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TRADITION. LES THÉOLOGIENS (XXe S.)
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dans l’Église : a) un organe authentique de la tradition (Ite, docete… docentes eos servare quæcumque mandavi vobis) ; b) un organe dont la durée est assurée jusqu’à la fin du monde (usque ad consummationem sœculi) ; c) un organe doté du charisme de l’indéfectibilité (vobiscum sum) ; d) un organe s’exerçant d’une façon continue (omnibus diebus) ; e) un organe enfin dont l’exercice se manifeste par une prédication vivante (docele). Il faut ajouter à ces considérations générales la considération particulière de l’unité et de l’individualité visibles de cet organe, en raison surtout de son centre unique, Pierre, dont le nom symbolise merveilleusement la solidité du fondement sur lequel est édifié le pouvoir de l’Égiise. Id., § 1, p. 11-19.

2. Règle prochaine et règle éloignée de la foi.

L’objet de la foi, c’est la vérité à croire. La règle de la foi, c’est ce qui contient la vérité à croire, ce qui nous dirige dans notre foi, ce à quoi il faut conformer notre croyance. D’où il suit que la tradition — au sens objectif, c’est-à-dire les vérités à croire — sont uniquement objet de la foi ; la prédication de ces vérités, c’est-à-dire le magistère enseignant de l’Église, voilà la règle. On ne saurait donc admettre l’expression dont se servent certains théologiens pour désigner les vérités à croire, comme si elles constituaient la « règle éloignée » de la foi, la règle prochaine étant située par eux dans la prédication du magistère. Ces vérités sont et demeurent l’objet de la foi. Toutefois, il est un aspect de la tradition, même considérée sous l’angle formel de l’enseignement, qui permet de l’appeler « règle éloignée » de la foi. En effet, la prédication de l’Église peut être envisagée dans le passé, comme la transmission au cours des siècles, de la doctrine reçue du Christ et des apôtres. Elle est ainsi le canal par lequel les vérités, jadis révélées, nous parviennent. La tradition ainsi envisagée est constituée concrètement par les documents, les monuments, les écrits des siècles écoulés et dans lesquels nous trouvons pour ainsi dire cristallisé l’enseignement de l’Église : c’est, si l’on veut, Denzinger, Cavallera, Rouët de Journel. Or, l’étude de la tradition ainsi envisagée suppose les ressources de l’histoire et le processus des sciences théologiques : nous demeurons donc en face d’une règle, puisqu’il s’agit de l’enseignement de l’Église, mais d’une règle non immédiate, puisqu’il faut la chercher par un réel travail de notre esprit dans la suite des siècles passés. Règle de foi, soit, mais règle éloignée. On peut aussi appeler règle éloignée de la foi la sainte Écriture elle-même. L’enseignement de l’Église, c’est-à-dire la tradition au sens le plus propre du mot, possède une véritable priorité sur l’Écriture, priorité de temps, de connaissance, de compréhension. Le caractère de règle de foi qu’on peut attribuer à l’Écriture n’est donc, en réalité, que celui d’une règle de foi éloignée, plus éloignée encore que les documents de la tradition, puisqu’elle a souvent besoin d’eux pour être comprise et expliquée.

Cela dit, il reste que la règle prochaine ne peut être que l’enseignement actuel du magistère, qui nous livre hic et nunc les vérités héritées des ancêtres. Et cette règle de foi s’identifie par conséquent, d’une façon adéquate et complète, avec le magistère de l’Église nous proposant, nous expliquant, nous imposant les vérités à croire, si nous voulons nous en tenir à la doctrine révélée transmise par le Christ et les apôtres. C. i, § 3, p. 25-30 ; cf. § 2, p. 20.

