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TOBIE. DOCTRINE, DIEU

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Date.

Quant à la date de composition du livre,

l’absence de toute donnée formelle à ce sujet dans le livre même oblige à recourir aux quelques indices fournis par le texte, indices dont l’interprétation est loin d’être concordante. C’est ainsi que les dates proposées s’échelonnent du ve au iie siècle avant notre ère, pour ne rien dire d’une opinion extravagante qui reporte l’ouvrage au IIe siècle de notre ère.

Sans prétendre, dans l’état actuel des données du problème, fixer une époque précise pour la composition du livre de Tobie, on peut s’en tenir à cette conclusion que le livre ne saurait remonter à une époque très ancienne. Pour l’établir, les raisons ne manquent pas. D’après xiv, 6, 16, la destruction de Ninive (612) apparaît aux yeux de l’auteur dans un passé déjà très lointain. Les c. xiii-xiv, supposant la dévastation et la destruction au pays de Juda, nous reportent au temps de la captivité de Babylone et de la ruine de Jérusalem et de son temple, xiii, Il sq. Une telle époque de misère n’est-elle pas d’ailleurs sans cesse supposée par les constantes exhortations à la pratique de la bienfaisance envers le prochain ? Caractéristiques encore d’une époque tardive l’insistance sur la redevance des dîmes et prémices aux prêtres et aux lévites, de même que le souci de la fidèle observation des préceptes de la loi mosaïque. Cf. i, 6-8 ; vii, 14. Au reste, si le livre remontait aux temps antérieurs à la captivité, on ne voit pas pourquoi, étant donnée la très grande faveur dont il jouissait, son admission au canon juif aurait souffert quelque difficulté.

Les analogies qu’on peut relever entre le Livre de Tobie et la littérature sapientielle tardive tendent également à la même conclusion : tel le ton didactique et parénétiquc, les formules de prière, la terminologie théologique dont la Sagesse et l’Ecclésiastique présentent maints parallèles. Il n’est pas jusqu’à la manière de reproduire telle prescription de la Loi qui ne révèle l’identité de procédés ; que l’on compare entre autres iv, 3 (Sinallicus) avec Eccli., vii, 27-28 ; II Mach., vii, 27 et le précepte d’Ex., xx, 12 sur le devoir d’honorer son père et sa mère. Pour ce qui est de la doctrine de la rétribution et de sa conception de l’au-delà, notre livre témoigne d’une évolution qui a déjà bien dépassé le point de vue étroit de la rétribution purement matérielle, tandis que les souffrances du juste ne sont pas incompatibles avec l’amitié divine. Cf. infra col. 1167.

De rédaction tardive, le Livre de Tobie n’a toutefois pas été composé après le ue siècle avant notre ère. On n’y relève, en effet, aucun indice de l’époque troublée des Machabées, non plus que la moindre trace des divisions au sein du judaïsme entre pharisiens et sadducéens dont l’origine remonte au milieu du ue siècle. Aucune allusion non plus, et pourtant les occasions ne manquaient pas, aux disputes concernant la résurrection.

VI. Canonicité.

Le Livre de Tobie fait partie des livres deutérocanoniques de l’Ancien Testament ; son histoire au point de vue de l’admission au Canon des Écritures est en général celle de l’ensemble de ces livres ; saint Jérôme toutefois revient à plusieurs reprises sur le Livre de Tobie pour l’exclure du recueil dis Ecritures canoniques, ne lui attribuant qu’une valeur d’édification, ainsi dans le Protoyus galcitus, dans sa préface au Livre de Tobie, P. L., t. xxix, col. 23-21, dans sa préface aux livres de Salomon, t. xxviii, col. 1242-1243. Si, dans la pratique, par des citations du Livre de Tobie, il semble moins exclusif, on ne -aurait ton’* fuis le mettre en contradiction nvic lui-même, car, par la distinction qu’il fait entre les livres que l’Église fait lire pour l’édification et ceux qui servent à confirmer l’autorité des dogmes ecclésiastiques, il ne s’interdisait pas de citer à l’occasion

les premiers ; ce faisant, il se conformait plus à la tradition et à l’usage ecclésiastique qu’au sentiment des Juifs dont il avait subi l’influence et à sa préférence pour la Veritas hebraica.

