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TONSURE


qu’il possède aujourd’hui. Chez les Latins, il désigne toute action de tondre. La coupe des cheveux marquait chez les païens l’esclavage, la sujétion. Par extension, elle désigna la prise en protection par la personne à qui les cheveux étaient offerts : aux divinités protectrices on consacrait une touffe de cheveux pour attirer leur bienveillance. C’est ainsi qu’à Didon mourante fut faite une « tonsure » pour lui ménager dans l’autre monde la protection de Pluton : « Hune ego (crinem) Diti

Sacrum jussa fero, teque isto corpore solvo. Sic ait, et dextra crinem secat…

(Virgile, Enéide, t. IV, v. 702-704).

L’Église a-t-elle emprunté aux païens cette coutume pour l’adapter à la consécration de ses clercs à Dieu ? Ce qu’on peut dire de certain, c’est qu’à la base de ces rites, païens ou chrétiens, « on retrouve une même idée symbolique, celle de l’appartenance à telle ou telle personne par le sacrifice qu’on lui fait de sa chevelure ». Dom P. de Puniet, Le pontifical romain, t. i, Paris, 1930, p. 121. Cf. Ph. Gobillot, Sur la tonsure cléricale et ses prétendues origines païennes, dans la Revue d’histoire ecclésiastique, Louvain, 1925, p. 399435. Le naziréat chez les juifs comportait, après la période d’initiation, quelque chose d’analogue. Voir Dictionnaire de la Bible de Vigouroux, art. Nazaréat, t. iv, col. 1516.

Au Moyen Age, couper les cheveux aux enfants ou même aux adultes et en faire hommage à un personnage de marque était un signe de déférence et de sujétion. Le pape Benoît II († 685) reçut l’offrande des boucles de cheveux des enfants impériaux, Justinien et Héraclius : il les prenait ainsi sous sa protection ; sous Hadrien I er († 795), les habitants de Spolète se firent tondre more romanorum en signe de déférence vis-à-vis du pape. Cf. Liber pontificalis, édit. Duchesne t. i. p. 363, 364, n. 5 ; p. 495 ; cf. p. 420. De même, Charles Martel envoya son fils Pépin au roi Liutprand († 744) pour que, selon la coutume, le roi reçût de lui « l’offrande » de sa chevelure ; Liutprand la lui fit couper et devint ainsi comme son père. Paul Diacre, De gestis Longobardorum, t. VI, c. lui, P. L., t. xcv, col. 659 B.

A l’offrande des cheveux faite à Dieu, soit au nom des enfants par leurs parents, soit spontanément par les adultes, l’Église ajoutait sa bénédiction : pour les enfants (et même pour les adultes), bénédiction ad capillaturam (sous-entendez deponendam) ; pour les adultes seuls, ad barbam tondendam. Dans le Sacramentaire grégorien, les deux formules sont unies à l’ordo de la tonsure ad clericum faciendum. P. L., t. lxxviii, col. 233 BC ; cl. col. 520 BC. Les Grecs avaient une tonsure analogue pour les petits enfants au moment de leur baptême. Cf. Syméon de Thessalonique, De sacramentis, c. lxvii, P. G., t. clv, col. 232 C.

Ces tonsures pour les laïques, enfants et adultes, étaient facultatives. Il n’en était pas de même de la tonsure des clercs et des moines.

La tonsure cléricale et monacale.

