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TRADITEURS — TRADITION


ces derniers que fut appliqué le nom de traditeurs. Il fut étendu, un peu plus tard, à ceux qui avaient livré le nom de leurs frères et entraîné des poursuites contre ceux-ci.

Dès le début de la persécution l’acte des traditeurs fut considéré comme une faute grave, s’apparentant jusqu'à un certain point à l’idolâtrie : si ce n'était pas un hommage rendu aux faux dieux, c'était d’abord une atteinte portée à l’honneur du vrai Dieu dont l'Écriture était la parole authentique. C'était à tout le moins un manque de courage dans la confession du nom du Christ. Ces défaillances ne furent pas rares. L’enquête impériale menée en 319 à propos de Silvanus de Cirta révéla qu’un certain nombre d'évêques, réunis en 305 à Cirta pour procéder à une élection épiscopale, s'étaient convaincus mutuellement d’avoir commis le crime de « tradition » et s'étaient mutuellement absous de cette faute. Cela n’empêcha pas ces singuliers prélats de clabauder peu après contre Mensurius de Carthage, qu’ils accusèrent de tradition, à cause des révélations faites par celui-ci dans sa lettre à Secundus de Tigisi. S’il était loisible d’ergoter sur le cas de Mensurius, qui s'était donné l’apparence d’obéir à des ordres impies, ce n'était pas à des traditeurs avérés qu’il appartenait de le faire. Plus coupable encore fut l’attitude de ces évêques quand, après l'élection de Cécilien au siège de Carthage, ils contestèrent violemment la validité de son ordination, sous prétexte qu’elle lui avait été conférée par Félix d’Aptonge, qu’ils accusèrent ouvertement de tradition.

A ce moment, en effet, s'était formée en Afrique une opinion erronée, qui semblait devoir s’imposer à tous les esprits. Faute grave contre le Saint-Esprit, le crime de tradition retirait à celui qui s’en rendait coupable les pouvoirs qu’il tenait de cet Esprit même. C'était, en somme, le prolongement sur le plan moral des vues que Cyprien et l'Église d’Afrique avaient fait valoir dans la question de la validité du baptême des hérétiques. « Comment, disait Cyprien, le ministre hérétique pourrait-il donner l’Esprit-Saint qu’il ne possède pas, puisque dans l'Église seule se trouvent, avec la vraie foi, les charismes qui l’accompagnent ? » Et l’on disait maintenant : « Comment le traditeur pourrait-il conférer l’Esprit qu’il ne possède plus, l’ayant chassé de son âme par son crime ? » Sans avoir été fait au début d’une manière très explicite, ce raisonnement spécieux était certainement sous-jacent à l’action entreprise contre Cécilien par les 70 évêques qui, se rassemblant à Carthage en 312, prononcèrent la déchéance de Cécilien, parce que la consécration lui avait été donnée par le « traditeur » Félix d’Aptonge. Les premières réactions de Cécilien et de ses partisans montrent bien que tous admettaient implicitement la majeure du raisonnement des adversaires : le crime de tradition fait perdre au coupable ses pouvoirs d’ordination. Ce qu’ils contestaient, c'était la mineure : Félix s’est rendu coupable du crime de tradition. C’est autour de la question de fait que se multiplieront les discussions et les enquêtes, lesquelles se renouvelleront encore après que la question de droit aura été soulevée et tranchée dans le sens que nous allons dire. La purgatio Felicis en 315 mit en lumière la parfaite innocence de Félix, le consécrateur de Cécilien, et cette purgatio fut considérée comme un succès considérable par les partisans du primat de Carthage.