3. Méthode à employer dans l’étude des documents de la tradition. — La règle de la foi que constitue la tradition et ses monuments doit nous conduire infailliblement à la possession de la vérité révélée. Or, si l’on considérait la tradition uniquement sous l’aspect d’un fait humain, transmission faite de génération en génération par les seules initiatives et ressources de l’in dustrie humaine, la règle infaillible de la foi n’existerait plus dans la tradition. La tradition n’aurait plus que la valeur d’un document humain. Même en admettant qu’on puisse en théorie, par une tradition de valeur purement humaine, conserver l’enseignement du Christ et des apôtres, quelle certitude pourra-t-e ! le donner aux fidèles ? Il suffit de constater que ce n’est qu’au prix de recherches, d’efforts, de difficultés de toutes sortes qu’on peut retrouver et reconstituer les documents de l’antiquité : c’est dire qu’une tradition humaine serait, en pratique, sans certitude réelle. bvnon pour tous, du moins pour la plupart. Il faut donc que la règle de la foi soit constituée par une tradition possédant la garantie de l’assistance divine : ce qui n’empêche pas d’ailleurs, dans l’intelligence des vérités révélées, de faire appel aux efforts de la science humaine, l’action de la cause première n’excluant pas la coopération naturelle des causes secondes. C. i, § 2, p. 19-22.

Ce principe une fois posé, il est facile de comprendre que la méthode historique n’est pas suffisante pour l’étude de la tradition. Certes, la méthode strictement historique, exerçant sa critique sur les monuments, les textes, les faits, est nécessaire pour établir que Dieu est intervenu positivement dans l’histoire du monde par la révélation : c’est là, en effet, la démonstration des « préambules de la foi », la preuve de la crédibilité des mystères révélés. Lorsqu’il faut établir l’existence des motifs externes et généraux de cette crédibilité, miracles physiques, prophéties, propagation et conservation admirable de l’Église, constance héroïque des martyrs, etc., l’histoire seule est susceptible de fournir des preuves suffisantes. Mais, une fois ces préambules démontrés, une fois démontré le fait de la révélation divine, dès qu’il s’agit d’établir le contenu de cette révélation, le sens des vérités proposées, l’interprétation qu’il faut leur accorder, la méthode historique, excellente comme méthode subsidiaire, ne saurait se passer du concours d’une méthode supérieure, la méthode théologique, laquelle a recours aux différents arguments (lieux théologiques) d’autorité, pour déterminer avec certitude quelle est la vérité révélée et quel sens elle présente à notre intelligence. Encore une fois, cette assertion n’infirme en rien l’utilité, voire la nécessité d’appliquer aux documents, aux textes, aux monuments, les règles de la critique historique ; elle rappelle simplement que la révélation divine ne se traite pas avec des normes purement humaines et qu’elle est garantie essentiellement par une autorité infaillible due à une assistance divine. C’est là tout le sens des règles posées par saint Augustin et codifiées par Bossuet touchant l’autorité des Pères en matière de tradition et de foi.

4. Le progrès du dogme.

Pour bien saisir et dans toute sa complexité la doctrine de Billot sur 1’ « évolution » du dogme, il faut se reporter d’abord au traité De Ecclesia, th. xvii (édit. de 1927, p. 404-405). Toutes les vérités religieuses qu’il faut croire sont contenues dans la révélation. Mais, parmi les vérités religieuses, les unes appartiennent de plus près à l’édifice de la foi et ont dû toujours être explicitement proposées dans la prédication de l’Église. Ce sont les vérités en quelque sorte fondamentales et que les chrétiens ne peuvent ignorer. C’est, par exemple, le mystère de la Trinité, de l’incarnation, de la rédemption, la vie future et les sanctions divines, paradis ou enfer. Dès le début, l’Église n’a pu que les enseigner distinctement. D’autres vérités appartiennent moins immédiatement à l’édifice de la foi : elles peuvent être crues simplement en général. Et donc Jésus-Christ ou le Saint-Esprit ont très bien pu ne les révéler que d’une manière générale, en les renfermant implicitement en d’autres vérités plus simples et moins déterminées. Ainsi, la