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tempier (Etienne :

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monde (34, 77) ; l’individuation dans les espèces spirituelles et les espèces matérielles (27, 81, 96, 97, 191) ; la localisation des substances séparées et leur rapport avec le monde physique (204, 218, 219) ; l’excellence de l’âme et de son opération intellectuelle en dépendance des conditions du corps (124, 187) ; le déterminisme sous lequel la volonté accomplit son opération (129, 163, 173). Si l’on applique ici l’adage : 7s fecit cui prodest, il est hors de doute que le coup provient du parti des maîtres séculiers, de l’augustinisme qui défend ainsi ses positions sérieusement menacées par Paristotélisme de saint Thomas. Défense de l’orthodoxie contre ce qui est doctrines erronées des philosophes païens, mais autant, sinon plus peut-être, sous ce couvert, auto-défense de l’école traditionnelle contre les infiltrations aristotéliciennes, teintées ou non d’averroïsme, assimilables ou non pour une philosophie chrétienne, tel apparaît à la réflexion l’acte de 1277.

Il comportait, on l’a dit, une liste de 219 (certains manuscrits donnent 220) propositions. On a essayé de les ramener à une classification méthodique. Celle que propose le P. Mandonnet dans son édition est la suivante. Il les divise en deux grandes catégories : erreurs philosophiques, erreurs théologiques. Les premières, au nombre de 179 portent : sur la nature de la philosophie (7), la connaissance que nous avons de Dieu (3), la nature de Dieu (2), la science divine (3) ; la volonté et la puissance divines (11), la production du monde (6), la nature des intelligences séparées (23), leur rôle (8), l’influence du ciel dans la génération des êtres inférieurs (19), l’éternité du monde (10), la nécessité et la contingence des choses (15), les principes des êtres matériels (5), l’homme et l’intellect agent (27), l’opération de l’intellect humain (10), la volonté humaine (20), le miracle (10). Les erreurs en matière théologique sont au nombre de 40 : relativement à la loi chrétienne (5), aux dogmes de l’Église (15), aux vertus chrétiennes (13), aux fins dernières (7).

Ce relevé a surtout valeur d’indication. Il est facile de voir grâce à lui comment les quatre grands thèmes fondamentaux visés dans la condamnation de 1270, ou ses treize articles eux-mêmes, se retrouvent ici, mais amplifiés et complétés. Dans l’intervalle de sept années qui s’est écoulé entre les deux interventions d’Etienne Tempier, le débat lui-même s’est élargi. On en trouve la preuve par exemple dans les Collaliones in Hexæmeron de saint Bonaventure (en 1273), dans lesquelles la critique des thèses averroïstes s’étend beaucoup plus loin que dans ses deux carêmes de 1267 et 1268. Aussi n’est-il pas étonnant que, non seulement les articles, mais les doctrines condamnées soient plus nombreuses qu’en 1270 ; que les formules en soient plus précises aussi, empruntées aux ouvrages suspects eux-mêmes, afin de couper court aux subtilités ou aux échappatoires ; qu’elles soient accompagnées quelquefois de commentaires ou considérants qui en précisent le sens : par exemple, error si intelligatur simpliciter… (art. 210) ; error nisi intelligatur de eventibus naturalibus. .. (207) ; error quia sic anima Christi non esset nobilior anima Jude (124).

Il n’y eut pas d’ailleurs que cette énumération de doctrines à rejeter. Dans le dispositif de son acte, Etienne Tempier après avoir dénoncé la thèse néfaste des deux vérités, condamne, outre les 219 propositions, deux ouvrages qu’il désigne nommément, dont l’un est le De deo amoris, d’André le Chapelain ; l’autre un livre de géomancie ; mais avec eux, tous les livres de nécromancie, d’astrologie ou d’autres sciences superstitieuses. Puis, il édicté les sanctions. Pour les uns comme pour les autres, pour les auteurs ou possesseurs de ces livres comme pour les auteurs ou défenseurs des propositions condamnées, non moins d’ailleurs que pour leurs auditeurs, l’excommunication était la peine

prononcée s’ils ne venaient dans les sept jours se dénoncer à l’évêque de Paris ou à son chancelier. En ce cas l’évêque se réservait de procéder contre eux suivant les prescriptions du droit et de décerner des peines plus ou moins sévères suivant la gravité de leur faute.

