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TRADITION. LES THÉOLOGIENS (XVIIIe S.)


charge de chefs de l’Église naissante. Toutefois, il existe une autre règle pour reconnaître une tradition divine : le consentement unanime des Pères à affirmer comme de foi une doctrine transmise de vive voix et dont la négation leur apparaît une hérésie. L’a. 2 du traité démontre l’existence des traditions divines et réfute les objections des adversaires. L’originalité de Billuart consiste donc surtout à avoir souligné le problème de la règle de la foi à propos des traditions.

4. Le dernier auteur auquel il convient de s’arrêter est Kilber, dans la théologie des jésuites de Wurtzbourg, Tractatus de principiis theologicis… (édit. de Paris, 1852). L’auteur divise les principes théologiques en trois classes : principes constitutifs, directeurs et adjuvants. L’Écriture et la tradition forment la première catégorie ; dans la seconde, l’Église, les conciles, les papes ; enfin, simples adjuvants, les saints Pères, les canonistes, la raison, l’histoire. L’évolution théologique du problème de la tradition est marquée nettement en cette division : les principes constitutifs se rapportent aux doctrines ; les principes directeurs se réfèrent à la règle de foi. Comme doctrine, la tradition n’est pas autre chose que l’enseignement sacré, tout d’abord communiqué verbalement et qui n’est point contenu expressément dans l’Écriture. N. 59. Cette tradition présente de multiples aspects. Elle est ou divine, ou divino-apostolique, ou simplement apostolique, ou ecclésiastique. C’est à peu de chose près la division déjà proposée par Billuart. Par rapport à la doctrine scripturaire la tradition est inhérente à l’Écriture, si elle en reproduit à la lettre la doctrine, simplement déclarative, si elle propose clairement ce que l’Écriture contient plus obscurément ; enfin simplement orale, si elle transmet ce que l’Écriture ne contient pas même implicitement. Cette tradition « orale » ne peut donc être assimilée à la véritable tradition. Par rapport à son objet, la tradition est dogmatique ou morale ; par rapport à la sphère de son contenu, elle est universelle ou particulière ; par rapport à sa durée, elle est perpétuelle ou temporaire ; enfin, par rapport à son caractère obligatoire, elle est nécessaire ou libre. Nous signalons ces divisions, parce qu’elles préludent déjà à la synthèse théologique qui se fait progressivement au sujet de la tradition. N. 60.

Quant à la règle de la foi, elle est constituée par le jugement de l’Église. C’est là le point exact qui sépare protestants et catholiques. Reprenant les données déjà acquises, l’auteur énumère les moyens de connaître avec certitude ce jugement : croyance universelle dans l’Église, conciles généraux, consentement unanime des saints Pères et des théologiens. C’est en développant, dans la seconde et la troisième partie du traité, ces considérations, que Kilber étudie plus à fond les principes directeurs et les principes adjuvants de la doctrine chrétienne.

Réactions protestantes.

Les polémistes catholiques

avaient ainsi mis en évidence la priorité chronologique et logique de la tradition sur l’Écriture. Ils raient également fait ressortir l’insuffisance dogmatique et les difficultés exégétiques des Livres sacrés et montré combien le témoignage positif de l’Écriture, onclles, des Pères est favorable à la doctrine catholique de la tradition. Aussi les protestants, dès la fin du xvie siècle et dans le. siècles suivants, en vinrent-ils à reconnaître l’antériorité d’une tradition par rapport à l’Écriture. Georges Calixte en fut tellement ébranlé qu’il proposa aux catholiques l’union sur la hase du consensus quinque imcatorum, c’esi o dire d’un retour aux positions dogmatiques de l’an 600. ( >n a a

