Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.1.djvu/697

Cette page n’a pas encore été corrigée
1379
1380
TRANSFORMISME. CRITIQUE PHILOSOPHIQUE


qui auraient permis cet agencement, y aurait-il lieu de s’en étonner ? Et si, aujourd’hui même, venaient à la vie, spontanément, des organismes tout à fait indifférenciés, établissant le trait d’union entre matière inanimée et matière vivante, en quoi cela mettrait-il en échec le pouvoir créateur de la Cause suprême ? En définitive, la question de l’origine première de la vie et de la manière dont est intervenue, pour la faire paraître, la puissance divine doit rester, nous semble-t-il, une question librement discutée. Ne prononçons pas contre la « génération spontanée » d’exclusive précipitée.

2. L’origine du psychisme supérieur.

Au terme de révolution des espèces animales, le naturaliste est inévitablement appelé à se poser la question de l’origine de l’espèce humaine. Convient-il d'étendre à celleci la loi de continuité dont nous avons dit, col. 1366, qu’elle était un des postulats de l’esprit humain, ou bien faut-il admettre que l’apparition de l’homme sur la terre constitue un de ces « commencements absolus » que la mentalité moderne a tant de peine à admettre ? Au vrai, c’est la question de savoir s’il faut faire de l’homme même un produit de l'évolution qui a rendu si passionnant, si passionné aussi, le débat autour du transformisme.

Il ne s’agit pas de revenir ici sur les arguments pour et contre qui ont été versés au procès. À prendre les choses du point de vue de la biologie, il paraît d’abord qu’il n’y a pas de raisons de soustraire à la loi générale de l'évolution la naissance de l’humanité (ou des humanités successives) que l’on voit apparaître, aux dernières époques géologiques, peut-être dès la fin de l'ère tertiaire. Les mêmes arguments qui militent en faveur de la « descendance » des espèces animales se répéteraient à propos de celle de l’espèce humaine. De même qu’il est possible, par exemple, de reconstituer « l’histoire du cheval » et de marquer les formes successives par lesquelles sont passés les membres inférieurs, si caractéristiques, de notre equus caballus, de même est-il possible, disent beaucoup de naturalistes, de remonter, dans la série paléontologique, de l’homme arrivé au stade où nous le connaissons à des formes humaines plus frustes, de celles-ci à d’autres plus grossières encore, qui, tout en étant encore humaines, se situent aux confins de l’animalité, jusqu'à ce que l’on arrive à des formes nettement intermédiaires entre l’homme et l’animal. Ne disons point, continuent ces naturalistes, que « l’homme descend du singe », — les grands singes anthropomorphes, orang, chimpanzé, gorille, gibbon, représentent des branches qui divergent du phylum humain ; — mais il est possible, moyennant, il est vrai, un certain nombre d’hypothèses, de suivre la branche, généalogique à l’extrémité de laquelle s'épanouit l’espèce (ou les espèces humaines) et de marquer l’endroit approximatif où elle se dégage des branches voisines. Au fur et à mesure que se multiplient les découvertes paléontologiques, les hiatus qu’il faut bien reconnaître dans la série régressive achèvent de se combler et le temps vient où l’on pourra refaire « l’histoire de l’homme » tout comme l’on fait celle de nombre d’espèces animales. On verra dans F.-M. Bergounioux, Les premiers hommes, Toulouse, 1944, p. 414, un essai de reconstitution du phylum humain et de ses rapports avec les familles d’anthropomorphes.

