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TRADITION. LES THÉOLOGIENS


leur désire. C’est ainsi que l’expérience religieuse va se propageant à travers les peuples, et non seulement parmi les contemporains, par la prédication proprement dite, mais encore de génération en génération par l’écrit ou par la transmission orale. Or, cette communication d’expérience a des fortunes fort diverses : tantôt elle prend racine et s’implante, tantôt elle languit et s’éteint. C’est à cette épreuve d’ailleurs que les modernistes, pour qui vie et vérité ne sont qu’un, jugent de la vérité des religions : si une religion vit, c’est qu’elle est vraie ; si elle n’était pas vraie, elle ne vivrait pas. (Trad. fr. de l’édit. de la Bonne Presse, Actes de Pie X, t. iii, p. 105.)

Il s’en faut, d’ailleurs, que la tradition constitue, pour les modernistes, un élément de progrès : elle est bien plutôt la force conservatrice qui résiste au progrès :

En droit, la défense de la tradition est comme un instinct naturel de l’autorité ; en fait, planant au-dessus des contingences de la vie, l’autorité ne sent pas, ou très peu, les stimulants du progrès. La force progressive, au contraire, qui est celle qui répond aux besoins, couve et fermente dans les consciences individuelles et dans celles-là surtout qui sont en contact avec la vie. (ld., ibid., p. 127.) Texte latin dans Ûenz.-Bannw., n. 2095.

En sorte que le progrès dogmatique ne se réalise « qu’en vertu d’une sorte de compromis et de transaction entre la force conservatrice et la force progressive ». ld., ibid.

Rien d’étonnant que l’encyclique accuse les modernistes de « fausser perfidement le caractère (de la tradition ) et d’en saper l’autorité ». Actes de Pie X, p. 155. Ils en faussent le caractère, soit qu’il s’agisse des vérités elles-mêmes transmises oralement, puisqu’ils assignent à l’origine de ces vérités, non la révélation divine, mais l’expérience religieuse individuelle, soit qu’il s’agisse de l’organe chargé de les transmettre, puisqu’ils placent cet organe beaucoup plus dans la force progressive qui fermente dans les consciences individuelles que dans l’autorité même du magistère de l’Église. Et, par là même, ils en sapent l’autorité. Voir, pour le rétablissement de la doctrine catholique sur ces points, l’art. Dogme, t. iv, col. 16Il sq., surtout 1619-1623.

En guise de conclusion, pour rappeler la doctrine catholique touchant les traditions en général — y compris les traditions ecclésiastiques — Pie X se réfère à la déclaration du IIe concile de Nicée (voir ici col. 1305), à la profession de foi du IVe concile de Constantinople (col. 1305) et à celle de Pie IV (col. 1317), reprise par Pie IX (ibid.).

2. Le décret Lamentabili.

Plusieurs propositions censurées par le décret Lamentabili se rapportent directement ou indirectement à la conception moderniste de la tradition. Ce sont principalement les prop. 6, 20, 21, 22, Denz.-Bannw., n. 2006, 2020, 2021, 2022.

3. Le serment antimoderniste (Motu proprio : Sacrorum Antistitum, 1 er sept. 1910). — Ce document, qui complète la profession de foi de Pie IV, indique comme appartenant aux vérités définies par le magistère infaillible de l’Église le dogme de l’immutabilité substantielle de la tradition : « Je reçois avec sincérité la doctrine de la foi transmise depuis les apôtres jusqu’à nous par les Pères orthodoxes, en lui conservant le même sens et le même sentiment, eodem sensu eademque semper sententia. Aussi je rejette l’invention hérétique de l’évolution des dogmes passant d’un sens à un autre différent de celui que l’Église avait d’abord tenu. Pareillement je condamne toute erreur qui voudrait expliquer le dépôt divin transmis par le Christ à l’Église son épouse, qui doit le conserver fidèlement, comme si c’était une simple conception philosophique ou une création de la conscience humaine se formant peu à peu sous l’effort des hommes et se perfectionnant indéfiniment dans la suite. » Denz.-Bannw., n. 2145.

