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TEMPS PROHIBÉ


clausum), parfois temps férié (lempus feriatum ou feriarum). En nialière matrimoniale, l’expression désigne les périodes ou temps sacrés durant lesquelles le droit de l’Église a interdit soit la solennité des noces, soit même la célébration du mariage. Sur ce point, la législation ecclésiastique a varié au cours des siècles ; mais surtout l’interprétation des textes n’a pas été uniforme. On peut dire que, pratiquement, jusqu’à la parution du Code cette défense de l’Église a été rangée au nombre des empêchements prohibants. Si quelques commentateurs anciens ont voulu attribuer à la clause du lempus feriatum un effet dirimant, ils n’ont pas été suivis et leur opinion a été définitivement abandonnée. Cf. Wernz-Vidal, Jus canonicum, t. v, n. 574 ; Esmein, Le mariage en droit can., 1. 1, p. 397.

A ne considérer que le droit divin, il n’est pas douteux que le mariage puisse être célébré validement et licitement tous les jours de l’année. Cependant d’assez bonne heure l’Église a cru devoir interdire durant certains temps sacré ? la solennité des noces, comme peu compatible soit avec l’esprit de pénitence et de prière de rigueur en avent ou en carême, soit avec la joie sainte du temps pascal et la réception des sacrements de règle à cette époque. Cf. Decr. Gral., caus. XXXIII, q. iv, c. 1. La tradition chrétienne n’avait pas oublié le conseil donné par l’Apôtre aux gens mariés de « se priver l’un de l’autre d’un mutuel accord et pour un temps, afin de vaquer à la prière ». I Cor., vii, 5. Certains livres pénitentiels allèrent jusqu’à établir une pénitence pour les époux qui ne gardaient pas la continence durant certains temps sacrés. Ce n’est pas, ainsi que l’explique saint Thomas, que l’acte matrimonial constitue une faute, …tamen, quia ralionem deprimit propter carnalem delectationem, hominem reddit ineptum ad spiritualia ; et ideo in diebus, in quibus spirilualibus est vacandum, non licet petere debitum. Sum. theol., III a, suppl., q. lxiv, a. 7. À plus forte raison faut-il écarter de cette prohibition de l’Église toute idée de tyrannie ou toute intention superstitieuse héritée du paganisme. Ce fut pourtant l’accusation lancée par les protestants, spécialement par Calvin, Instit. chrct., t. IV, c. xix-xx. Le concile de Trente y répondit, Sess. xxiv, de Réf. matr., can. Il : Si quis dixerit prohibilionem solemnitatis nuptiarum certis anni temporibus superstitionem esse tyrannicam, ab ethnicorum superstitione profectam…, a. s. Sur les superstitions en vigueur chez les païens relativement aux époques de la célébration des noces, cf. Rosset, De sacram. matrim., t. ii, n. 1213, p. 429. Quelquesunes de ces idées superstitieuses avaient cours encore au xviie siècle, témoin cet avertissement du synode de Bordeaux (1624), c. vii, n. 5 : Abolenda sane illa ac superstitiosa quorumdam opinio, mense maio uxorem non ducendi, quasi aliquid ex eo mali augurii emanans fidelitati contrahenlium, ac prosperitati nuptiarum officere possil. Doceatur igitur populus, et ab omnibus parochis sœpe instruatur, ut superstitiosis illis magis fidem haudquaquam adhibeat.

On ne confondra pas la prohibition qui porte le nom de tempus clausum avec le velitum ou interdictum Ecclesiæ, pas plus qu’avec l’interdit pénal. Le vetilum (ou interdictum) n’est pas une loi générale de l’Église, mais une défense spéciale, intimée à un Adèle, de contracter mariage durant un laps de temps déterminé ou avec telle personne ; la raison de cette défense est le plus souvent un doute ou un soupçon portant sur l’existence d’un empêchement prohibant ou dirimant, parfois aussi un scandale à éviter, la paix à conserver, etc. Quant à l’interdit proprement dit, c’est une peine médicinale ou vindicative qui peut atteindre certaines personnes ou certains lieux, à la suite d’un délit. Voir Interdit, t. vii, col. 2280.

