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TRANSFORMISME. EXPOSÉ


la loi qui conditionne toute notre connaissance du sensible : ne pouvoir rien comprendre dans le domaine de la nature que sous forme de séries et d’ensembles ». Comment se pose aujourd’hui la question transformiste ? dans Études, t. clxvii, 1921, p. 541.

Il s’en faut que le transformisme soit arrivé d’abord à cette sorte de possession et encore n’y est-ii parvenu qu’en se dépouillant de bon nombre de parties désuètes.

Nous n’avons pas à insister ici sur l’histoire du transformisme. On en trouvera une très complète dans L. Cuénot, La genèse des espèces animales, Paris, 1932, l re partie, et des éléments à la rigueur suffisants, soit dans P. -M. Périer, Le transformisme, Paris, 1938, p. 28-34, soit dans l’art. Transformisme (B. de Sinéty), du Dictionn. apolog., t. iv, col. 1796 sq. Qu’il suffise de rappeler ici les noms de Buffon († 1788), qui a entrevu, l’un des premiers, l’idée de descendance, de Lamarck (1744-1829), dont la Philosophie zoologique a posé les premiers principes de la doctrine, des deux Geoffroy Saint-Hilaire, Etienne (1772-1844) et son fils Isidore (1805-1861), dont l’autorité réelle fut contrebattue par celle de Cuvier (1769-1832). Le plus illustre représentant de la nouvelle doctrine au xix c siècle fut Darwin (1809-1882) dont le livre fondamental, The origin of Species parut en 1859, 2e édition, en 1860, tandis que The descent of Man (La descendance de l’homme) ne vit le jour qu’en 1871. L’Anglais Huxley (1825-1895) et l’Allemand Hæckel (1834-1919) se sont fait un nom surtout comme propagateurs de la doctrine, le dernier dans des vues et parfois à l’aide de moyens qui n’avaient rien de scientifique. Les naturalistes français Paul Bert († 1886), A. Giard († 1908), F. Le Dantec († 1917), Yves Delage († 1908), dans les dernières années du xixe siècle ou les premières du xxe, ont représenté dans notre haut enseignement, soit au Collège de France, soit au Muséum, soit à la Sorbonne, le transformisme intégral. Monnayés à l’usage de la grande presse d’information ou à l’usage de l’enseignement plus élémentaire, leurs arguments ont fait pénétrer dans les milieux populaires, plus ou moins bien comprise, plus ou moins correctement interprétée, la doctrine, parfois très hasardeuse, dont ils s'étaient faits les champions.

Ii est incontestable qu'à l’heure présente la doctrine évolutionniste (nous ne disons pas le transformisme intégral et monophylétique) a cause gagnée dans les milieux savants. À la légion des naturalistes transformistes on opposerait à peine une poignée de biologistes qui se proclameraient fixistes ou, si l’on veut, créationnistes. Encore faut-il être prudent dans le calcul de ces derniers, car tel d’entre eux qui se range dans le camp des antiévolutionnistes, ne laisse pas de professer un certain nombre des principes de la doctrine, tout en refusant de les pousser jusqu’au bout. C’est le cas, par exemple, de Louis Vialleton dont nombre de publications donneraient à croire, si l’on n’en jugeait que par les titres, qu’il repousse délibérément toute évolution des êtres organisés : Un problème de l'évolution (1908) ; Membres et ceintures des vertébrés tétrapodes. Critique morphologique du transformisme (1924) ; L’origine des êtres vivants. L’illusion transformiste (1929). Les profanes qui, à tort ou à raison, considèrent comme un gain pour la religion tout recul du transformisme, seraient bien inspirés en se renseignant d’abord sur les limites, la portée, la signification des arguments mis en ligne par les adversaires de l'évolutionnisme intégral. Il reste néanmoins que, depuis une dizaine d’années un certain flottement se constate dans les rangs des naturalistes et que l’on assiste à un recul du transformisme intégral. Voir P. Descoqs, S. J., Autour de la crise du transformisme (1944).