Un peu plus loin, le serment rejette l’interprétation des Écritures, faite sans souci de la tradition de l’Église, n. 2146. Et la profession de foi se termine par une adhésion à « la foi des Pères » touchant le charisme de vérité qui est, a été et sera toujours dans la succession de l’épiscopat depuis les apôtres, gage d’une foi immaculée : Nunquam aliter credatur, nunquam aliter intelligatur absoluta et immutabilis veritas ab initia per Apostolos prsedicata. Cf. Tertullien, De presser., xxviii, P. L., t. ii, col. 40.

r. conclusion générale. — La collection des documents empruntés aux déclarations pontificales et conciliaires est loin de présenter l’intérêt des dossiers constitués par les Pères du ve et du vie siècle. La période qui s’étend de Jean Damascène au xiie siècle est, pour le dogme de la tradition, plus stérile encore que pour d’autres dogmes, en raison du peu d’utilité que présente pour les rares écrivains de cette époque le recours à l’argument de la transmission apostolique. En effet, la foi chrétienne est solidement établie et l’on ne songe pas à en discuter les fondements.

Plus tard, les grands théologiens du Moyen Age parlent peu de la tradition ou n’en parlent que d’une manière générale et le plus souvent superficielle. Plus que jamais la doctrine chrétienne est acceptée sans discussion et la tradition se confond pour ainsi dire avec elle.

Rien d’étonnant qu’au moment où éclate la crise protestante, les réformateurs perdent de vue la vraie tradition, celle qui se rattache à l’enseignement des apôtres, pour ne considérer dans l’Église que « les traditions humaines », qu’avec plus ou moins de vraisemblance on s’efforçait de rattacher à l’institution apostolique. Certes ces sortes de traditions purement disciplinaires ou historiques ont leur place marquée dans la doctrine ecclésiastique, mais elles ne sont, dans le domaine de la tradition, qu’un simple accessoire n’ayant avec le dogme proprement dit qu’un contact assez superficiel. En portant leurs attaques sur ces « traditions humaines », les protestants se sont trompés d’objet. Néanmoins ces attaques eurent l’excellent effet d’obliger les théologiens catholiques et les Pères de Trente à une analyse plus exacte du problème de Ja tradition et à une distinction plus nette entre l’essentiel et l’accessoire. Tout fut donc bientôt remis en bonne place : d’une part, dans le chapitre doctrinal et l’anathème qui le complète, le concile affirmait l’existence de traditions doctrinales, celles qui s’eriginent à la prédication même des apôtres ; d’autre part, la profession de foi de Pie IV accordait aux simples traditions ecclésiastiques la place honorable, quoique secondaire, qui leur revient.

Le concile du Vatican n’a fait que consacrer la doctrine tridentine. Mais ni le concile de Trente, ni celui du Vatican, ni les professions de foi imposées aux catholiques, depuis celle de Pie IV jusqu’à celle de Pie X, n’ont épuisé la question théologique de la tradition. Et, pour ramener le problème à ses données essentielles, on peut se demander s’il faut entendre par « traditions » (au pluriel) les doctrines elles-mêmes transmises depuis les apôtres, ou bien par * tradition » (au singulier) la transmission même de ces doctrines ? Et, de plus, comment concevoir dans l’Église cette transmission : est-elle simple communication humaine sujette à toutes les lois de l’histoire, ou bien enseignement d’ordre transcendant relevant d’un charisme qui échappe aux catégories humaines ? Les réponses à ces questions seront, peu à peu, proposées par les théologiens.

IV. Enseignement des théologiens.

Si l’on voulait, d’une façon très générale, caractériser la marche de cet enseignement, on pourrait dire qu’il a comme point de départ la conception d’une tradition-