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TRADITION. LES THÉOLOGIENS (XVIII<> S.


ditions en général mais encore les traditions que nous enseignons en particulier ont des fondements si certains sur l’Écriture et des rapports si nécessaires avec elle, qu’on ne peut les détruire ou les attaquer sans faire violence toute manifeste à l’Écriture elle-même ». lbid., p. 336.

Le second malentendu vient de la confusion faite par les protestants entre les doctrines immuables reçues dans l’Église et les lois et coutumes variables. Bossuet met toutes choses au point :

Nous n’avons jamais prétendu que toutes les coutumes de l’Église fussent immuables. Nous parlons des dogmes de la religion et des articles de la foi. Ces dogmes sont regardés comme inviolables, parce que la vérité ne change jamais. C’est pourquoi quand on remue quelque chose qui touche la foi, les esprits en sont nécessairement émus : alors on touche l’Église dans la partie la plus vive et la plus sensible, et l’Esprit de vérité qui l’anime ne permet pas que des nouveautés de cette nature s’élèvent sans contradiction. Mais cette raison ne fait rien aux coutumes indillérentes, qui, n’enfermant aucun dogme de la foi, peuvent être changés sans contradiction… ici., p. 346.

Ces principes directeurs ont inspiré Bossuet dans les controverses où l’idée de tradition domine le débat. Soit contre les protestants, soit contre Richard Simon, soit même contre Fénelon et les nouveaux mystiques, Bossuet invoque le principe de la tradition qui s’oppose à toute variation dans le dogme, à toute interprétation du dogme différente de l’enseignement commun des Pères, soit aux nouveautés en fait d’états mystiques. Voir la préface de l’Histoire des variations, édit. cit., t. xiv, p. 1 sq. ; La tradition défendue sur la matière de la communion sous une espèce, t. xvi, p. 365 ; la Défense de la tradition et des saints Pères contre Richard Simon ; enfin, la Tradition des nouveaux mystiques, t. xix, p. 1 sq.

Est-ce à dire que tout soit parfait dans ces applications ? Non, car Bossuet semble ignorer le développement du dogme, au sens où les théologiens postérieurs au concile du Vatican l’ont précisé. Des formules de Vincent de Lérins, il ne retient que celles qui paraissent admettre un développement simplement verbal. Ou du moins les formules dont il se sert et qui sont calquées sur celles du moine de Lérins restent dans le même vague et la même imprécision. Voir surtout Défense de la tradition, part. II, t. VI, c. n. Il est à noter que certaines objections formulées par Leibniz, contre ce concept statique de la tradition semblent être demeurées sans réponse. Lettre xlvii, Leibniz à Bossuet, t. xviii, p. 273.

4. Parmi d’autres bons auteurs qui ont, au xviie siècle, défendu contre les protestants le dogme de la tradition, il convient tout au moins de citer le cardinal Du Perron, voir ici t. iv, col. 1955-1957, et François Véron, Les justes plaintes de l’Église catholique sur les falsifications de l’Écriture sainte et des saints Pères, par les ministres, Paris, 1623, et surtout Traité des traditions apostoliques pour répondre aux traditions des ministres Du Moulin et Bochart, Cæn, 1631. Mais le xviie siècle a mieux fait encore que de mettre en bonne lumière les principes. Il a contribué par ses travaux d’érudition à une rénovation véritable de l’étude des sources de la théologie catholique. Les œuvres de Maldonat, de Sirmond, de Huet, de Petau, celles surtout des Mauristes sont une admirable démonstration de l’argument de tradition.

3° Au XVIIIe siècle. — La théologie du xviiie siècle ne nous apporte guère d’éléments nouveaux dans l’étude de l’argument de tradition. Un choix de quelques auteurs montrera que, à part quelques aspects secondaires personnels, chacun se tient dans une voie déjà commune.

