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TRADUCIANISME. DOCTRINE ACTUELLE


t. t, col. 971. Nous avons déjà observé que plus d’un traducianiste entend bien dans son système sauvegarder le dogme de la création des âmes par Dieu.

2. L’analogie de la foi. — Les traducianistes invoquent ici l’harmonie des dogmes du péché originel et de l’incarnation avec l’hypothèse traducianiste.

a) L’explication du péché originel devient simple si l’on considère, que toutes les âmes étaient virtuellement contenues dans l’âme d’Adam ; elle devient, au contraire, obscure et compliquée dans l’hypothèse créatianiste. — L’argument n’est pas sans réplique. Les théologiens catholiques ont proposé plus d’un système pour montrer comment tous les hommes sont déjà compris en Adam. L’explication thomiste, voir Péché originel, t.xii, col. 475-478, fournit une solution claire et bien ordonnée. D’ailleurs, l’analogie de la foi qu’on invoque ici nous oblige à tenir compte de l’harmonie des dogmes entre eux. Si le traducianisme s’affirme en opposition avec les conséquences d’une vérité de foi — et c’est le cas — il ne saurait être considéré comme une explication normale d’un autre dogme.

b) Le dogme de l’incarnation, dit-on encore, semble exiger le traducianisme. Le Christ a pris notre nature, afin de pouvoir, homme parfait et Dieu parfait, racheter l’humanité tout entière. Mais, si l’âme du Christ a été créée par Dieu, on ne saurait affirmer qu’il a pu prendre toute notre nature. — L’objection pourrait avoir quelque portée si l’âme était une substance complète s’ajoutant au corps. Mais la conception catholique de l’unité substantielle de l’être humain enlève jusqu’à l’apparence d’une valeur quelconque à l’argumentation traducianiste : « Le premier instant de l’existence de la chair du Christ fut aussi l’instant de son animation par l’âme raisonnable, de telle façon que l’humanité du Sauveur fut parfaite dès ce premier instant… Les théologiens scolastiques admettent généralement qu’en considérant les choses du côté de la nature humaine unie au Verbe, il faut concevoir l’union hypostatique comme comprenant trois actions dont l’effet sans doute est simultané, mais que la logique nous oblige à distinguer : la création de l’âme raisonnable du Christ ; la génération de son humanité et l’assomption de cette humanité par le Verbe de Dieu. » Hypostatique (Union), t. vii, col. 535-536 ; cf. col. 514-515. On se reportera encore à l’explication de la formule classique : le Christ a pris notre humanité mediante anima. Ibid., col. 519-520.

3. L’ordre moral.

Les traducianistes invoquent les exigences de l’ordre moral. Tout d’abord, à l’égard de la transmission du péché originel. Le péché, ayant l’âme pour sujet, la création immédiate d’une âme pécheresse par Dieu impliquerait pour le créateur une sorte de participation à la culpabilité originelle de l’homme. Pelage croyait ne pouvoir éviter cette conséquence qu’en niant le péché originel. Ensuite, il serait indécent que Dieu coopérât aux conceptions criminelles réalisées en dehors du mariage légitime.

A l’objection considérée sous ce second aspect, le cardinal Mercier répond : « L’intervention divine n’accuse aucune imperfection morale : Dieu concourt à l’acte physiologique de la génération ; cet acte est bon. Il y concourt en donnant une âme raisonnable au germe issu des parents. Encore une fois, cet acte est bon ; le concours divin est bon, indemne de toute souillure morale. Si, à un acte qui en lui-même est bon, les parents apportent une volonté perverse, ils sont seuls responsables de l’abus qu’ils font de leur libre arbitre. Au surplus, Dieu n’est pas tenu d’empêcher cet abus de la liberté humaine ; …il n’est pas tenu d’empêcher le mal. » Op. cit., p. 335. — La même réponse est valable, mutatis mutandis, pour la transmission du péché originel. Si la génération humaine, chez les descen dants du premier couple, est exigitive d’une âme destituée de la justice originelle, toute la responsabilité de la souillure constituée par cette privation, retombe sur la volonté du premier homme qui, par l’abus de sa liberté, s’est placé de lui-même dans la situation de ne plus pouvoir transmettre à ses descendants qu’une nature privée des dons que Dieu y avait gratuitement surajoutée. L’acte du Créateur, donnant une âme aux fils de la race d’Adam, demeure bon en lui-même ; la responsabilité de la souillure encourue par cette âme du fait de la génération retombe sur la volonté pervertie du chef de l’humanité.