Aux premiers

Merles, il n’y eut aucune forme de tonsure : les cheveux courts étaient la marque (non exclusive d’ailleurs ) des clercs et des moines, aussi bien en Orient qu’en Occident. Cf. Thomassin, Ancienne et nouvelle discipline de l’Église, Paris, 1725, t. i, t. II, c. xxxvii, p. 711-721 ; cf. c. xxxix, n. 16. C’était conforme à la recommandation de saint Paul, I Cor., xi, 14. Sur la tonsure des moines, voir Martène, De antiquis Ecclesiee (monachorum) rilibus, IJassano-Yenise, 1788, t. iv, I. V, c. vii, p. 236-210. Il est donc inutile de chercher, avec nombre d’ancien* aillent ^, l’origine de la tonsure dans une Institution positive de saint Pierre. Les prin cipaux auteurs qui ont défendu cette origine sont Grégoire de Tours, De gloria martyrum, t. I, c. xxviii, P. L, , t. lxxi, col. 728 A ; Isidore de Séville, De ecclesiasticis officiis, t. II, c. iv, P. L., t. lxxxiii, col. 779780 ; Bède, Hist. eccl. Angl., t. V, c. xxi, P. L., t. xcv, col. 278 B ; Amalaire, De ecclesiasticis officiis, t. II, c. v, P. L., t. cv, col. 1082 B ; Baban Maur, De instituiione clericorum, c. iii, P. L., t. cvii, col. 298 ; le pseudo-Alcuin, De divinis officiis, c. xxxv, P. L., t. ci, col. 1288 B ; Batramne, Contra opposila Grsecorum, t. IV, c. v, P. L., t. cxxi, col. 322-324 ; Honorius Augustodunensis, De gemma animse, c. excv, P. L., t. clxxii, col. 603 CD (au c. exem, Honorius fait remonter la tonsure aux nazaréens, col. 602 B). Martène hésite en face de cette origine difficile à soutenir, mais dont il ne rejette cependant pas l’hypothèse d’une façon absolue. Op. cit., c. vii, n. 7, p. 14-15. Un commentateur plus récent du pontifical, Joseph Catalano, s’efforce d’en démontrer le bien-fondé. Pontificale romanum, t. i, Paris, 1801, tit. iii, § 4, n. 15 sq., p. 142. Mais Thomassin est opposé à une telle origine qu’aucun document n’appuie. Op. cit., c. xxxvii, n. 2, p. 715. Voir également Hallier, De sacris elcclionibus et ordinationibus, appendice : de ritu tonsuræ, a. 2, n. 4, dans Migne, Curs. theol., t. xxiv, col. 1594.

La corona episcoporum dont on rencontre de fréquentes mentions du ive au vr 3 siècle doit être entendue non au sens d’une tonsure réelle, mais au sens figuré de la dignité éminente des évêques. Cf. P. Batiffol, La « corona » des évêques du IVe au VIe siècle, dans Questions liturgiques et paroissiales, Louvain, 1923, p. 16-22 ; Thomassin, loc. cit., n. 9, p. 718. Il semble donc difficile d’admettre avec L. Musy, que c’était la tiare pontificale ou la mitre épiscopale. L. Musy, Origine et signification de la tonsure cléricale dans Revue du clergé français, 1902, p. 158-159.

Dès le vie siècle apparaît l’habitude de laisser une couronne de cheveux non coupés, comme en témoignent les fresques et les mosaïques des basiliques romaines. Voir Gobillot, op. cit., p. 431-432 ; dom de Puniet, op. cit., p. 124. Grégoire de Tours raconte que Nicétius (t vers 566), évêque de Trêves, semblait désigné dès sa naissance pour la cléricature, sa tête étant entourée d’une légère couronne de cheveux. Vitte Patrum, c. xvii, n. 1, P. L., t. lxxi, col. 1078 C. Le IV » concUe de Tolède (633) en fit une obligation générale : Ut omnes clerici vel lectores, sicut levilse et sacerdoles, detonso superius toto capite, inferius solam circuit coronam relinquant, non sicut hucusque in Galliee partibus facere lectores videntur, qui prolixis, ut laici, comis in solo capitis apice modicum circulum tondunt. Can. 41, P. L., t. lxxxiv, col. 577 B. (Au can. 55, col. 579 B, le même concile parle de la tonsure des pénitents et de ceux qui ont été consacrés à la vie monastique). Telle fut donc la tonsure cléricale en Occident, celle que nos auteurs du Moyen Age appellent « la tonsure de saint Pierre ».

Les moines paraissent avoir conservé l’usage primitif de porter les cheveux courts, ce qu’on désignait ordinairement sous le nom de tonsure de saint Paul » ; cf. Bède, op. cit., t. IV, c. i, P. L., t. xcv, col. 172 C, attribution apostolique également sans fondement sérieux. Thomassin, loc. cit., n. 3-5, p. 716-717. Quand les moines entrèrent dans la cléricature, ils adoptèrent la tonsure cléricale en l’agrandissant simplement. Mabillon, Acta sanctorum O. S. H., t. i, Paris, 1608, Prerf. ssec. III, p. 106-111 ; Martène, op. cit., t. iv, t. V, c. vii, p. 236 sq. ; le clergé séculier au contraire et les religieux de l’époque moderne ont simplifié la ton, un et l’ont ramenée aux proportions minime, ipn le IVe concile de Tolède condamnait <l : ui s l’usage français : « Prodigieuse dimimil ion aux xiv* et xV siècles. écrit Thomassin, loc. cit., c. xli, n. 4, p. 749-750.