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TOLÉRANCE DE L’ÉTAT

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périmée il ne reste plus aujourd’hui, dans le droit ecclésiastique, que de lointains vestiges : excommunication, refus de sépulture ecclésiastique, privation des bénéfices, et encore seulement au cas où il y a notoriété dans l’apostasie, l’hérésie ou le schisme. Les peines sont proportionnées au délit et demeurent, pour la plupart, dans l’ordre spirituel. Voir Hérésie, col. 2245 sq.

A la fin de son article sur la tolérance des rites des infidèles, II » -II IB, q. x, a. 11, voir ci-dessus, col. 1215, saint Thomas note expressément que l’Église n’a pas empêché les rites des hérétiques et des païens quand les dissidents étaient trop nombreux, et ce, pour éviter un plus grand mal. C’est que l’attitude de l’Église, au point de vue de la tolérance, n’est plus la même quand le schisme ou l’hérésie sont consommés et qu’il n’y a plus espoir de réduire, par la force, les dissidences. Sans perdre le droit strict qu’elle possède sur tout baptisé, l’Église sait alors user de tolérance. Cette tolérance lui paraît nécessaire ou opportune parce qu’elle constitue un moindre mal. Elle n’est une reconnaissance, ni de droit, ni de fait, d’une situation répréhensible en droit et que l’Église continue à déplorer, se réservant uniquement le droit avec le devoir d’évangéliser des égarés et de les convertir par la persuasion. La tolérance de l’Église à leur égard va même si loin qu’elle exempte, d’après une opinion autorisée, les dissidents de certaines lois positives portées soit pour le bien des particuliers, voir ici Lois, t. viii, col. 894, soit même pour le bien commun, par exemple la forme juridique du mariage, can. 1099, § 2. Est-il besoin d’ajouter que, selon l’avis d’excellents théologiens, l’Église catholique considère encore comme ses enfants les hérétiques occultes. Voir Hérésie, col. 2228, et Église, t. v, col. 2161-2163.

Si, quittant la région des principes, pour descendre sur le terrain des faits, on voulait porter un jugement sur les actes d’intolérance qui se sont produits, au cours de l’histoire de l’Église, en matière religieuse, on s’apercevrait bien vite que ces actes furent assez souvent le fait de l’ingérence politique dans le domaine ecclésiastique, qu’à certains moments les hérétiques ne produisirent leurs idées que pour justifier une révolte contre la société et l’État ; cf. Jean Guiraud, Histoire de V Inquisition au Moyen Age, Paris, 1935 ; qu’enfin les hérétiques eux-mêmes, lorsqu’ils ont détenu le pouvoir, comme Calvin à Genève et Elisabeth en Angleterre, ont montré une semblable intolérance. On se reportera à l’art. Tolérance du Dict. apol., t. iv, col. 1719-1721.

c) À l’égard des pécheurs publics et des excommuniés. — À l’égard des pécheurs publics, l’Église, sous peine de faillir à sa mission moralisatrice, doit se montrer sévère. Qui osera l’accuser d’intolérance, parce qu’elle frappe de ses pénalités spirituelles le suicide volontaire, le duel, le concubinage notoire (doublé de bigamie s’il succède à un divorce civil), l’adultère ou l’inceste notoire, la sodomie et le trafic des prostituées, la violation des sépultures, la profanation des saintes espèces, les attentats contre la personne du pape ou des évêques ? On remarquera que la sévérité de l’Église, déclarant infâmes ceux qui commettent ces crimes publics, vise avant tout la préservation de la société. Sur plus d’un point, elle se rencontre ici avec la législation civile ou criminelle des pouvoirs séculiers. Si les criminels veulentestamenter, ils trouveront toujours dans leurs juges ecclésiastiques des trésors de bonté et de mansuétude pour les aider à se relever ; et si, après l’absolution, certaines pénalités sont encore maintenues (privation de droits que désigne le code), c’est non un acte d’intolérance, mais un souci de préservation pour les fidèles. La perte des droits civiques, perpétuelle ou pour un temps déter miné, n’entre-t-elle pas également dans le code des sanctions des tribunaux séculiers ?