Mais, entre temps, la question de droit avait reçu de la part de l'Église d’Occident une solution décisive. Du fait même des appels successifs des « donatistes » à une intervention étrangère dans le conflit africain, des points de vue allaient être découverts qui allaient changer tout l’aspect du problème. Les idées de l’Afrique relatives à la répercussion sur la validité des sa crements de l’indignité du ministre n'étaient pas colles de l'Église romaine, iii, en général, de l'Église d’Occident. Porté devant le pape Miltiade qu’assistaient des prélats d’Italie et des Gaules, le différend entre Cécilien et son concurrent Majorin fut tranché une première fois en faveur de l’archevêque en possession. Mais la procédure ne fait pas encore mention de l’invalidité prétendue du sacre de Cécilien, à cause du crime de tradition reproché à son consécrateur. C’est seulement une année plus tard, en août 314, que, sur nouvel appel des adversaires de Cécilien, la question de fond fut abordée au concile d’Arles, qui doit être considéré comme un concile général de tout l’Occident. Il reste peu de choses des procès-verbaux de cette assemblée, mais les canons montrent bien que l’on y traita non pas seulement du crime de tradition et de ses conséquences, mais, de manière plus générale encore, de l’influence sur la validité des sacrements des dispositions du ministre qui le confère. Le can. 13 condamne à la peine de déposition tout clerc convaincu par un acte public d’avoir livré les Écritures, les vases sacrés ou le nom de ses frères. Telle est la sanction canonique prononcée contre le crime en question. Mais en même temps il déclare valide l’ordination conférée par un traditeur. De his qui Scripturas sanctas tradidisse dicuntur vel vasa dominica vel nomina fratrum suorum placuit nobis ut quicunque eorum ex actis publicis fuerit detectus, non verbis nudis, ab ordine cleri amoveatur. Nam si iidem aliquos ordinasse fuerint deprehensi et de his quos ordinaverint ratio subsistit, non illis obsit ordinatio. Mansi, Concil., t. ii, col. 472. La question de droit était ainsi réglée et le canon 8e, qui traite de la validité du baptême conféré par les hérétiques et s'élève contre la coutume africaine à ce sujet qui doit être corrigée, montre bien que les deux décisions du concile en matière de sacrements s’inspirent d’une donnée plus générale sur l’efficacité des rites sacrés.

Les décisions on ne peut plus sages du concile d’Arles ne devaient pas amener la fin du schisme donatiste. S’exaspérant dans son opposition, le « parti de Majorin », devenu le « parti de Donat » continuera pendant des siècles à accabler de ses sarcasmes et de ses malédictions « l'Église des traditeurs », alors qu’il se présente lui-même comme 1' « Église des martyrs ».

Tout l’essentiel de la bibliographie aux art. Donat et Donatisme, t. iv, col. 1687 sq., 1701 sq.

É. Amann.

TRADITION — Les mots traditio, trad.re, présentent, dans le langage profane comme dans le langage chrétien, des sens quelque peu différents, quoique apparentés. L’expression tradere revient fréquemment dans les Livres saints, mais toujours avec le même sens général de donner, communiquer, livrer, faire part à d’autres, et c’est ainsi qu’on arrive à la signification qui touche de près notre étude : « communiquer un enseignement. » La tradition est l’enseignement communiqué ou encore l’acte même de communiquer cet enseignement. Le substantif traditio, surtout employé au pluriel, indique plutôt les doctrines transmises par cet enseignement. Les Pères, les conciles, les documents pontificaux et notamment l’encyclique Pascendi nous en fourniront maints exemples.

Ces expressions ne sont d’ailleurs pas propres au christianisme. Les auteurs profanes retiennent à peu près les mêmes significations. Les religions païennes ont aussi leurs « traditions ». L’islamisme, si attaché à la lettre du Coran, a vu cependant des scissions se produire en raison de traditions différentes, surtout de la part des sounnites. Voir ici Mahométisme, t. ix, col. 1606 sq. Les Juifs avaient leurs traditions ; cf. Matth., xv, 2, 3 ; Gal., i, 14. Les hérétiques prétendaient s’appuyer, eux aussi, sur des traditions ;