes conceptions ; mais, si le heurt est moins violent, c’est tout simplement parce que le c. i de la Genèse est si peu chargé de données positives qu’il ne risque guère de contredire la représentation que, progressivement et par bonnes preuves, nous sommes arrivés à nous faire des origines du monde, de la terre, de la vie animale ou végétale. Ne demandons pas au grand élohiste un cadre où tiendraient nos récentes acquisitions.

Dès lors il va de soi que l’on ne saurait non plus lui poser la question de savoir si les diverses espèces animales ou végétales sont des entités invariables, ou si, au contraire, elles peuvent donner naissance à des formes différentes d’elles-mêmes. Les animaux aquatiques, foisonnant dans les eaux selon leur espèce, les oiseaux qui multiplient sur la terre, les bêtes des champs et les « animaux domestiques », les reptiles enfin, tout ce règne animal dont parle l’auteur sacré, pour ne rien dire du règne végétal, c’est, de toute évidence, celui-là même qu’il a sous les yeux. Comment il est venu à l’être, c’est ce qu’il ne se gêne pas pour dire : c’est par un foisonnement des eaux primitives et par une sorte de poussée de la terre, les eaux, la terre étant fécondées par l’ordre divin. Rien qui rappelle, même de très loin, les immenses durées des temps géologiques, les multiples renouvellements de la faune et de la flore, les perfectionnements successifs de l’une et de l’autre. Le fixisme avec sa théorie des catastrophes suivies de créations nouvelles, le transformisme avec sa lente et paisible évolution des formes vivantes sont également inconnus à notre auteur. Il ne favorise pas plus l’un que l’autre, parce qu’il n’a pas, qu’il ne peut avoir la moindre idée de l’un ni de l’autre.

Le récit sacré impose néanmoins au transformisme une limite que déjà la philosophie spiritualiste lui avait marquée : il oblige à reconnaître une intervention spéciale de Dieu dans l’apparition de l’espèce humaine et, dans l’homme, des caractères qui établissent un hiatus entre l’humanité et l’animalité. Pour un spiritualiste il est précieux de savoir cette doctrine mise en pleine sûreté par la révélation. Mais cette dernière n’impose, semble-t-il, rien de plus. Que l’action divine se soit exercée à la fois sur le corps et sur l’âme de l’homme, en sorte que, pour reprendre les expressions du naïf écrivain jahviste, celui-ci soit sorti, tout neuf, si l’on peut dire, des mains de Dieu, ou que, suivant le processus que nous avons esquissé plus haut, col. 1380, l’action de la Cause première ait dirigé, en y infusant une âme raisonnable, le développement, au sein d’un organisme préexistant, du germe qui devait donner un jour le « petit si différent de ses géniteurs, peu importe, après tout. Nous nous représentons malaisément ce qu’a pu être cette action divine. L’apparition du petit d’hominien ci-dessus décrite ne va pas sans nous choquer un peu ; le rôle de potier de terre que l’écrivain jahviste attribue au Seigneur n’est pas soutenable ; l’apparition soudaine d’un homme ou d’un couple humain, au sein de la nature, n’est pas facile à imaginer I Laissons donc l’imagination et affirmons simplement, avec le livre inspiré, que, dans la nature, l’humanité occupe une place spéciale ; que, pour la faire venir à l’être, le Créateur est intervenu d’une façon particulière, quelle qu’ait pu être celle-ci ; que cette intervention est à l’origine de cette dignité propre à l’homme créé à l’image de Die u. que c’est essentiel I, ment par son âme Intelligente et libre que l’homme Ht ainsi fait à la ressemblance du Créateur. En d’autres termes, le t raie f’irmiMiic thei I < ! spiritualiste ne nous semble pas en contradiction avec les données les plus authentiques des Livres saints.

2. Les données de la Tradition.

Sous le nom de Tradition, nous entendons ici l’interprétation qu’ont pu donner des récits génésiaques les Pères de l’Eglise et les commentateurs approuvés.

Une première remarque s’impose dès l’abord : les divers commentateurs n’ont pu expliquer le texte sacré qu’en fonction de leurs connaissances scripturaires, d’une part, et de leur acquit scientifique, de l’autre. Or, ils admettaient tous que, pris bout à bout, les chapitres successifs de la Genèse représentaient une « histoire », au sens propre du terme, du monde, de l’humanité, des premières origines de celle-ci, de ses premiers développements enfin, jusqu’au moment où, de cette histoire générale, se dégageait celle du peuple d’Israël. Sur ce thème ils plaquaient, du moins mal qu’ils pouvaient, les connaissances d’ordre historique ou scientifique qu’ils possédaient par ailleurs. Après que les recherches de Jules Africain, d’Hippolyte, d’Eusèbe eurent permis de synchroniser au moins mal les données de l’histoire sainte et celles de l’histoire profane, ils n’éprouvèrent plus aucune difficulté à déterminer à une année, et même, à un jour près, la date de la création du monde, celle du déluge, de la vocation d’Abraham, et ainsi de suite. Ce qui est vrai du synchronisme qu’ils établissaient entre la chronologie profane et la chronologie biblique, l’est également de l’accord qu’ils postulaient entre les données philosophico-scientifiques de leur temps sur la constitution du monde matériel et les données que leur fournissait la Bible. Il est donc assez vain de les interroger sur l’accord possible avec les données scripturaires de doctrines et de théories dont ils n’avaient même pas le soupçon.

La seule chose qu’il serait intéressant de faire, ce serait de mettre en évidence la liberté dont usèrent en cette matière certains Pères de l’Église. Pour être assez différentes de nos modernes problèmes de philosophie naturelle, les questions qu’ils se posaient les amenaient parfois à réfléchir sur la conciliation possible entre leurs théories philosophiques et les enseignements, qu’ils trouvaient parfois un peu terre à terre, de nos Livres saints. À ce point de vue, il faut mentionner la manière dont Origène, à lasuite de Philon, sublimisaitle récit biblique, et lui faisait exprimer une théorie philosophique à laquelle les auteurs de la Bible étaient fort loin de penser. Il avait aussi sa manière à lui d’expliquer la déchéance originelle, y voyant une faute individuelle ou collective, des « êtres spirituels », créés tous ensemble au début des temps et envoyés successivement dans des corps humains en punition de cette faute même. Ces spéculations qui nous paraissent étranges ont persévéré assez longtemps. Si l’on a écarté d’assez bonne heure la théorie de la « préexistence » des âmes, on n’a pas laissé de garder une partie des spéculations philoniennes sur la lutte entre le voûç et la vpux^), la connaissance intelligible et la connaissance sensible qui faisait le fond de l’exégèse juive alexandrine de Gen. i et n. Saint Augustin lui-même s’est laissé séduire par ces songes creux et l’un de ses commentaires sur les premiers récits de la Genèse, le De Genesi contra manichivos, P. L., t. xxxiv, col. 173220 est encore dans la pure tradition philonienne. C’est assez « lire que la substance même des récits génésiaques s’évaporait en une sorte de poème philosophique sans aucune attache avec la réalité. Au ixe siècle encore, Jean Scot l’Erigènc, qui avait beaucoup emprunté aux Grecs, t’enchantait de ces merveilleuses trouvailles.

Dans une direction assez différente, Grégoire de Nysse essayait une conciliation entre ses vues philosophiques et les récits sacré-, ai l’on trouve chez lui des développements où certains théologiens de notre temps ont voulu trouver quelque amorce dis doctri-