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TRANSFORMISME. CRITIQUE PHILOSOPHIQUE


que des émanations ou pour mieux dire, des délégations. C’est sous l’action indéfiniment continuée de cette Cause des causes qu'œuvrent ces activités inférieures, réalisant à point nommé les plans qu’avait établis de toute éternité la souveraine Sagesse. Celleci, pour prendre un exemple, avait prévu, sans défaillance, le jour où, sur notre planète, se produiraient, dans les océans primitifs, les conditions de température, de pression, de milieu chimique qui permettraient l'éclosion de la matière vivante ; et ce jour-là, en vertu même du dynamisme inhérent, de par l’action divine, à la biosphère, la matière vivante a commencé d'être. Semblablement étaient prévues, calculées, voulues les circonstances dans lesquelles et par lesquelles se différencieraient, au cours des temps géologiques, les diverses formes, parfois si surprenantes, de la vie, chacune venant à l'être avec ses caractères marqués d’avance, gardant des formes d’où elle dérive un certain nombre de traits, ajoutant de plus aux qualités héréditaires des perfections nouvelles qui la séparent sans conteste de la souche mère.

Mais ne faudrait-il pas aller plus loin encore et laisser une place, dans le Cosmos, à une activité plus ou moins consciente et libre, secouer en d’autres termes, les chaînes du déterminisme intégral, concevoir la création, ainsi qu’on l’a dit ci-dessus, col. 1373, comme une grande force dont la psyché n’est pas absente et qui fait montre dans son évolution de certaines initiatives, où semble se manifester un rudiment de conscience et de liberté? Ne serait-ce pas le moyen de rendre raison de certaines fantaisies apparentes que révèle la paléontologie, comme si la Nature, s’essayant à réaliser un plan, aboutissait d’abord à des ébauches plus ou moins imparfaites et qui sont comme une préparation des réussites ultérieures ? Les anciens philosophes considéraient les fossiles comme des lusus naturse. Serait-il interdit d'élargir cette formule et de lui donner un sens plein en considérant que la Nature « s’est amusée », si l’on ose dire, à essayer de diverses manières, les êtres dont elle portait en elle-même les possibilités, ébauchant d’abord certaines formes de vie, les retouchant, pour ainsi parler, se rapprochant peu à peu de l’idéal qui ne serait atteint qu’en fin de compte et après de successifs tâtonnements ? Il va sans dire que, pour une philosophie théiste, cette conception d’une Nature douée d’une véritable psyché n’exclut nullement, suppose tout au contraire et requiert la présence transcendante de l’animateur souverain. Il est question dans les Livres saints de la divine Sagesse qui « se joue dans les immensités du monde », ludens coram Deo omni tempore, ludens in orbe terrarum. Prov., viii, 80. Y aurait-il vraiment abus à prendre, dans toute sa signification, une image qui n’a pas été employée sans raison par le poète sacré? Du point de vue strictement philosophique, nous avouons ne pas voir d’inconvénient à cette conception qui ne manque pas de grandiose, à condition que soit jalousement maintenue la distinction essentielle entre la Nature et le Créateur. Il ne s’agit pas de revenir par un chemin détourné nu panthéisme et il faut exiger, du naturaliste-philosophe qui se hasarde à de telles conceptions, une reconnaissance sans ambages de la transcendance divine et de la souveraine liberté de la Providence. Mais, cette profession faite, il ne faut point, scmble-t-il, lui interdire de chercher, dans la direction qui vient d'être indiquée, une solution à des problèmes que pose à tout instant la philosophie naturelle et qui n’ont guère reçu jusqu'à présent de réponses adéquates.

F.n définitive, moyennant certains amena le transformisme, l'évolutionnlsme théiste, ne paraît point se mettre en opposition avec les grandes véritéi que prétend a on i la phllosophla ptnnnlt.

DICT. DE TIIÉOL. CATIIOL.

