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TRADITION. LA RÉFORME


chrétiennes, fut fréquemment souligné dans les trois premiers siècles, quand l’Église se trouvait encore proche de ses origines. Dans la suite, à mesure que l’enseignement chrétien se développe, l’argument de tradition prend des formes nouvelles et se concrétise autour des organes transmetteurs de la révélation primitive : Pères, conciles et même théologiens.

A vrai dire, on l’a déjà indiqué d’un mot, la théologie du xiii c siècle semble dédaigner le recours à la tradition. La méthode et l’objet de la scolastique à cette date ont peu de points de contact avec la tradition qu’ils présupposent plutôt qu’ils ne la contiennent. Le xiie siècle dès ses débuts avait pourtant donné une attention spéciale aux sources de l’enseignement ecclésiastique, témoin le Sic et non d’Abélard ou les divers recueils de Sentences que vit éclore la seconde moitié du siècle. Voir l’art. Théologie, col. 364 sq. Ainsi dans le prologue de ses Sentences, Pierre Lombard présentet-il son œuvre comme « résumant en un bref volume la doctrine des Pères, dont elle apporte les témoignages ».

Une fois constituée la méthode proprement scolastique, les grands théologiens ne laissent pas de montrer qu’ils connaissent l’argument en question. Pour Alexandre de Halès, tradition se confond avec révélation : c’est, dit-il, le propre de la science théologique d’être établie per divinam traditionem. Sum. theol., q. i, fine, édit. de Quaracchi, 1924, t. i, p. 13. Saint Bonaventure, plus explicitement, déclare que « les apôtres nous ont transmis beaucoup de choses, qui cependant ne sont pas écrites ». In III am Sent., dist. IX, a. 1, q. ii, ad 6um, édit. de Quaracchi, t. iii, p. 205. Dans la question liminaire qui sert pour ainsi dire de préface à la Somme théologique, saint Thomas établit que la théologie est une science dont l’objet formel s’origine à la révélation divine. Mais cette révélation n’apparaît par un raisonnement nécessaire qu’en argumentant par la sainte Écriture : le recours aux docteurs de l’Église ne fournit qu’un argument probable (a. 8). L’argument de la tradition semblerait donc laissé ici dans l’ombre ; cependant Thomas est loin de l’ignorer puisqu’il y recourt expressément, dans la III a, pour établir la légitimité de l’adoration des images du Christ et l’origine divino-apostolique de certains rites sacramentels. Voir III a, q. xxv, a. 3, ad 4um et q. lxiv, a. 2, ad l um. Pareillement, pour le péché originel, la tradition est invoquée, Conl. Gent., t. IV, c. liv, bien que le Docteur angélique s’appuie également sur Rom., v, 18.

Comment pourrait-on douter du respect des théologiens scolastiques pour l’argument de tradition, puisque, dans leurs objections ou leurs arguments sed contra, c’est fréquemment aux assertions patristiques qu’ils recourent, soit pour les expliquer, soit pour y trouver un point d’appui ? Les gloses et les postilles sont également un témoignage du respect professé par les écrivains catholiques pour les interprétations traditionnelles de la Bible. Saint Thomas est même l’auteur d’une chaîne, c’est-à-dire d’un commentaire des quatre évangiles fait de citations de Pères grecs et latins, continuant ainsi dans l’Église latine les riches collections de chaînes de la littérature byzantine et des littératures orientales. D’ailleurs, l’opuscule écrit par saint Thomas Contra errores Grœcorum est en réalité une étude, aussi parfaitement menée qu’on le pouvait au Moyen Age, de la théologie patristique latine et surtout grecque, soit en ce qui concerne les questions trinitaires, soit, très brièvement, touchant les dogmes de la primauté pontificale et du purgatoire. Le dossier est assez riche : on y trouve fréquemment des citations d’Athanase, de Basile, d’Épiphane, de Cyrille d’Alexandrie, de Grégoire de Nysse et de Grégoire de Nazianze, quelques-unes de Théodoret, d’Origène, de

Grégoire le Thaumaturge, de Maxime le Confesseur et de Cyrille de Jérusalem. Du côté des latins, c’est presque toujours la grande autorité de saint Augustin qui est invoquée, mais aussi parfois celle de saint Grégoire le Grand et même de Richard de Saint-Victor.