Les menaces, nous le savons, ne furent pas vaines. A la différence de ce qui avait été fait sept années plus tôt, des poursuites furent intentées et des sanctions prises. Nous en connaissons plusieurs cas indiscutables. Tout d’abord celui des principaux fauteurs des désordres, et protagonistes à la fois de ces doctrines : Siger de Brabant lui-même et Bernier de Nivelles, chanoine de Saint-Martin de Liège comme lui. C’est l’inquisiteur de France, Simon du Val, qui instrumenta contre eux et qui, le 23 novembre de cette même année 1277, les cita à son tribunal. Pour lui échapper, ceux-ci en appelèrent à Rome ; mais Siger ne put esquiver la condamnation et mourut misérablement à Orvieto. C’est, dans des conditions assez voisines de celles-là, le sort qui atteignit Boèce de Dacie. D’après une indication des Annales Basilienses, il y eut aussi vers cette époque des mesures de répression prises par le roi de France contre un certain nombre de maîtres, défenseurs des thèses condamnées. Et sans parler de Roger Bacon, à l’emprisonnement d’ailleurs discuté, nous connaissons encore le cas de Gilles de Rome, bien mis en lumière par Hocedez, La condamnation de Gilles de Rome, dans Rech. de théol. anc. et médiêv., 1932, p. 34-58. Une liste de dix-neuf propositions, erronées ou prétendues telles, relevées dans son enseignement, surtout sur le Premier livre des Sentences, lui fut reprochée. Sommé de se rétracter, il refusa et défendit ses idées. On lui interdit alors l’accès à la licence, et il dut cesser son enseignement de bachelier ; ceci en 1277 sans doute. Ce n’est qu’après être revenu à récipiscence, en 1285, et avoir fait amende honorable, qu’il fut admis à poursuivre ses études et à se présenter à la licence.

La menace de sanctions ne fut donc pas un vain mot ; celle surtout de l’excommunication, qui demeurait toujours suspendue sur les partisans des thèses condamnées. Un aveu comme celui qui échappa à Godefroid de Fontaines, esprit indépendant pourtant, montre combien lourdement elle pesa sur l’histoire de la pensée philosophique et théologique en cette fin du siècle : Hoc est difficile determinare, dit-il, à propos de la présence de l’ange dans le lieu, propler articulas circa hoc condempnatos qui contrarii videntur ad invicem, et contra quod nihil intendo dicere propler periculum excommunicationis. Quodl. XIII, 4. Ceci en 1296, à près de vingt ans de la condamnation. On ne joue pas avec l’excommunication. Mais à cause de cela, on ne peut dire ce que l’on pense, ni penser ce que l’on veut.

L’histoire de cette influence et de ces répercussions de l’acte de 1277 n’a pas encore été écrite ; elle le mériterait pourtant et serait des plus instructives. Il y aurait lieu de l’examiner non pas tant au point de vue des doctrines averroïstes, que des thèses aristotéliciennes englobées dans la condamnation. Pour le premier groupe, la mesure d’Etienne Tempier se montra utils, nécessaire même ; peut-être pas aussi efficace cependant qu’on l’eût souhaité, à en juger par la reprise d’influence et d’activité de l’averroïsme parisien au début du xive siècle, suivi bientôt par l’école de Padoue. M. -M. Gorce, L’essor de la pensée au Moyen Age (1933), p. 179-307. Il serait bon à ce propos, de rechercher comment, malgré la disparition de Siger de Brabant, ses tendances se maintinrent à la faculté des arts.

Mais l’autre problème est plus grave. En interdisant d’enseigner des thèses qui, en soi, n’étaient pas répréhensibles, en mettant à l’index des doctrines aristo-