Les limites du transformisme même théiste.


Cette liberté de spéculer que l’on doit reconnaître aux naturalistes ne reconnaît-elle aucune limite ? En d’autres termes est-il loisible à ceux-ci de considérer le Cosmos comme évoluant, sous la poussée et la direction divines, depuis la condensation des primitifs océans jusqu'à l’apparition de la vie, d’abord, du psychisme supérieur ensuite, sans qu’ait été nécessaire, aucune intervention spéciale de la Cause première ?

1. L’origine de la vie.

On a beaucoup discuté, voici maintenant près d’un siècle, sur le problème de l’origine de la vie. Né autour d’une question pratique, celle de la « génération spontanée », le débat s’est rapidement élargi. Les fameuses expériences de Pasteur, dont les conséquences ont été si fécondes, ont mis en évidence ce fait que, dans l'état actuel de nos connaissances, l’on voit toujours qu’un être vivant procède d’un autre être vivant : Omne vivum ex vivo. Si petits qu’ils soient, si rudimentaires qu’ils apparaissent, les organismes vivants ne se forment pas spontanément à partir d’une matière non vivante, quand bien même cette matière aurait l’exacte composition chimique du protoplasme, base et soutien essentiel de la vie.

Il a paru, dès lors, à certains philosophes que l’on devait généraliser les résultats des expériences pastoriennes. Il est impossible, ont-ils dit, que jamais de la matière vivante s’organise à partir de la matière brute. L’apparition de la vie sur notre planète requiert donc une intervention spéciale du Créateur, faute de quoi la vie ne se serait jamais produite : l’existence d'êtres vivants est la preuve irréfragable de l’existence de Dieu. Et certains de ces philosophes, ou tout au moins des apologistes qui s’en inspirent, semblent regarder toutes les expériences de laboratoire par lesquelles, de divers côtés, l’on a essayé de mettre en évidence l’apparition d’un protoplasma vivant à partir de ses éléments bruts, comme une sorte d’atteinte à la majesté divine. S’efforcer de « créer » de la vie, ce serait une tentative quasi sacrilège ; au surplus cette tentative serait vouée à un insuccès certain.

Cet état d’esprit est, par bonheur, en voie de disparaître. Mais il n’est pas inutile d’insister sur ce qu’il y a d’un peu puéril dans cette argumentation. La philosophie de l'École admettait, sur bien mauvaises preuves, disons-le, la génération spontanée d'êtres vivants doués d’une organisation très complexe : insectes, vers, etc. Elle ne pensait pas que, pour autant, il y eût là une objection contre le dogme de la création. Si les grands scolastiqucs concevaient comme toute naturelle la naissance, sans parents, de vers engendrés par la putréfaction des matières organiques, nous pourrons, nous aussi, considérer comme naturelle l’apparition, à la suite d’expériences minutieuses, de protoplasma présentant un rudiment d’organisation et apte à se reproduire. Reconnaissons du reste que, jusqu'à l’heure présente, les expériences n’ont pas donné de résultats incontestables. Mais qu’un jour vienne où l’on arrive à produire in vitro du protoplasma vivant, il n’y aurait qu’une chose à conclure, c’est qu’il existe dans la nature, dite brute, des virtualités plus complexes encore que celles qu'étudient la chimie et la cristallographie, qu’en définitive ce que nous appelons la matière inanimée n’est telle qu’en apparence et que la vie y est déjà cachée en puissance. L’atome ne serait pas seulement doué d’affinités chimiques, qui lui permettent de s’unir en de multiples combinaisons avec des atomes voisins : il ne serait pas seulement doué d’un dynamisme qui le fait se disposer suivant les admirables formes qu'étudie la minéralogie ; il serait capable de s’organiser en ce prodigieux agencement qu’est une cellule Vivante. Qu’aux époques géologiques se soient reneoi' les conditions de pression, de température, d’affinités

T. — XV. — 44.