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TRADITION. LE CONCILE DE TRENTE


giquement, le texte définitif : Pari pielalis affectu et reverentia suscipit et veneratur. Conc. Trid., t. v, p. 53.

d) Portée dogmatique du décret. — a. L’erreur visée et condamnée. — Le mot « traditions » au pluriel indique bien la pensée du concile. Il s’agit d’affirmer, contrairement à l’assertion des novateurs, que les vérités révélées peuvent nous parvenir non seulement par le canal de l’Écriture, mais encore par celui des voies orales. Les protestants veulent s’en tenir aux sources écrites. Certes, ils ne méconnaissent pas l’antériorité dans l’Église de l’enseignement oral par rapport à l’enseignement écrit. Bien plus, ils acceptent que tout l’enseignement du Christ et des apôtres n’est pas contenu dans l’Écriture. Mais ils affirment qu’une fois achevés, les livres du Nouveau Testament renferment toutes les vérités nécessaires au salut. Quant aux autres vérités, leur connaissance intéresse l’histoire plus que la religion et elles se sont estompées ou même évanouies au point qu’il est impossible aujourd’hui de reconnaître leur origine apostolique. En sorte que l’authentique tradition des apôtres se confond avec l’Écriture et qu’après l’époque apostolique il ne saurait y avoir d’autre source des vérités révélées que l’Écriture. Ainsi, pour les protestants, la tradition est un simple complément de l’Écriture. Sur la position exacte de la controverse entre catholiques et protestants, voir Van Noort, Tractatus de fontibus revelationis, Amsterdam, 1911, n. 139-142.

Toutefois cette erreur, visée par le concile, doit être distinguée d’une assertion qui, de prime abord, semble présenter quelque affinité avec elle. Au concile de Trente, en effet, l’évêque dominicain de Chioggia, Nachianti, avait déclaré, non sans causer quelque étonnement, voire quelque scandale, parmi les Pères : Nemo ignorât contineri in sacris libris omnia ea quæ ad salutem pertinent. Conc. Trid., t. v, p. 18. Vraisemblablement l’orateur entendait, n’exclure que les traditions ecclésiastiques, comme l’indique la suite de son intervention. Cf. Druffel-Brandi, Monumenta Tridentina, p. 397. L’histoire de la théologie montre qu’il peut y avoir un sens sinon acceptable, du moins tolérable, de cette opinion. Druffel rapporte que l’évêque de Chioggia s’appuyait sur saint Augustin. Et postérieurement au concile, d’autres théologiens, comme Bellarmin, De verbo Dei, t. IV, c. ii, obj. 1 et 14, les frères Wallenbourg, Controversise, tract, vi, De testimoniis, c. iv, n. 14, 15 (dans Migne, Cursus theol., t. î, col. 156) et même Newman, Du culte de la sainte Vierge dans l’Église, admettent que tous les dogmes nécessaires aux fidèles sont contenus dans l’Écriture sainte. Mais on remarquera que cette assertion n’implique pas que tous les dogmes soient contenus explicitement dans l’Écriture. D’ailleurs, ces théologiens affirment en même temps que, sans la tradition, l’Écriture ne suffirait pas à nous donner la certitude de la révélation de ces dogmes. L’évêque de Chioggia affirmait même que la tradition était nécessaire pour connaître le canon des Écritures. Sans approuver l’opinion minimisante de ces auteurs, on ne peut donc la taxer d’erreur ou d’hérésie.

b. Les vérités proposées. — Ces vérités concernent la nature, l’origine des traditions et le canal par lequel elles nous parviennent.

a) Nature. — Le concile restreint son enseignement aux traditions divines ou divino-apostoliques : « Traditions non écrites qui, reçues de la bouche même du Christ par les apôtres ou reçues des apôtres à qui l’Esprit-Saint les avait dictées »… Les traditions humaines introduites dans l’Église, soit par les apôtres en vertu de leur simple pouvoir pastoral, soit par les autorités légitimes postérieures ne sont donc pas envisagées, quoique, dans l’esprit du concile, elles ne doivent pas pour autant être négligées.