3° Le véritable argument théologique en faveur du créatianisme. — C’est celui-là même qu’a retenu Bellarmin : l’argument de tradition. Mais, pour lui donner toute sa valeur, il convient de rappeler le progrès dont l’affirmation d’une vérité traditionnelle est susceptible. Il s’agit en l’occurrence d’une vérité dont la connaissance explicite n’est pas requise pour le salut. Cette vérité peut donc subir une évolution allant de la croyance implicite à la connaissance explicite en passant par une période d’hésitation, sinon de controverse. Voir Tradition, col. 1349. L’affirmation générale de la création des âmes par Dieu est contenue tout d’abord dans la foi des symboles en un Dieu créateur de toutes choses, du ciel et de la terre, des choses visibles et invisibles. Une hésitation a pu se produire au sujet de la création des âmes individuelles en raison des discussions dont l’origine des âmes a été l’objet chez les anciens philosophes et surtout de l’affirmation de la déchéance originelle que, dans l’hypothèse créatianiste, les adversaires de ce dogme estimaient être contraire à la bonté et à la sainteté de Dieu. Mais peu à peu la lumière s’est faite quand on a considéré les conséquences que le traducianisme comporte par rapport à la spiritualité, à la subsistence, à l’immortalité de l’âme. Ainsi s’expliquent les obscurités des premiers Pères, les hésitations de saint Augustin, les atténuations apportées à l’expression de la vérité déjà connue, par les admirateurs du grand Docteur, jusqu’au jour où, sous l’impulsion des grands théologiens du xiiie siècle, l’affirmation totale de la vérité du créatianisme s’est produite. Le cardinal Noris, dans son respect pour saint Augustin, a eu tort de ne pas comprendre ce progrès vital de la tradition et de révoquer en doute cette tradition même. C’est donc moins dans des affirmations prises séparément que dans son développement général, qu’il faut considérer l’argument traditionnel, pour lui donner toute sa valeur.

Sans doute, aucune définition expresse n’a sanctionné comme un dogme de foi la création de chaque âme individuelle au moment même de son infusion dans le corps qu’elle doit vivifier. Mais c’est là une conséquence si claire des interventions du magistère concernant, soit directement, soit indirectement le traducianisme, voir col. 1359, que cette doctrine apparaît désormais non seulement improbable ou manquant de sécurité doctrinale, mais encore positivement erronée. Une note théologique plus sévère ne peut, semble-t-il, lui être infligée. Cf. card. Zigliara, Summa philosophica, t. ii, Psychologia, p. 132.

Outre les scolastiques cités au cours de l’article dans leurs commentaires sur le IIe livre des Sentences, dist. XVII et XVIII, on consultera saint Thomas, Sum. theol., 1°, q. xc, a. 2 ; q. cxviii, a. 1-3 ; De poteniia, q. iii, a. 9 ; Cont. gentes, t. II, c. lxxxvi-lxxxix ; Bellarmin, Controv., XIV, De amissione gratiee, t. IV, c. xi.

Parmi les théologiens récents, voir spécialement D. Palmieri, De Deo créante et élevante, Rome, 1878, thèse xxviii ; card. C. Mazzella, De Deo créante, Rome, 1892, disp. III, a. 3, prop. 19 ; card. Katschtlialer, Theologia dogmatica catholica specialis, t. i, Ratisbonne, 1877 ; Mgr L. Janssens, Summa theologica, t. vii, De hominis natura, dist. de origine animarum, p. 591-628. Il sera fort utile de se référer