qUfl Bouuet, plus généreux encore, se f ; iis ; iit fort de

démontrer le valeur dogmatique de la tradition en la

restreignant aux quatre premiers lièclet. le même

Bonnet rappelle que Grottes, revenu d’une partie de

ses erreurs, « justifie l’Église romaine de l’article de ses traditions par tant de témoignages de l’Écriture, et de la plus haute antiquité, qu’il n’y avait pas moyen de lui résister ». Dissert, sur Grotius, édit. cit., t. iii, p. 501. Voir la suite, n. 20, 21, p. 502-504. Georges Bull, également cité avec complaisance par Bossuet, semble avoir tellement défendu, dans sa Defensio fidei Nicœnse, le principe de la tradition, qu’il supprime toute possibilité de progrès et de développement. Voir ici t. ii, col. 1242. Son traité de la divinité du Christ contre Zuicker est intitulé : Primiliva et apostolica traditio dogmatis in Ecclesia catholica recepti… Il faut aussi citer Abraham Calov, dans ses controverses contre les calixtins, auxquels il reprochait leur syncrétisme, et John Hugues, dans l’édition du De sacerdotio de Jean Chrysostome, Cambridge, 1712, où il se réfère à la tradition pour démontrer, contre les presbytériens, l’existence d’un épiscopat. Cf. le théologien protestant Klûpfel, Institutiones theologise dogmaticæ, Vienne, 1907, p. 85 sq. ; Esslinger, Apologie de la religion catholique par des auteurs protestants, § 2 : De la tradition.

Mais, bien vite, la théorie protestante se ressaisit et crut pouvoir parer les coups de l’argumentation catholique en opposant à celle-ci la doctrine des passiones Sacrée Scripturse, au nombre de quatre : V autorité de l’Écriture, qui possède en elle-même sa justification ; sa clarté, en ce qui concerne les vérités évidentes ; sa suffisance, puisqu’elle contient toutes les vérités nécessaires ; enfin son efficacité, sa lecture fournissant aux fidèles les moyens de mener une vie chrétienne. Voir ici t. iv, col. 4. C’est même à partir de la réception de cette doctrine des passiones Scripturæ que le protestantisme devint vraiment une « religion du livre ». Cf. Ranft, Der Ursprungdes katholischen Traditions prinzips, p. 30 sq.

Ranft fait également remarquer que c’est grâce à la tradition, qu’au xvin 6 siècle, du moins en Allemagne, la théologie catholique fut préservée du rationalisme. Mais c’est aussi grâce à la tradition que l’étude du côté humain des Écritures fut rendue possible et que le système des passiones Scripturæ ne put tenir devant les attaques de VAufklâriing. Lessing démontre contre le pasteur Gôze que la religion existait avant que quoi que ce soit fût écrit à son sujet : c’est mettre en mauvaise posture l’autorité et l’efficacité de l’Écriture. De son côté, Wieland montre qu’ « un livre… ne peut être considéré comme juge en matière de foi qu’à la condition que tous ses lecteurs se persuadent tellement de la vérité de son contenu (lequel doit être facilement compréhensible pour tous les hommes et exempt de toute équivoque), qu’aucun doute sur l’interprétation de tel ou tel passage ne soit plus possible… Il est clair que la Bible n’est pas ce livre ». C’est l’autorité et la clarté qui sont ici mises en doute. Voir les citations dans Ranft, op. cit., p. 44 sq.

Ces attaques de VAufklârung firent réfléchir les théologiens protestants. Ils reconnurent qu’on ne pouvait repousser la tradition en bloc, tout en en conservant un lambeau, le canon des Écritures. Aussi est-ce à partir de cette époque qu’ils commencèrent à envisager le problème de la tradition avec moins de défaveur. Lielihorn fut le premier protestant qui essaya de trouver la solution du problème synoptique en partant de l’hypothèse de la tradition orale. Cf. c>. Fritz, recens ion, dans Revue des sciences rell§., de Strasbourg, janv. 1033, p. 70-72. Mais l’influence du Kantisme au xixe siècle détruisit ce qu’il pou ait avoir de bon dans ces timides retours à la vérité.

L’œuvre critique de Harnack a été, sur ce point délétère. Loin d’être le produit d’une tradition toujours Adèle à elle-même, le dogme ne serait, pour Harnack, qu’un agglomérat de matières se superposant dans