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TRADITION. PAPES ET CONCILES


en bon relief le rôle important de la succession apostolique dans l'Église de Rome. Clément d’Alexandrie et Origène concentrent leur intérêt plutôt sur la gnose, mais ils n’ignorent pas la succession historique des évêques.

Ainsi, à la fin du nie siècle, l'Église a déjà donné une solution nette du problème de la tradition : elle considère la tradition comme une source de vérité distincte de l'Écriture et elle sait déjà ce qu’est l’enseignement oral du magistère vivant. Aussi l’enseignement de la tradition entre-t-il déjà dans ce que les auteurs de cette époque appellent « la règle de la vérité » ou « la règle de la foi ».

3° Le progrès de la théologie de la tradition porte désormais principalement sur les précisions relatives aux organes qui transmettent et font connaître les vérités d’origine apostolique. L’aspect objectif de la tradition demeure encore au premier plan : avant tout, les auteurs considèrent la tradition comme l’ensemble des vérités et des pratiques qui nous viennent oralement des apôtres. Mais c’est l’enseignement unanime des Églises qui donne à ces vérités leur cachet d’authenticité. À coup sûr, la tenue du concile de Nicée en 325 a contribué grandement à taire pénétrer, dans la théologie naissante de la tradition, l’idée, encore assez peu précise, mais déjà suffisamment esquissée, du magistère proposant infailliblement les vérités reçues des apôtres. On précise même la condition de cette autorité s’imposant à tous sans réplique : c’est le consentement unanime des évêques qui forment l'Église. « Si le concile de Nicée a dit la vérité, n’hésite pas à écrire saint Athanase, c’est qu’il est l'Église même. » L’enseignement de l'Église romaine est intégré dans cet enseignement de l'Église universelle : il en est la manifestation principale et les représentants du Siège apostolique de Rome seront toujours présents aux décisions des conciles pour en assurer la valeur dogmatique ou disciplinaire. On reconnaît aux organes de la tradition le droit de choisir des mots nouveaux pour affirmer les idées traditionnelles insuffisamment exprimées jusquelà en face des assertions de l’hérésie. L’histoire du mot « consubstantiel » en est la preuve.

Mais précisément parce que les évêques, en tant que tels, sont appelés à prendre part aux grandes assises doctrinales de la chrétienté, ils seront appelés de plus en plus à prendre place parmi les organes de la tradition. Les « Pères » de l'Église ont désormais un rôle officiel dans la transmission du dépôt apostolique.

On commence d’ailleurs à distinguer nettement deux aspects de ce dépôt : l’aspect strictement doctrinal, en tant qu’il contient des vérités révélées, mais tout d’abord transmises par une simple catéchèse orale ; l’aspect institutionnel, en tant qu’il nous apporte des pratiques, dont l’obligation s’impose à tous, en raison de leur origine apostolique. On cite, parmi ces pratiques ou institutions, la formule baptismale, la célébration de la fête pascale, la prière pour les défunts.

4° C’est l’argument patrislique qui prend désormais la première place dans les préoccupations des écrivains ecclésiastiques. Sans doute, on ne renie rien des vérités acquises et les témoignages abondent, du ive siècle jusqu'à la fin de l'âge patristique, touchant l’existence de vérités ou de pratiques transmises des apôtres d’une façon orale, ou encore en faveur de l’autorité des évêques réunis en concile et des droits prépondérants du Siège romain. Mais, dès la seconde moitié du ive siècle, des préoccupations nouvelles se font jour. Chez les Grecs, on justifie la confiance due aux affirmations des Pères en accordant à ceux-ci une sorte d’illumination ou d’inspiration divines : les Pères parleraient ainsi au nom de Dieu lui-même. Toutefois, il ne semble pas qu’on doive entendre ces épithètes

hyperboliques dans leur sens absolu : la preuve en est que, dans les controverses christologiques, les partisans d'écoles différentes ou même opposées s’ingénient à aligner les textes de nombreux Pères, pensant donner ainsi, par la quantité des témoignages accumulés, une force plus convaincante à l’argument. La théologie grecque s’en tient là et il n’est venu à l’esprit d’aucun auteur de formuler des règles plus précises concernant l’autorité réelle de l’argument patristique.

C’est en Occident que se réalise ce nouveau progrès : on le doit, avec tant d’autres, à saint Augustin. De ses œuvres on peut tirer quatre principes concernant l’autorité des Pères en matière de foi. Tous quatre visent à montrer que l’unanimité morale des Pères est requise pour établir qu’une doctrine enseignée par eux relève vraiment de la tradition et, par la tradition, s’origine à la révélation elle-même. Mais, pour établir cette unanimité morale, il n’est pas nécessaire, dans tous les cas, d'établir ces abondants florilèges auxquels s’attachaient les auteurs grecs. Parfois, un seul Père, éminent par la place qu’il occupe dans l'épiscopat, suffit pour manifester la doctrine de tous. Les auteurs latins peuvent aussi manifester la pensée de l'Église tout entière et, en toute hypothèse, l’enseignement du Siège romain est et demeure la pierre de touche de la vérité. Contre cette unanimité morale et contre l’enseignement certain de Rome, l’opinion d’un Père isolé ne saurait prévaloir.

5° Saint Augustin avait entrevu, dans le dépôt traditionnel, la possibilité d’un progrès, non pas quant aux doctrines révélées qu’il contient, mais dans la compréhension de ces doctrines. Il était réservé à saint Vincent de Lérins de rappeler les principes fondamentaux de ce progrès. Deux principes dominent sa théologie. Le premier, c’est qu’il n’est jamais permis de s'écarter d’une doctrine qui, partout, toujours et par tous, a été reçue dans l'Église. Le second, c’est que cette vigilance à conserver intact le dépôt reçu, ne doit pas être une raison de stagnation : le dogme possède une vie et cette vie doit se manifester par un progrès du dogme in suo génère, in eodem sensu, in eadem sententia. Cette indication demeure encore trop générale. Elle appelle d’ultérieures précisions. Malheureusement la théologie patristique va entrer dans une longue période de sommeil, dont elle ne se réveillera que sous les coups des attaques protestantes. On attendra plus de mille ans pour que le germe déposé par Vincent de Lérins dans le champ théologique puisse se développer normalement. Et il faudra que le concile du Vatican reprenne la formule du moine de Lérins pour que la théologie l’amène à pleine maturité.

III. Enseignement des papes et des conciles. — Nous étudierons simultanément ces deux sortes de documents, parce que fréquemment les uns éclairent les autres. On mettra en relief les plus importants ; on indiquera en quelques mots le sens des autres. Tous sont remarquables par l’insistance avec laquelle ils affirment la nécessité de se maintenir dans la tradition doctrinale venant des Pères en remontant à la prédication apostolique et, par elle, à Jésus-Christ et à Dieu.

On envisagera d’abord la période patristique (nr 3 ixe siècles) ; puis, le Moyen Age prolongé jusqu’au concile de Trente ; ensuite, le concile de Trente et les controverses qui s’y rattachent logiquement ; enfin, les documents postérieurs au concile de Trente. Nous négligerons les conciles provinciaux.

I. Période patristique.

1° Saint Etienne (254257). — On connaît la réponse du pape Etienne à saint Cyprien dans la question du baptême conféré par les hérétiques. Etienne invoque la tradition, pour dirimer la controverse : Nihil innovetur nisi quod traditum est,