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TRADUCIANISME. APERÇU GÉNÉRAL


de l’origine de l’âme. II. Le traducianisme en Occident (col. 1354). III. Conclusion doctrinale (col. 1360).

I. Aperçu général du problème de l’origine de l’ame. — Cette synthèse préalable est indispensable à l’intelligence de la position adoptée par les traducianistes. Trois courants principaux ont dirigé les hypothèses philosophiques.

1° Les matérialistes font dériver l’âme de la matière seule, soit par voie de transformation ou de sélection naturelle, soit encore en faisant de la pensée un simple produit du cerveau. Voir Transformisme, ci-dessous, et Matérialisme, t. x, col. 316 sq. À ce dernier article, on a rappelé les condamnations portées par l’Église.

2° D’autres voient en Dieu le principe de l’existence des âmes. Plusieurs systèmes se branchent sur ce courant.

1. L’émanatisme fait dériver l’âme de Dieu par une division ou surtout par une sorte de diffusion de la substance divine. La thèse émanatiste s’apparente d’une part aux idées platoniciennes, d’autre part, au manichéisme.

Les néoplatoniciens, Plotin en particulier, enseignent que l’âme procède de Dieu par une série d’intermédiaires, comme le rayon procède de la source lumineuse. La substance divine émet ainsi de sa plénitude les âmes humaines qui, sans être Dieu, ont cependant en Dieu leur subsistence et leur principe. Voir Platonisme, t.xii, col. 2277 sq. Mais, parce qu’elles ont péché, ces intelligences ont été déchues de leur état primitif et ont été alourdies par la matière corporelle. Ainsi y a-t-il dans l’homme un double élément, l’intelligible et le sensible, l’âme spirituelle et le corps. L’influence de ces idées se retrouve dans les premiers siècles du christianisme. Ibid., col. 2281. Peutêtre même explique-t-elle certaines obscurités des Pères des trois premiers siècles sur l’origine des âmes. Voir spécialement, pour Clément et Origène, Platonisme, col. 2306. La pensée d’Arnobe n’en est certainement pas exempte. Voir plus loin.

Les sectes manichéennes ont fait de l’émanatisme un élément essentiel de leur dualisme. Pour l’Orient, voir l’indication de Némésius, De natura hominis, 2, P. G., t. xl, col. 576 A. En Occident, le priscillianisme l’adopta. Le Libellus de Pastor déclare contre les priscillianistes que « l’âme de l’homme n’est pas une substance divine, une partie de Dieu, mais une créature créée par la volonté divine ». Denz.-Bannw., n. 20 ; cf. can. 11, ibid., n. 31. Le concile de Braga de 561 anathématise « quiconque, avec Manès et Priscillien, croit que les âmes humaines ou les anges procèdent de la substance de Dieu ». Can. 5, ibid., n. 325. Le symbole de saint Léon IX professe que « l’âme n’est pas une parcelle de la divinité ». Ibid., n. 348. Au Moyen Age, maître Eckart semble bien avoir conservé quelque chose de cette mentalité ; voir prop. 10 et art. 2, ibid., n. 5Il et 527 ; et ici t. iv, col. 2066. À l’époque de la Renaissance, l’émanatisme s’est mué en une théorie panpsychiste, très voisine de l’ancienne doctrine des stoïciens. Sur cette doctrine stoïcienne, voir Ame, col. 977. Dieu serait le principe actif et intelligent du monde avec lequel il ne fait qu’un. Il est le pur éther uni à la matière, à laquelle il communique mouvement et vie. Il est la forme immanente du monde et non son principe extrinsèque. Les âmes sont des participations de cette âme universelle, des souffles sortis du feu divin primitif. Le panpsychisme moderne reprend sous une forme à peine différente cette ancienne conception stoïcienne du monde : le monde s’explique par un psychisme universel comportant une infinité de degrés. L’âme humaine appartient à un degré supérieur de cette réalité psychique qui se trouve à la source de toute réalité. On en vient ainsi

