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TRADITION. LES THÉOLOGIENS (XIX « S.)


le domaine de la croyance, sans lien organique nécessaire entre elles. Les inventions des anciens furent acceptées comme des traductions fidèles qu’elles n’étaient point ; les refontes du christianisme, d’abord par Augustin et, plus tard, par Luther, ont tenté un retour vers le paulinisme primitif. Mais, en tout cela, pas de tradition réelle. Cf. L’essence du christianisme, tr. fr., Paris, 1907 ; Lehrbuch der Dogmengeschichle, Tubingue (4e édit.), 1909.

En France, une réaction contre le philosophisme du xviii 6 siècle devait amener chez les catholiques un excès de retour vers l’idée de tradition. Ce fut l’origine du Traditionalisme. Voir ce mot. Vers la fin du xixe siècle, le mouvement moderniste entraîna une déformation complète de la notion du dogme et de celle de tradition. Voir les textes de l’encyclique Pascendi, col. 1318. Du côté protestant se dessine de nos jours une certaine tendance à revenir à des idées plus justes : « La réaction contre la tradition et l’affirmation de l’autonomie humaine… ont entraîné un grand nombre de protestants sur le chemin sur lequel le protestantisme est défini comme la religion du libre examen. » La raison se substitue, chez beaucoup, au témoignage intérieur de l’Esprit-Saint. La méconnaissance de toute tradition, et même de la tradition réformée, livre la théologie protestante aux influences successives et parfois contradictoires des sciences et des philosophies humaines. On ne croit plus à une pensée chrétienne originale, fondée sur la révélation de Dieu ; on ne croit plus à un pouvoir doctrinal de l’Église ; on ne croit plus à une doctrine, à sa nécessité, à son efficacité. On croit à l’expérience. À la limite, il n’y a plus, non seulement d’autorité doctrinale de l’Église, mais même d’Église enseignante… Quel serait le remède à cet état de choses déplorable ? Il faut revenir à l’enseignement de l’Église, qui renferme trois éléments : « Tout d’abord, la révélation… En second lieu, ! a tradition de l’Église, par quoi s’affirme la solidarité des chrétiens à travers les générations et se réalise la communion des saints… » Marc Boegner, Qu’est-ce que l’Église, Paris, 1931, p. 91-97, passim.

II. LA RÉACTION DU XIXe SIÈCLE, FRANZELIN. —

1° La réaction inaugurée en Allemagne par l’école de Tubingue. — 1. Sailer. — On a exposé ici, t. xiv, col. 753, comment Sailer réagit contre l’incrédulité de l’Aufklàrung. Il se réfère aux Pères de l’Église, continuant ainsi en Allemagne l’œuvre entreprise un siècle et demi auparavant par Petau en France. Accueillant avec faveur l’idée de tradition vivante, il la mit en connexion avec l’Église, dans laquelle la parole vivante des apôtres est toujours agissante et met de nouveau en action la parole divine cristallisée dans l’Écriture.

2. Drey.

Malgré Jes réserves qu’il importe de faire sur les tendances rationalisantes de Jean-Sébastien Drey, c’est à lui qu’il faut faire remonter l’heureux retour, en Allemagne, de la théologie aux sources pures de la tradition catholique. Voir t. iv, col. 1827. Impressionné par les idées hégéliennes d’évolution organique de l’histoire, de continuité et de nécessité historique, Drey préconisa une nouvelle conception de la théologie, en faisant à la tradition la plus large part. Le fait primordial est la révélation ; l’Église est la manifestation et la continuation vivante et objective du fait de la révélation et de la rédemption. La véritable nature du catholicisme est donc dans la tradition vivante qui existe en lui ; la vérité révélée se développe nécessairement, mais organiquement, à la manière d’un progrès dialectique et forme ainsi la foi vivante de l’Église. La tradition est l’élément vivant, moteur et dynamique de la révélation, tandis que le donné divin primitif en forme l’élément statique. L’élément dynamique provoque nécessairement un

développement progressif de la doctrine de l’Église : c’est ainsi qu’à chaque époque, l’enseignement donné par l’Église doit être considéré comme le point de départ et la norme de l’enseignement théologique. Le principe de l’évolution ne détruit pas le dogme, mais bien au contraire il le confirme, l’élément dynamique agissant non pour annihiler l’élément statique, mais pour en développer le contenu. D’une part, il faut donc maintenir l’existence permanente du donné révélé dans l’enseignement de l’Église ; mais, d’autre part, il faut se garder de considérer la doctrine actuelle de l’Église comme un décalque stéréotypé de la prédication de Jésus et des apôtres : la tradition, en effet, n’est pas une transmission mécanique de la doctrine, mais un mouvement vivant et le développement de l’esprit qui anime l’Église.