Au fait si des querelles, dont quelques-unes très bruyantes, qui ont éclaté, en ces quarante dernières années, dans le camp des biologistes transformistes, l’on concluait que la doctrine est en désarroi et cesse de s’imposer à l’ensemble des esprits, on se ferait une singulière illusion. Les discussions roulent en effet non point sur la doctrine même de la descendance, mais sur des questions accessoires à la doctrine ellemême, en tant que celle-ci cherche à écrire une histoire complète de l’apparition et des transformations de la Vie. Les uns, en effet, fidèles à l’esprit de la méthode, prolongent soit par le bas, soit par le haut l’arbre généalogique des vivants : au bas, ils se représentent la vie sortant spontanément des virtualités de la matière minérale ; en haut ils n’hésitent pas à faire de l’espèce humaine un rameau, d’ailleurs plus ou moins touffu, dudit arbre généalogique, quelle que soit la place où ce rameau s’insère sur la souche commune. D’autres naturalistes sont moins osés ; entre la matière vivante et la matière brute, ils n’admettent pas qu’il puisse y avoir passage spontané : l’apparition de la vie sur la planète constitue à leurs yeux un commencement absolu, est le résultat d’une création. Ils pensent aussi que, loin de s'être développée à partir d’une forme unique, intermédiaire entre la plante et l’animal, la vie, dès son apparition, s’est révélée sous un nombre plus ou moins considérable d’organismes déjà nettement différenciés, ceux-ci étant le point de départ de chacun des grands groupes, animaux et végétaux, qui se sont ultérieurement développés. En d’autres termes, au monophylétisme des premiers ils préfèrent le polyphylétisme, qui leur paraît mieux expliquer les coupures, d’apparence parfois infranchissable, qui séparent divers groupes de la classification. Faisant application au groupe humain de ce principe, quelques-uns iront jusqu'à l’isoler complètement de l’ensemble des vivants et réclameront pour lui une création spéciale.

Outre ces discussions sur les limites dans lesquelles il convient de resserrer l'évolution et qui amènent entre naturalistes des altercations parfois très vives, la question du mécanisme même de l'évolution est la cause de luttes encore plus âpres. Si l’on entend dire que le lamarckisme ou le néo-lamarckisme a fait faillite, que le darwinisme est incapable d’expliquer la formation des espèces, qu’on n’en conclue pas, pour autant, que le transformisme est en déroute et que, sur ses ruines, le créationnisme n’a plus qu'à se réinstaller. Il est incontestable que les facteurs assignés par Lamarck ou Darwin à la formation des espèces, si ingénieusement qu’ils aient été compliqués par leurs modernes disciples, ne rendent compte que d’une façon très imparfaite de la manière dont se sont différenciés les êtres vivants. De plus, à l’heure présente, aux hypothèses de Lamarck et de Darwin qui n’admettaient guère que des variations insensibles, en quelque sorte infinitésimales, se fixant lentement par l’hérédité, s’est substituée l’hypothèse des « mutations brusques », qui, se produisant aux origines de tel être vivant, font apparaître un vivant nouveau assez différent de ses « parents » pour que l’on puisse parler, si les circonstances lui permettent de faire souche, d’une espèce nouvelle. Ainsi l’apparition d’une espèce nouvelle proviendrait en dernière, analyse d’une « monstruosité », au sens étymologique du mot.

Divergeant sur les limites de l'évolution, divergeant sur ses facteurs, les biologistes sont plus encore partagés sur son interprétation philosophique, les uns y voyant le confirmatur des principes mécanistes et monistes où ils se sont fixés pour de multiples raisons qui ne sont pas toutes d’oVdre scientifique, les autres n’y trouvant au contraire qu’une raison de plus pour adhérer aux doctrines théistes. Nous reviendrons plus