D’ailleurs, en dehors des cas où, de toute évidence, une peine vindicative s’impose immédiatement, le juge ecclésiastique, depuis le nouveau code, reste toujours libre, pour un premier crime, de suspendre la peine infligée par sentence condemnatoire, pourvu que pendant trois ans le coupable ne retombe pas dans la même faute. Can. 2288. Et, en toutes choses, la pensée du scandale à éviter ou à réparer dirige l’Église dans ses répressions : elle tolérera la non-exécution d’une peine portée par le droit plutôt que livrer à l’infamie publique le coupable qui se ferait connaître en s’y soumettant. Can. 2290. Voir Peines ecclésiastiques. t. mi, col. 650-651.

L’excommunication est un des moyens de répression et de pénalité employés par l’Église pour punir, corriger et empêcher les plus graves fautes extérieures. La tolérance de l’Église apparaît ici surtout dans le souci qu’elle a de ne frapper qu’à bon escient et après avoir épuisé les autres moyens de correction. Voir Excommunication, t. v, col. 1736. Et, quand les coupables sont frappés, la tolérance de l’Église apparaît encore ici dans la distinction classique des excommuniés notoires et des excommuniés tolérés. Voir ibid., col. 1737 et 1743.

II. Tolérance religieuse de l’État. — La question de la tolérance de l’État en matière religieuse a déjà été équivalemment traitée aux articles Libéralisme, t. viii, col. 611-618, a propos de Léon XIII et du libéralisme religieux et politique, et Liberté, ibid., col. 689-703, à propos de la liberté de conscience et de la liberté des cultes. On se bornera donc à rappeler brièvement les principes en les coordonnant aux tolérances de fait dont ces principes s’accommodent.

L’État en face de la religion catholique.

1. L’Étal

chrétien. — Tout en exerçant son activité d’une manière souveraine et indépendante dans l’ordre temporel qui est sa sphère propre, l’État doit tenir compte de ce fait que, les citoyens étant catholiques et appelés par leur vocation même à faire leur salut dans et par l’Église catholique, et non pas au gré de leur « liberté de penser », cf. Syllabus, prop. 15, 16, voir Liberté, col. 699, il lui incombe de les protéger et de les défendre dans l’accomplissement de leur devoir de chrétiens. Bien plus, la société comme telle doit reconnaître les droits que Dieu possède sur elle et donc professer sa dépendance à l’égard de Dieu. Voir Liberté, col. 699-700, et le texte de Léon XIII, encycl. Immortale Dei, col. 700-701. Il est donc logiquement impossible qu’un État qui commande à des citoyens catholiques se proclame indifférent en matière religieuse et ne laisse à l’Église catholique que la liberté des cultes comme il l’accorde à d’autres religions non catholiques. Voir les prop. 77, 78, 79 du Syllabus, à Liberté, col. 702. Il est mal d’accorder aux citoyens la liberté de conscience, non pas entendue aux sens acceptables du mot, voir Liberté, col. 689-692, mais en tant qu’elle est synonyme de libre pensée absolue ou relative, surtout par rapport à l’ordre surnaturel imposé dans le christianisme. Ibid., col. 692-697. Théoriquement, l’État chrétien devrait donc faire de la religion catholique, sa religion, sans que cette religion d’État puisse devenir pour lui un obstacle ou un asservissement dans l’exercice de ses droits souverains, les questions mixtes étant réglées d’un accord commun, principalement par concordats.

2. L’État indifférent ou hostile.

Par son indifférence religieuse, à plus forte raison par son hostilité déclarée, l’État crée une atmosphère qui n’a rien de conforme aux exigences des principes qu’on vient de rappeler. Si un concordat ne vient pas, dans la mesure du possible, corriger cette difformité morale et sociale,