A la vérité, c’est essentiellement de l’organisme humain qu’il est question dans cette série de considérations. Mais les naturalistes n’ont pas oublié que l’examen du psychisme humain doit également entrer en ligne de compte. N’est-il pas possible de trouver une continuité entre l’intelligence humaine et les manifestations élémentaires du psychisme animal ? Nous sommes loin de la philosophie cartésienne qui refusait aux

animaux supérieurs mêmes, une « sensibilité « analogue à la nôtre et, en dépit de l'évidence, voulait ramener les réactions de l’animal à un jeu de ressorts mécaniques. Mais ce ne serait point seulement la sensibilité — connaissance, expériences, plaisir et douleur, passions et émotions — qu’il faudrait reconnaître à nos frères inférieurs. Aux étages supérieurs de la série animale, ne se manifeste-t-il pas un psychisme analogue au nôtre, ne présentant avec ce qui se rencontre chez nous qu’une différence de degré et non pas de nature ? C’est à établir cette ressemblance qu’ont travaillé, les premiers fondateurs de la doctrine, transformiste, Darwin en particulier, et les observations qu’ils ont accumulées ne sont pas sans intérêt. En définitive, estime-t-on dans beaucoup de ces milieux, il n’y a pas lieu d'établir une coupure béante entre la psychologie animale et le fonctionnement de l'âme de l’homme. Voir en particulier Boule, Les hommes fossiles, 3e éd. Sans doute ne nous est-il pas facile de réaliser ce que pouvaient être les « pensées », les « sentiments », les « volitions » du Sinanthropus Pekinensis, récemment découvert, ou même de l’homme de la Chapelleaux-Saints ; à en juger par la capacité de leurs crânes et la constitution de leurs cerveaux, ces manifestations psychiques ne devaient pas s'éioigner beaucoup de ce que nous pouvons supposer qui se passe sous la voûte crânienne d’un orang ou d’un gibbon. L’humanité primitive est en continuité directe avec l’animalité dans laquelle elle plonge ; il a fallu des millénaires accumulés pour que les premières ébauches d’homme arrivent, qu’il s’agisse du corps ou de l'âme, au degré d’humanité qui se voit aujourd’hui dans les plus humbles représentants de la race humaine. À quoi bon une intervention spéciale de la Cause suprême à la naissance de l’humanité? D’ailleurs quand donc a pris naissance l’homme ? S’il est des débris anciens dont on peut prononcer à coup sûr qu’ils appartenaient à des nommes, il en est d’autres devant lesquels le biologiste hésite. Le Pithecanthropus erectus de Java, son compatriote le J avanthropus Soloensis et même le mystérieux Sinanthropus Pekinensis étaient-ils vraiment nos semblables ? Sur ces divers « anthropiens », voir Bergounioux, op. cit., p. 100-117.

Telle est l’attitude qu’adoptent à l’endroit du problème des origines de l’homme nombre de naturalistes, qui ne sont pas tous, tant s’en faut, partisans du matérialisme moniste et font à la Cause suprême et à son action continue dans le monde la place qui lui est due. Un spiritualiste conscient peut-il se rallier à ce point de vue ? Peut-il, en défiance contre tout ce qui est « commencement absolu », reconnaître que, corps et âme, l’homme surgit purement et simplement de l’animalité, sans qu’il y ait lieu de postuler, lors de son apparition sur la planète, une intervention plus spéciale de Dieu ?

Peut-être conviendrait-il, pour donner une réponse, de distinguer entre le plan des phénomènes et celui des réalités. À voir les choses de l’extérieur, pourrait-on dire, tout se passe comme si rien de nouveau n'était intervenu dans la série causale. D’un couple d’hominiens naît, par exemple, un petit qui, extérieurement tout au moins, ne diffère pas de manière sensible des autres produits de couples analogues. Pourtant, à l’usage et d’assez bonne heure, se révèlent en ce « petit » des réactions très différentes de celles qu'éprouvent ses congénères. Un observateur doué d’intelligence et de perspicacité décèlerait dans Ladites réactions quelque chose qui se différencie nettement des réactions du simple instinct ou de celles que produisent les associations d’impges. Il y a chez ce « petit » une manière toute nouvelle de résoudre les mille et une questions que pose la vie quotidienne ; l’automatisme de ses soi-disant congénères fait place