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TRANSFORMISME. CRITIQUE PHILOSOPHIQUE


l'éclosion de la vie, un acte nouveau, positif du Créateur, constituant un commencement absolu, aurait fait jaillir de la matière brute ainsi prédisposée ce quelque chose de tout nouveau qu’est la vie. Que cette matière vivante se soit produite d’abord sous une forme unique, mère de toutes les formes qui en sont découlées ultérieurement (monophylétisme) ou bien qu’elle se soit présentée d’abord sous des aspects multiformes, correspondant aux deux grands règnes de vivants, l’animal ou le végétal et, dans ceux-ci, à chacun des grandes divisions ou embranchements où nous les répartissons (polyphylétisme), la question se trouve être d’importance secondaire.

La présence et l’intervention du Créateur se reconnaîtrait encore en un autre point de la courbe. Le jour où est apparue sur terre l’intelligence avec la liberté et la volonté, il a fallu une nouvelle action de la cause première, s’exerçant de telle sorte que vienne à l'être, sans aucun lien avec ce qui précède, l’espèce humaine définitivement constituée. À la vérité on concède encore que cette action créatrice a pu se produire tout simplement en refondant, en remaniant un organisme animal antérieur, en y infusant une âme raison nable et spirituelle, laquelle aurait transformé en homo sapiens, l’hominien, l’anthropoïde sur qui se serait exercée l’action créatrice. Tel est l'évolutionnisme partiel, mitigé, sectionné ; et dans plusieurs milieux catholiques on reconnaît qu’ainsi présentée la formule de l'évolution n’est pas absolument incompatible avec la philosophie chrétienne.

Pour être fort défendable, ce point de vue qui juge l'évolutionnisme d’après les limites que celui-ci se fixe à lui-même, ne nous paraît pas suffisant. Il conçoit trop l’action divine comme s’exerçant â la manière dont agissent dans l’histoire tels facteurs humains dont l’intervention vient crever la trame des phénomènes et modifier de l’extérieur le déterminisme des événements.

2. Évolution nisme moniste et évolutionnisme théiste. — C’est, pensons-nous, d’un autre critérium qu’il faut user pour faire le départ entre un évolutionnisme recevable et un autre qu’il faut rejeter. Il y a un évolutionnisme finaliste et théiste, un autre au contraire matérialiste et moniste. Nous n’avons pas à faire ici l’exposé et la critique de ce dernier ; voir l’art. Matérialisme et monisme, t. x, col. 282-334. Remarquons seulement que, dans un tel système, l’impossibilité est toujours la même, de se passer de l'Être nécessaire, soit que l’on veuille expliquer l’agencement du système général du monde, soit qu’il s’agisse de décrire l'évolution de la vie sur notre planète. L’existence d’un être contingent, se mouvant, s’organisant, est proprement impensable sans l’existence de cet Être nécessaire, source d’existence et de force, disposant tout suivant des idées directrices, autrement dit suivant une finalité.

Il ne suffit même pas d’admettre que cette Force s’est contentée de donner au système préparé par ses soins la « chiquenaude initiale », puis est ensuite rentrée dans son repos. Ce serait là une vue inexacte et tout anthropomorphique des choses. À partir du moment où l'être succède au non-être, doit se continuer indéfiniment l’action créatrice, unique source pour la créature d’existence, de mouvement, d’organisation. Ce n’est pas assez de dire que la Cause première surveille de haut et de loin les destinées et la marche de son œuvre ; sans cesse elle meut et anime celle-ci, tout en lui demeurant transcendante. En sorte que l'évolution générale du monde offre, telle une tapisserie, un endroit et un envers. Si on l’envisage de l’endroit, l’action de la Cause première n’y est pas directement constatable et les choses se passent, en vérité, comme si « tout marchait tout seul ». Cela ne veut pas dire

qu’en retournant la tapisserie on ne verrait éclater, non pas à quelques points isolés, mais en tous les points l’action efficace et directrice de la Cause unique et souveraine.

On doit donc dire que, philosophiquement parlant, il y a bien deux évolutionnismes, deux transf ormismes, mais non pas ceux de tout à l’heure : il y a un transformisme athée, matérialiste, antifinaliste que ces épithètes jugent d’abord ; il en est un autre théiste, d’un théisme d’ailleurs plus ou moins conscient ; comment celui-ci s’accorde-t-il avec la métaphysique chrétienne ?

Examen du transformisme théiste.

Il paraît

assez clair, tout d’abord, qu’ainsi conçue la doctrine transformiste ne laisse pas de satisfaire certaines exigences de l’esprit humain. S’il est une chose qui paraisse difficile à celui-ci, c’est bien de se représenter des commencements absolus. Que l’on en juge par ce que nous éprouvons quand nous spéculons sur la première création des choses. Nous la concluons, nous l’affirmons beaucoup plus que nous ne parvenons à en avoir une idée claire. Et il ne s’agit pas simplement ici d’une déficience de l’imagination, c’est bien notre faculté raisonnante qui perd pied et éprouve de l’hésitation à concevoir l’instant où une chose qui n’existait pas vient soudain à l’existence. Or, c’est par un coefficient énorme qu’il faut multiplier cette difficulté si l’on admet l’hypothèse fixiste, puisque chaque apparition d’une forme nouvelle animale ou végétale suppose un commencement absolu. Si réduit que soit le nombre des interventions en quelque sorte extérieures de la Cause première dans l’hypothèse d’un transformisme limité, il n’en reste pas moins que l’on doit bien admettre de tels commencements à deux points singuliers, comme nous disions tout à l’heure, de la courbe de l'évolution. Et la raison ne s’y résoudra jamais sans quelque difficulté ni sans preuves apodictiques.

En laissant les choses se succéder en se transformant, l’hypothèse transformiste, elle, donne satisfaction à ce besoin de liaison entre les êtres qui, pour certains esprits, apparaît comme une véritable nécessité de nature. En apparence tout au moins, tout se suit, tout se tient. Nulle part ne se remarque de hiatus. Posée l’existence de la nébuleuse primitive et des lois qui président à son développement, voici que tout se succède et vient à point nommé, sans que jamais les phénomènes ne réclament autre chose pour paraître que les phénomènes antécédents. Pour reprendre un vieil axiome de la philosophie, on peut dire que la nature ne fait pas de bonds : natura non facit sallus et l’axiome se trouve mieux vérifié qu’aux temps lointains où il fut émis !

Quant à la conception que se fait la doctrine transformiste de l’action divine, elle apparaît, semble-t-il, plus digne du Créateur que celle qui ressort de l’hypothèse opposée. En cette dernière on voit la Cause première intervenir sans cesse dans son œuvre, comme si la création laissée à elle-même ne pouvait arriver aux fins que se proposait le suprême démiurge. Tel un artisan malhabile qui n’aurait pas su prévoir les diverses possibilités ou aurait été incapable de les agencer, le démiurge aurait dû à maintes reprises revenir à son œuvre, la retoucher, lui ajouter des perfectionnements, supprimer tels obstacles qui l’empêchaient de « tourner rond ». Ne vaut-il pas mieux concevoir Dieu comme la suprême intelligence qui, faisant le plan du Cosmos, a prévu toutes les combinaisons possibles, tous les arrangements capables de réaliser celles-ci et a communiqué à ce Cosmos les forces, le dynamisme nécessaire. Le Créateur n’est pas seulement celui qui appelle les êtres du néant à l’existence ; il est encore la Force unique et souveraine dont toutes les activités mécaniques, chimiques, biologiques ne sont, au vrai,