Une telle attitude rappelle celle de quelques Pères grecs distinguant également entre écrits canoniques et écrits édifiants, laissant de côtelés deutérocanoniques dans leurs polémiques avec les Juifs et dans les listes qu’ils dressent des livres canoniques, mais recommandant la lecture des deutérocanoniques aux néophytes qui veulent s’instruire dans la doctrine de piété. Cf. S. Athanase, P. G., t. xxvi, col. 1177 ; S. Cyrille de Jérusalem, t. xxxiii, col. 500 ; S. Épiphane, Hser., vm, 6, t. xli, col. 213 ; S. Grégoire de Nazianze, t. xxxvii, col. 472-474 ; parmi les Occidentaux, S. Hilaire de Poitiers, P. L., t. ix, col. 722.

En dehors de ces quelques témoignages peu favorables à la canonicité du Livre de Tobie, on peut relever ceux de nombreux Pères et écrivains ecclésiastiques empruntant des citations à ce livre sans la moindre réserve sur son caractère sacré. Ainsi S. Polycarpe, Ep. ad Phil., x, 2, cite Tob., iv, 10 ; xii, 9 ; le Pasteur d’Hermas, Mand., V, ii, 3 ; Vis., i, i, 6, cite Tob., iv, 19 ; v, 17 ; Clément d’Alexandrie, Strom., i, 21, cite Tob., iv, 19, P. G., t. viii, col. 853 ; Strom., ii, 23, cite Tob., iv, 15, ibid., col. 1089 ; Strom., vi, 12, cite Tob., xii, 8, t. ix, col. 324 ; Origène, Ep. ad Afric, 13, cite Tob., i, 12 sq., P. G., t. xi, col. 80 ; De oralione, xi, 1 ; xxxi, 5, cite Tob., iii, 16 sq. ; xii, 8, 12, 15, ibid., col. 553 ; S. Cyprien, Testimonia, iii, 1, cite Tob., u, 2 ; iv, 5, P. L., t. iv, col. 728 ; Test., iii, 6, cite Tob., ii, 14, ibid., col. 736 ; S. Ambroise commente brièvement le Livre de Tobie, P. L., t. xiv, col. 759794. Avec S. Augustin les conciles d’Hippone, 393, et de Carthage, 397 et 419, déclarent la canonicité de Tobie parmi les autres deutérocanoniques ; de même le pape Innocent I er dans sa lettre à Exupère de Toulouse en 405.

Des manuscrits grecs du ive et ve siècle, les deux plus anciens, Valicanus et Sinaiticus, nous donnent le texte du Livre de Tobie, sans la moindre trace de distinction avec les autres livres. Les monuments anciens par les reproductions de scènes tirées du Livre de Tobie en confirment l’autorité. Dans les catacombes, le jeune Tobie apparaît souvent avec le poisson qu’il tire des eaux du Tigre, parce que les Pères voyaient dans ce poisson le symbole du Christ. Cf. Martigny, Dictionnaire des antiquités chrétiennes, 2e éd., 1877, col. 760-761.

La tradition chrétienne sur la canonicité du Livre de Tobie fut confirmée officiellement par le concile de Florence, 1411, et le concile de Trente, 1546, dont la définition fut renouvelée par le concile du Vatican, 1870.

VII. Doctrine.

Dieu.

Le Dieu dont Tobie

est le fidèle serviteur est le seul tout-puissant, son règne s’étend à tous les siècles, il n’est personne qui puisse échapper à sa main, xiii, 1, 2, 4. S’il gouverne le monde avec justice, aussi bien dans ses œuvres que dans ses jugements, sa miséricorde ne laisse pas que de. tempérer la rigueur des châtiments infligés aux pécheurs, m, 2-3. Le recours à la miséricorde divine tient une large place dans les prières soit de demande, soit d’action de grâces : c’est Tobie le père qui prie le Seigneur de ne pas tirer vengeance de ses péchés, iii, 3, et le bénit d’avoir usé de miséricorde envers lui et les siens, viii, 18, de l’avoir châtié sans doute, mais aussi de l’avoir guéri, xi, 17 ; c’est Sara qui rappelle au Seigneur qu’alors même qu’il est irrité il fait néanmoins miséricorde et pardonne les péchés à ci ux qui l’invoquent, iii, 13 ; c’est Raphaôl enfin cpii Invite Tobie et son fils à rendre gloire au Dieu du ciel parce qu’il a exercé envers eux sa miséricorde, xii, 6. Celle-ci