à une sorte de semipanthéisme, doctrine >ous-jacente aux conceptions cosmiques de Bernardin Teles’us et de Campantlla. Plus d’un auteur moderne (Paulsen, Hôffding, Fouillée) s’en inspirent. L’ « élan vital » qui est à la base de la métaphysique bergsonienne avait fait accuser de panpsychisme panthéiste l’éminent philosophe, qui s’en est vivement défendu. Cf. Lettre au P. de Tonquédec, dans les Éludes, 1912, t. i, p. 515. Ces conceptions émanatistes n’ont jamais été accueillies dans l’enseignement catholique. Les Pères les ont toujours rejetées. Les conciles ont condamné les priscillianistes et les manichéens qui s’en inspiraient. Les théologiens, notamment saint Albert le Grand, saint Bonaventure, saint Thomas d’Aquin, Duns Scot, dans leurs commentaires sur les Sentences, les ont directement réfutées. Sous la forme plus générale que leur a donnée le panthéisme hégélien au xixe siècle, le concile du Vatican les a anathématisées. Sess. iii, const. de fide catholica, c. i, n. 1 ; can. De Deo rerum omnium creatore, can. 4, Denz.-Bannw., n. 1782, 1804. Voir ici Création, t. iii, col. 2182-2183 ; 2186-2188.

2. Le préexistenlianisme (doctrine de la préexistence des âmes) admet, pour expliquer l’origine des âmes, non une émanation de la substance divine, mais une véritable création, antérieure à la formation du corps. La création peut être immédiate, c’est-à-dire, faite par Dieu lui-même ; ou médiate, c’ert-à-dire réalisée par le moyen d’intermédiaires, les anges. Nos théologiens en parlent sous ces deux formes.

Comme dans la théorie précédente, c’est parce qu’elles ont péché que certaines âmes sont enfermées en des corps : elles doivent y expier leurs fautes antérieures. Le dualisme manichéen qu’on découvre fréquemment dans l’émanatisme est ici éliminé ; mais la conception fondamentale reste encore fidèle à la métaphysique platonicienne. On attribue généralement la doctrine de la préexistence des âmes à Origène, voir Platonisme, t.xii, col. 2308 ; mais Origène paraît plutôt avoir hésité en face du problème, n’osant prendre position en faveur d’aucune hypothèse. Cf. Ame, t. i, col. 996, et Origène, t. xi, col. 1533-1534. Les controverses origénistes montrent toutefois que le préexistentianisme fut attribué à l’enseignement d’Origène. Voir la lettre de Justinien (543) et les anathématismes qui en furent la suite au concile particulier de Constantinople (553) ; cf. Origénisme, t. xi, col. 1578, 15811588. Les Pères latins ne font mémoire de la préexistence des âmes que pour la rejeter avec l’émanatisme au nom de la foi catholique. Voir plus loin les références. Le document le plus intéressant à ce sujet est la lettre de saint Léon I er à Turribius d’Astorga, Epist., xv, où, après avoir réprouvé l’émanatisme, n. 5, le pape condamne le préexistentianisme, n. 10. P. L., t. liv, col. 682 BC, 684 C-685 A.

Du point de vue du péché originel, l’hypothèse d’une préexistence des âmes pouvait présenter l’avantage de « disculper » Dieu de toute compromission à l’égard de la faute originelle qui souille l’âme par le seul fait de la génération.

3. Le créatianisme est la seule explication retenue par l’enseignement catholique. Les âmes sont créées par Dieu au moment même de leur infusion au corps. Il semble que cette vérité doive être déduite de l’affirmation du Ve concile du Latran : « en proportion de la multitude des corps auxquelles elle est infusée, (l’âme) est numériquement multipliable et multipliée et devant toujours se multiplier », rapprochée du symbole de Léon IX confessant que « l’âme n’est pas une partie de Dieu, mais qu’elle est créée de rien ». Denz.-Bannw. , n. 738 et 348. Cf. Forme du corps humain, t. vi, col. 566. La certitude du créatianisme sera la conclusion de cet article.

3° Le traducianisme a suivi une voie moyenne : l’âme