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TOLÉRANCE DE L’ÉGLISE


la foi chrétienne. Le IVe concile de Tolède est formel sur ce point et déclare, à propos des Juifs : Non enim taies inviti salvandi sunt, sed volentes, ut intégra sil forma justitise… Ergo non vi, scd liberi arbitra facullate ut convertantur suadendi sunt, non potius impellendi. Can. 57, P. L., t. lxxxiv, col. 379 D. C’est d’ailleurs la doctrine courante chez les Pères et les théologiens. Cf. S. Thomas, II » - !  ! 18, q. x, a. 8. C’est la raison pour laquelle, hors le péril de mort, l’Église interdit de baptiser les enfants des infidèles malgré leurs parents. Can. 750, § 1. Cf. S. Thomas, loc. cit., a. 12 : « Il est de droit naturel que l’enfant, tant qu’il n’a pas l’usage de la raison, soit sous la tutelle du père. Par conséquent il serait contraire à la justice naturelle qu’un enfant encore privé de raison fût soustrait aux soins de ses parents ou qu’on en disposât malgré eux pour quoi que ce pût être. » Cette remarque de saint Thomas ne s’applique plus en droit strict si l’enfant d’infidèles, baptisé en péril de mort, recouvre la santé. Son caractère de chrétien le place sous la juridiction de l’Église. On se souvient, à ce propos, de l’affaire Mortara.

Toute contrainte directe sur des infidèles, même sujets civils (comme ce pouvait être le cas dans les États de l’Église) est considérée par Suarez comme un acte intrinsèquement mauvais. De fide, disp. XVIII, sect. iii, n. 5-11. Si l’Église ne peut contraindre les infidèles à embrasser la foi chrétienne, elle peut cependant, soit par elle-même, soit en recourant au bras séculier, contraindre des infidèles placés sous sa juridiction à observer les préceptes évidents de la loi naturelle. L’Inquisition poursuivait ainsi autrefois, même contre les Juifs et les « Sarrasins », les crimes de droit commun. Voir Inquisition, t. vii, col. 2034.

Sans manquer à la tolérance, l’Église peut et doit, en vertu de sa mission même, faire connaître aux infidèles la lumière de l’Évangile. Les moyens employés pour accomplir cette mission ont varié. Certains théologiens affirment la licéité d’une contrainte véritable pour forcer les infidèles à entendre des instructions. Suarez n’admet cette licéité qu’en ce qui concerne les infidèles soumis à l’autorité du pouvoir chrétien qui les oblige à s’instruire ainsi. Op. cit., sect. ii, n. 3, 6. Bariez dit que ce procédé n’a jamais été mis en pratique. In II tm -II iii, q. x, a. 8. Il faut toutefois excepter les États pontificaux, dans lesquels les Juifs, sous peine d’amende, étaient obligés de se présenter une fois par semaine à l’instruction chrétienne. Nicolas III, bulle Vineam ; Grégoire XIII, bulle Sancla mater Ecclesia. Aujourd’hui, personne n’accusera l’Église d’intolérance parce qu’elle envoie ses missionnaires dans toutes les parties de la terre pour « enseigner les nations et les baptiser ».

Si l’évangélisation des infidèles est un droit et un devoir pour l’Église, il n’y a de sa part aucune intolérance à faire appel à la force des États chrétiens pour faire respecter son droit et lui permettre de remplir pacifiquement son devoir. Sans doute, des cir constances de prudence, des raisons d’opportunité, quelquefois l’impossibilité morale ou matérielle exigeront que ce recours ne se produise pas ; mais il est concevable, sans qu’on puisse, ; ’i son sujet, accuser l’Église d’intolérance. N’avons nous pas vii, au cours du dernier siècle, des puissances européennes et notamment la France prendre les armes pour venger des massacras de missionnaires ? Cette conception, fort raisonnable en soi, permet a saint Thomas de dire « pie « les fidèles doivent employer, s’ils sont en étal de le faire, la force contre les infidèles, pour les empêcher de mettre obsl acle an progi es de la foi par les blasphi les discours Impies ou même par la persécution « m

verte, telle est la cause des guerres que les chrétiens ent reprennent contre les i r fidèles, non » - < i I —, pOUl les forcer à croire (puisqu’une fois soumis, ces infidèles

DICT. DE THÉOL. CATHOL.

restent libres d’embrasser la foi ou non), mais uniquement pour les réduire à l’impossibilité d’empêcher le développement de la foi chrétienne ». IIa-IIæ, q. x, a. 8.