1. Le jésuite Antoine Mayr insère sa doctrine sur la

tradition dans le traité de la foi. Theologia scholastica, Ingolstadt, 1732, t. vu. Pour pouvoir connaître avec certitude une vérité que Dieu impose à notre foi, il faut savoir qu’elle est révélée. La Sainte Écriture seule ne suffit pas à nous donner cette connaissance pour toute vérité révélée : il faut donc un autre moyen et c’est la tradition : donc, il faut qu’existent des traditions qui ne sont pas dans l’Écriture. Tract, vii, n. 193. Mais, derechef, la tradition seule, sans une règle de foi qui discerne entre traditions vraiment apostoliques et traditions simplement ecclésiastiques, et même traditions illégitimes, ne saurait nous communiquer la parole divine. N. 197. L’inspiration privée individuelle ne saurait être cette règle : il faut en arriver à admettre comme règle de foi l’Église elle-même et l’Église infaillible. N. 207, 306. Se plaçant à ce point de vue, l’auteur divise les lieux théologiques de Melchior Cano en deux groupes : cinq d’entre eux, la raison, l’autorité des philosophes, l’histoire même ecclésiastique, la doctrine commune des théologiens, le consentement unanime des Pères sur une doctrine qu’ils ne présentent pas comme la parole de Dieu, voilà des lieux théologiques qui peuvent être source de vérité, mais qui ne sont pas règle de la foi. Quant aux cinq autres, Écriture sainte, tradition, Église, conciles œcuméniques, définitions du pape, ils peuvent être règle de foi, bien que, pris séparément, l’Écriture et la tradition ne puissent constituer cette règle, pour laquelle l’adjonction de l’autorité de l’Église (en y incluant celle des conciles et du pape) est indispensable. Finalement « les trois derniers lieux théologiques peuvent être ramenés à un seul, l’Église, parlant par elle-même, par son chef ou par le concile » : formule qui fait penser à la définition du concile du Vatican touchant le magistère ordinaire ou solennel de l’Église. Denz.-Bannw., n. 1792.

2. L’idée de règle de foi qui s’affirme plus nettement déjà chez Mayr se retrouve encore, quoique un peu plus confusément, chez le cardinal Gotti, O. P. († 1742), dans sa définition de la tradition au sens strict ou tradition théologique et sacrée, qu’il considère comme « une doctrine de foi ou des mœurs non écrite et parvenant jusqu’à nous de vive voix et comme transmise d’oreille en oreille ». Theologia scholasticodogmatica juxla mentem divi Thomse Aquinatis, Venise, 1793, dub. i, § 1, n. 1. En tant que doctrine, la tradition est source ; en tant que doctrine transmise par l’autorité de l’Église, elle est règle.

3. À cette précision, Billuart, O. P. († 1757), donne une forme quelque peu nouvelle. Pour lui, il y a cinq règles de la foi. Deux sont inanimées : l’Écriture et la tradition. Trois sont vivantes (animatœ) : l’Église, le souverain pontife, le concile général. On trouve une division analogue chez Antoine, S. J. († 1743), Theologia dogmalico-scholaslica, t. iv, De regulis fidei inanimatis, n. 285, Mayence, 1766, p. 208. Il semble que l’expression régula inanimis et régula animala (d’où nos théologiens récents ont tiré la formule : règle vivante, magistère vivant), soit due à Suarez, De flde, disp. V, sect. ii, n. 5, édit. Vives, t.xii, p. 141.

Billuart définit la tradition : une doctrine relative à la foi et aux mœurs chrétiennes, communiquée de vive voix par son auteur. Cursus theologiæ, tract. De regulis fidei, titre et dissert. II, a. 1. Par elle-même, la tradition n’est pas encore une règle suffisante de la foi ; pour savoir quelle tradition s’impose à la foi des fidèles, il faut le jugement de l’Église qui seule ne peut se tromper. Contrairement à l’usage d’un grand nombre de Pères, Billuart distingue les traditions divines ou divino-apostoliques, qui viennent de Jésus-Christ ou des apôtres inspirés par l’Esprit-Saint, d’avec les traditions purement apostoliques, instituées par les apôtres agissant en vertu du pouvoir inhérent à leur