2° Premières attaques contre la tradition et premiers défenseurs. — Dès le xv c siècle, Wicleff, dont les erreurs ont tant d’affinité avec celles des réformateurs du xvie siècle, rejetait en fait toute autorité extérieure de l’Église, cf. prop. 9, 30, 37, Denz.-Bannw., n. 589, 610, 617, etc. ; pour sauvegarder la religion chrétienne, il était obligé de se réfugier dans la seule autorité de l’Écriture : « Que chaque fidèle, écrit-il dans son Spéculum Ecclesite militantis, puise sa doctrine dans la lecture de la Bible : on y trouvera la foi plus pure et plus complète que dans tout ce que les prélats commentent et professent. » Édit. Pollard, Londres, 1886.

Contre Wicleff, le carme anglais Thomas Netter de Wald (Waldensis) rétablit la doctrine catholique dans son Doctrinale antiquilatum fldei Ecclesiæ catholiese, Venise, 1571. Il y défend la valeur des traditions orales. Les apôtres, écrit-il, cum mandarent (idelibus observare scripturas canonicas, mandabant eis cum iis observare sermones suos vivos et traditiones, quas scribere non vacabat, sed viva voce aller alteri et senior traderet juniori, qui semper ad verum intelleclum ducerent Scripturas, nullas ex parte patientes eas perverti. Op. cit., t. i, t. II, a. 2, c. xxiii, n. 4, p. 209. On remarquera la phrase où l’auteur déclare que la tradition orale doit toujours conduire à la véritable intelligence des Écritures. Un peu plus loin, Thomas semble élargir le domaine où s’exerce l’influence de la tradition. Il considère qu’une triple source est offerte au chrétien pour affirmer sa foi : l’Écriture, les définitions et les pratiques ( consuetudines) de l’Église et enfin, à titre subsidiaire, les enseignements des doctes, amis de la vérité. Ibid., n. 9, p. 210. D’ailleurs, l’autorité de l’Église n’est-elle pas le seul moyen de donner aux fidèles avec certitude la liste authentique des livres inspirés ? C. xx, n. 3, p. 199 ; cf. c. xxi. Et, pour conclure : Est… universalis Ecclesiæ prærogativa singularis, quod infallibiliter tradit et docet omnes articulos fidei et cuncta credenda de necessitate salutis vel agenda intra Scripturam vel citra, aut detexit jam explicite, vel implicite continet in flde membrorum. C. xxv, n. 1, p. 213.

Wicleff eut pour admirateur et disciple Jean Hus. Les propositions hussites, 3, 5, 6, 9, 10, 11, 12, 13, 15, 22, 26, 27, pour ne citer que les plus explicites, ne vont à rien de moins qu’à détruire toute autorité extérieure dans l’Église et, partant, toute tradition. Cf. Denz.-Bannw. , n. 629 sq. Aussi est-ce autant contre Hus que contre Wicleff que le cardinal Jean de Torquemada (11468) a composé son vaste ouvrage Summa de Ecclesia, Venise, 1561, qu’on peut considérer comme l’ouvrage précurseur de la théologie de Melchior Cano ; cf. A. Lang, Die « Loci theologici » des Melchior Cano und die Méthode des dogmatischen Beweises, Munich, 1925, p. 87. L’auteur distingue sept sortes de vérités catholiques : 1. Les enseignements clairement contenus dans la Sainte Écriture ; 2. Les vérités qu’on déduit sans contestation possible du contenu scripturaire ; 3. Les vérités appartenant à la révélation, mais qui ne sont parvenues aux fidèles que par les apôtres ; 4. Les vérités définies parles conciles pléniers ; 5. Les vérités non contenues dans le canon des Écritures, mais que le Siège apostolique, qui ne peut errer en matière de foi, a placées au rang des vérités qu’il faut croire ; 6. Les vérités que, dans leur défense de la foi contre les hérétiques, les docteurs approuvés par l’Église universelle, ont considérées comme devant êtie retenues, quoiqu’elles ne soient pas expressément contenues dans l’Écriture ; 7. Les conclusions qu’on tire