C’est de l’idée de la préservation de la foi des fidèles que s’inspirait le statut spécial donné jadis aux Juifs par les papes et certains États chrétiens. L’Église n’a jamais approuvé l’antisémitisme et, quand certains gouvernements civils se montraient d’une rigueur exagérée à l’égard des Juifs, ceux-ci ont toujours trouvé asile et protection dans les États de l’Église. Mais, tout en évitant des excès regrettables, les souverains pontifes entendaient éloigner des chrétiens un péril de perversion qui n’était pas imaginaire, vu le prosélytisme des Juifs et, à cette fin, ils s’efforcèrent de restreindre, dans la vie civile, les contacts trop étroits entre Juifs et chrétiens. De là les costumes et les quartiers spéciaux imposés aux juifs, l’interdiction de certaines professions et de certains services domestiques où l’intimité eût été vite excessive. Voir les diverses constitutions pontificales et les dispositions des congrégations romaines dans Ferraris, Prompta bibliotheca, au mot Hebrœus, édit. Migne, t. iv, col. 159-173. Il ne s’agit pas ici de justifier tous les détails de ces prescriptions : il suffit de montrer que ce n’est pas l’intolérance qui les a inspirées. Il ne serait pas difficile non plus de montrer qu’il est au moins exagéré, sinon faux d’affirmer que ces prescriptions ont provoqué la haine contre les Juifs et ont obligé ceux-ci à se livrer à une cupidité sans frein. On lira avec profit l’article Juifs et chrétiens de M. Vernet dans le Dictionnaire apologétique, t. ii, spécialement col. 1694 sq., 1715-1718.

b) À l’égard des apostats, hérétiques et schismatiques.

— Le problème ne se pose plus ici sous le même aspect. Il s’agit, en effet, de personnes qui, ayant été validement baptisées, sont par là même soumises à la puissance législative, judiciaire et même coercitive de l’Église. Théoriquement il n’existe entre eux et les catholiques aucune différence à cet égard. Toutefois il s’en faut que l’Église veuille user de son droit strict.

Pour bien comprendre certaines attitudes passées de l’Église, en regard des tolérances présentes, il faut, non pas se faire une « âme d’ancêtre », mais se placer en face des réalités d’alors et dans l’ambiance des siècles de foi. Au Moyen Age, la société était en totalité, officiellement du moins, chrétienne ; l’apostasie, l’hérésie et le schisme n’étaient que le fait d’individualités relativement peu nombreuses. L’Église pensait devoir exercer son droit de répression en toute rigueur, afin d’enrayer et de supprimer le péril de perversion ; elle le fil à certains moments du Moyen Age et à l’époque de la Réforme, non seulement en frappant les sujets coupables, mais en résistant ouvertement aux rois en révolte contre elle.

C’est en se replaçant dans cette ambiance qu’il faut lire, dans saint Thomas d’Aquin, II » -II", q. xi, l’article 3, si dur au premier abord, mais qui traduit exactement la pensée de l’Église dans l’institution de l’Inquisition. Voir le texte de cet article à Inquisition, col. 2050. M. Vacandard a discuté la valeur de l’argumentation de saint Thomas relativement à la peine capitale infligée aux hérétiques obstinés : nous reconnaîtrons avec lui que cette peine ne répondait pas à l’esprit de mansuétude et de bonté que doit être l’esprit évangéllqae. Le fait de livrer le coupable au liras

séculier ne dégage pas la responsabilité « fis tribunaux d’Inquisition. Mais on se souviendra ce que ne dit

pas l’article de saint Thomas, qui n’étudiait qu’un aspect des sanctions contre l<s hérétiques obstines que la peine de m oit était Infligée assez i ai en h ni et que bien d’autres peines s’échelonnaient en décroissance de gravité pour frapper les coupables. Voir ici l’ait.

Kni isition, col. 2048 sq. ; ci compare) Jean Qulraud, L’InquiëUton médiévale, Paris, 1028. Decetti lévériti

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