3. Moehler.

Moehler est le continuateur de Drey, mais avec une valeur théologique incontestablement supérieure. La doctrine de Moehler sur la tradition a été présentée ici même, t. x, col. 2058-2059. Cette présentation s’est beaucoup inspirée du livre de Vermeil, Jean-Adam Moehler et l’école catholique de Tubingue, Paris, 1913. Le résumé que fait J. Ranft de cette doctrine diffère de cet exposé par quelques nuances appréciables. Le moyen d’approcher d’une présentation très objective est de se référer à l’ouvrage le plus discuté de Moehler, L’unité dans l’Église, dont une traduction nouvelle a paru dans la collection Unam Sanctam, Paris, 1938. En ce qui concerne la Symbolique, on se reportera surtout à la partie I, c. v, § 38-42, 44-51, 59-60. Mais l’Unité dans l’Église, part. I, c. ii, § 12, 13, 16, suffira à donner, sur la tradition, la pensée de Moehler.

§ 12 (p. 36-39). — 1. La Tradition consiste dans l’Évangile prêché depuis les apôtres. Elle est cet Évangile tel qu’il sort de la plénitude de l’âme ( Gemiil) sanctifiée, pour être, de la part des uns, l’expression, l’extériorisation de l’Esprit qui vit en eux et, pour les autres, un moyen de recevoir ou d’agrandir la foi. C’est en cela que se réalise la pédagogie de l’Église. Dès lors, il va de soi que la Tradition ne peut, en aucun cas, être séparée de la vie de l’Église.

2. Si, pour les disciples des apôtres, la Tradition était avant tout parole vivante, sortie directement de la bouche de ceux-ci et répétée par ceux-là, si la Tradition avait conservé le même procédé chez les disciples des Pères apostoliques (et nous faisons ici, pour le moment, abstraction des Évangiles écrits), il n’en va pas de même pour les générations suivantes ; dès ce moment la tradition commencée avec les apôtres n’est plus simplement la parole entendue ; elle a été incorporée (elle est devenue corps) dans les symboles de l’Église et dans les écrits de tous ceux qui se succèdent d’une manière ininterrompue depuis les temps apostoliques à nos jours. Mais la parole vivante qui se fait entendre aujourd’hui et qui développe fidèlement la pensée de l’Église en rappelant sans cesse son lien avec le passé est toujours dite Tradition… Une doctrine ne peut être dite « traditionnelle » par le seul fait qu’elle est actuellement enseignée dans une Église qui remonte aux apôtres ; il faut encore que cette doctrine elle-même se retrouve à travers les écrits jusqu’aux temps apostoliques. Nous devons adopter en cela la méthode des Pères apostoliques et de leurs successeurs, à savoir : justifier notre enseignement eu le faisant remonter jusqu’au premier chaînon des apôtres, La Tradition n’est donc pas une vague succession de légendes.

3. Si la Tradition est réellement la parole de l’Esprit divin, parole qui vit et se fait entendre à travers les siècles, on devra conclure que, en dehors de l’Église, la Tradition sera tout aussi peu comprise que l’Écriture sainte elle-même.

4. La Tradition ne peut et ne doit fournir aucune preuve, au sens propre de ce mot, à telle ou telle doctrine chrétienne. …Elle présuppose la vérité dont chacun devra se pénétrer. Elle a pour but d’écarter ceux qui voudraient proposer comme chrétiennes des conclusions étrangères à l’enseignement de l’Église. C’est pourquoi les Pères de l’Église caractérisaient ces tentatives par le reproche de « nouveauté »… La preuve par la Tradition est un appel à la conscieuce chrétienne qui a toujours été et qui est toujours et en tous…