P) Origine. — Il s’agit de traditions nous apportant la révélation divine et, par conséquent, remontant à Dieu lui-même comme à leur origine première. Le décret rappelle en effet que le concile entend conserver dans l’Église « la pureté même de l’Évangile qui, après avoir été promis auparavant par les prophètes dans les saintes Écritures, a été publié d’abord par la bouche de Notre-Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu, ensuite par ses apôtres auxquels il a donné la mission de l’annoncer à toute créature comme étant la source de toute vérité salutaire et de toute discipline des mœurs » ; or, c’est cette même vérité, cette même règle morale qui est « contenue dans les Livres saints et les traditions non écrites », et il s’agit expressément des traditions « reçues par les apôtres de la bouche même du Christ » ou « reçues des apôtres à quil’Esprit-Saint les avait dictées ». Cette double origine (qui d’ailleurs n’en fait qu’une en réalité) est fondée sur l’enseignement de Jésus-Christ lui-même : le Sauveur, en effet, n’a pas révélé par lui-même à ses apôtres toutes les vérités chrétiennes ; cf. Joa., xv, 12 ; c’est le Saint-Esprit qui a achevé l’œuvre de l’instruction des apôtres ; cf. Joa., xiv, 26. Que les apôtres aient été pleinement instruits dès la Pentecôte, comme le pense Bafiez, ou que les vérités leur aient été progressivement manifestées, ainsi qu’opinent d’excellents auteurs ; voir Suarez, De flde, disp. II, sect. vi, n. 18 ; De Lugo, De fide, disp. III, sect. v, n. 67 (qui ne sont pas très affirmatifs) ; Becanus, De virtutibus theologicis, c. iii, q. v, n. 7 ; Franzelin, De traditione divina, 2e édit., p. 272 ; C. Mazzella, De virtutibus infusis, n. 555, cités par Vacant, Études théologiques…, Paris, 1895, t. i, p. 378, peu importe. Du texte conciliaire il résulte que toutes ies vérités qui entrent dans le dépôt de la révélation chrétienne ont été manifestées plus ou moins explicitement aux apôtres. Non seulement, en effet, le concile affirme que la révélation est contenue dans les Écritures et les traditions, qui viennent des apôtres, mais il appelle les apôtres « la source » de tout le dogme et de toute la morale chrétienne. Sur la science des apôtres, voir t. i, col. 1657.

y) Canal. — Le dernier caractère de ces traditions divines ou divino-apostoliques, c’est, d’après le concile, qu’elles sont parvenues jusqu’à nous (et donc qu’elles parviendront aux hommes jusqu’à la fin du monde) usque ad nos pervenerunt. Le canal par lequel elles passent pour atteindre ainsi leurs destinataires, c’est l’Église catholique, dont l’enseignement infaillible en matière de foi et de mœurs est le garant de leur pureté et de leur authenticité, tradiliones tum ad fidem, tum ad mores pertinentes… continua successione in Ecclesia catholica conservatas. Le décret touche ici un aspect — l’aspect formel — des traditions, aspect qui ne sera mis en plein relief que par la théologie postérieure au concile de Trente et même au concile du Vatican. Si le canal des traditions était une simple transmission humaine, même fixée dans les écrits des Pères, sans qu’un enseignement vivant, infaillible, ne vienne affirmer la légitimité de la transmission, prêt à faire, à toutes les époques du christianisme, la discrimination des traditions divines et des traditions humaines et, dans les traditions tant divines qu’humaines, le partage du certain et de l’incertain, distinguant les éléments authentiques de la révélation et leurs légitimes développements d’avec les excroissances adventices, la doctrine des traditions, vérités objectives oralement transmises, resterait insuffisante et incomplète. Les Pères de Trente n’ont indiqué que d’un mot le complément nécessaire : il faut que ces traditions soient « conservées dans l’Église catholique par une succession continue ». Ce n’est là qu’une indication, mais une indication grosse de conséquences et dont les théologiens arriveront