IL Aperçu historique. — Durant les trois pre miers siècles on ne trouve pas trace de lois écrites interdisant la célébration des noces, ou du moins leur solennité, en certains temps de l’année. Nul doute pourtant que le « conseil » de saint Paul, I Cor., vii, 5, n’ait été suivi dès l’origine et n’ait fait reporter la célébration du mariage des chrétiens en dehors des jours saints et des temps sacrés ; mais nous ne connaissons pas de prohibition proprement dite sur ce point. Le premier texte conservé est celui du concile de Laodicée (380’?), dont le 52e canon défend expressément de célébrer des mariages ou des anniversaires de naissance en temps de carême. Il a été reproduit par Gratien, pars II a, caus. XXXIII, q. iv, c. 8, 9. Cf. Hefele-Leclercq, Hist. des conc, t. i, p. 1022. On a faussement attribué au concile de Lérida (Illerda) au vie siècle, ibid., t. ii, p. 1062 sq., l’extension de cette prohibition aux trois périodes suivantes : de la septuagésime à l’octave de Pâques, de l’avent jusqu’après l’Epiphanie et durant les trois semaines qui précèdent la fête de saint Jean-Baptiste. Les conjoints ayant contrevenu à ces dispositions devaient être séparés. Cf. Decr. Gral., pars II a, caus. XXXIII, q. iv, c. 10. En réalité, ce texte n’est que la corruption du canon 3 du synode de Seligenstadt (1023), qui ajoute aux temps déjà prohibés les jours de jeûne et les vigiles, mais réduit à deux semaines le temps qui précède la fête de saint Jean-Baptiste. Hefele-Leclercq, t. iv, p. 923. C’est dire que la notion même de temps clos et surtout son extension était loin d’être uniforme. En 866, dans sa réponse ad Bulgaros, n. 48, Nicolas I er ne retenait encore que le temps de carême. Cf. Decr. Grat., loc. cit., c. 11. À partir d’Urbain II, le droit commença à s’uniformiser ; le concile de Bénévent (1091) précisa au canon 4 que l’on ne devait pas célébrer de mariage depuis le dimanche de la septuagésime jusqu’à l’octave de la Pentecôte (certains manuscrits disent : de Pâques), et depuis le premier dimanche de l’avent jusqu’à l’octave de l’Epiphanie. Hefele-Leclercq, op. cit., t. v, p. 353. À cette décision vint se joindre la fameuse décrétale de Clément III (11871191), qui passa dans la collection authentique de Grégoire IX en 1234, t. II, tit. ix, c. 4. Il est intéressant de noter que, d’après le texte de Clément III, les trois semaines qui précèdent la fête de saint Jean-Baptiste ne visent point à honorer le Précurseur, mais bien à souligner la fête de la Pentecôte, qui tombe souvent durant ces semaines. Le temps clos est donc calculé du premier jour des Rogations à la fin de l’octave de la Pentecôte. Le pape déclare en outre n’avoir pas l’intention d’étendre à l’Église universelle la coutume romaine qui interdit les mariages de Pâques à la Pentecôte. Ainsi fut constitué le droit commun, qui instituait une triple période de temps clos ; il resta en vigueur jusqu’au concile de Trente.

Quelle était la portée exacte de ces prohibitions ? Nous avons dit que quelques auteurs, s’appuyant sur le texte attribué au concile de Lérida : Quod si factum fueril, (conjuges) separentur, voulurent y voir une irritation du mariage des contrevenants. Mais, dès le xiie siècle, Bernard de Pavie entendait le separentur d’une séparation purement temporaire, prononcée par le juge ecclésiastique comme peine de la contravention. Le temps clos avait donc le caractère d’un empêchement simplement prohibitif. Beaucoup même se demandaient si l’Église défendait vraiment la célébration du mariage, ou seulement les solennités ou réjouissances qui l’accompagnent et peut-être aussi la consummatio malrimonii ? La plus ancienne tradition était plutôt dans ce sens. Dans la pratique c’était la coutume ou les ordonnances particulières des évêques ou des synodes qui déterminaient la partie exacte de la défense. En général c’était bien la conclusion même du mariage qui était interdite.