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TOBIE. NATURE DU LIVRE


par Ahikar, roi de Médie, xiv, 15. Le Vaticanus et l’ancienne version latine contiennent les mêmes faits avec quelques variantes.

Ces quelques passages ne nous renseigneraient guère sur le personnage, si nous n’avions pour le mieux connaître l’histoire et le recueil de sentences connus sous le nom d’Histoire et Sagesse d’Ahikar l’Assyrien. Autant qu’on peut dégager sa physionomie des traits légendaires qui l’ont plus ou moins altérée au cours des siècles, Ahikar se présente comme le chancelier et le devin de Sennachérib (705-681), puis de son fils, Asaraddon III (681-669) ; il était remarquable par sa grande sagesse et son habileté. Sans enfant, il adopta son neveu Nadan ou Nabath qu’il combla de bienfaits. En retour celui-ci, âme ingrate, réussit à persuader le roi que son ministre le trahissait. Condamné à mourir, le malheureux Ahikar est sauvé par l’officier chargé de l’exécution et dont il avait jadis épargné la vie. Dans la suite, le roi ayant appris que son ministre est encore en vie et qu’il a été victime d’une odieuse calomnie, le rappelle à la cour et le rétablit dans ses fonctions, tandis que Nadan, frappé par la justice divine, meurt misérablement. Cf. Cosquin, Le livre de Tobie et l’histoire du sage Ahikar, dans Revue biblique, 1899, p. 54-57. Cette histoire existe en différentes langues et de nombreuses versions, preuves de son crédit. La plupart des recensions en sont d’époque relativement récente, si l’on excepte quelques fragments trouvés dans les papyrus d’Éléphantine et qui remonteraient au ve siècle avant notre ère. Cf. Sachau, Aramaîsche Papyrus und Oslraka aus Elephantine, 1911, tab. 40-50 ; Pirot, Ahikar, dans Dict.de la Bible, Suppl., 1. 1, col. 201-202.

Du caractère de ce récit, fable ou histoire, il est très disputé. Pour l’historicité, tout au moins du récit primitif, auquel les additions légendaires n’ont pas dû manquer par la suite, tiennent : Nau, Histoire et Sagesse d’Ahikar l’Assyrien, Paris, 1909, p. 29 ; Hagen, Lexicon biblicum, au mot Achiacharus ; Pirot, loc. cit., col. 199 ; Galdos, Comm. in lib. Tobit, 1930, n. 71-74. Par contre ne veulent voir dans ce récit qu’une adaptation littéraire de vieux contes orientaux sans le moindre élément historique : Cosquin, art. cit., p. 50-82 ; E.-J. Dil’.on, Ahikar the wise. An ancient hebrew folkstory, dans The Contemporary Review, mars 1898, p. 362386. Entre ces deux extrêmes une opinion moyenne, qui voit dans l’histoire d’Ahikar une tradition populaire basée sur un fond historique, s’approcherait peut-être davantage de la vérité ; c’est celle d’Ed. Meyer, Der Papyrusfund von Elephantine, Leipzig, 1912, p. 119. Non moins partagées sont les opinions sur l’origine de l’histoire d’Ahikar : selon les uns elle serait d’origine juive, selon d’autres, persane ou plus probablement babylonienne.

Un problème se pose dès lors, celui des rapports entre les histoires de Tobie et d’Ahikar ; y a-t-il dépendance de l’une vis-à-vis de l’autre ? si oui, quelle est celle qui est dans la dépendance de l’autre ? Les réponses à cette double question sont loin d’être concordantes. Il importe tout d’abord de noter que, depuis la découverte des papyrus d’Éléphantine, on ne saurait plus guère contester l’antériorité de l’Histoire d’Ahikar sur le livre de Tobie ; celle-ci est communément admise. Cf. Pirot, loc. cit., col. 205. Ainsi se trouve exclue la dépendance de l’Histoire du sage assyrien vis-à-vis du livre de Tobie. Faut-il par contre admettre l’hypothèse inverse ? Nullement, malgré l’influence exercée par l’Histoire d’Ahikar sur les littératures profanes. Cf. Pirot, ibid., col. 202-203. Sans doute, il est bien question dans les deux récits des mêmes personnages, désignés sous les noms, ici d’Ahikar et de Nadan, et là, d’Achior et de Nabath, dont la mention au livre de Tobie demeurerait assez obscure si VHistoire du sage Ahikar n’était venue nous apporter

quelques précisions à leur sujet. I) apparaît de même hors de conteste que les héros des deux récits vécurent tous deux à Ninive du temps des rois Sennachérib et Asaraddon et que l’histoire d’Ahikar était bien connue et estimée à cause de ses maximes de sagesse dans les milieux éclairés du judaïsme. M al gré ces quelques points de contact, les deux récits s’avèrent tellement différents, aussi bien pour le thème général que pour le caractère religieux, qu’il ne saurait être question d’une dépendance littéraire quelconque du livre de Tobie par rapport à VHistoire d’Ahikar, et cela d’autant plus que les quelques passages faisant allusion à cette histoire ne font pas partie de la trame du récit du livre de Tobie et pourraient en être distraits sans nuire à l’ensemble. Ce qui ne veut pas dire que ces passages soient à tenir pour des interpolations, car leur présence dans les témoins les plus importants du texte en garantit l’authenticité. Cf. A. Miller, Das Buch Tobias, p. 12-13.

Reste une dernière question, qui est à l’origine du problème des rapports entre les deux récits : l’introduction du personnage d’Ahikar dans le livre de Tobie implique-t-elle la non-historicité de ce livre ? L’indépendance du récit biblique à l’endroit de l’histoire du sage assyrien ne permet pas de dire que celle-ci, quelle que soit d’ailleurs son caractère, ait eu quelque influence sur le genre littéraire du livre de Tobie, pour ou contre sa véracité historique. Si, d’autre part, Ahikar est, selon toute vraisemblance, un personnage réel, dont l’histoire renferme un noyau historique caché sous des détails légendaires, on n’est pas autorisé, du fait de son introduction dans l’histoire de Tobie, à conclure au caractère fictif de cette histoire.

On ne l’est pas davantage par la comparaison avec le conte du Mort reconnaissant. D’après la version arménienne de ce conte oriental, un marchand rencontre, au cours d’un voyage, des gens qui outrageaient le corps d’un mort, parce que celui-ci leur devait de l’argent. Le charitable marchand paie les créanciers et assure une sépulture honorable au mort. Dans la suite, devenu pauvre lui-même, il épousera, sur le conseil d’un mystérieux serviteur, animé par l’esprit du mort qu’il avait fait enterrer, la fille d’un homme riche dont les précédents époux au nombre de cinq avaient été tués par un serpent, la nuit même des noces. Cette fois, le serpent, au moment où il allait faire une nouvelle victime, est tué par le serviteur qui révèle son identité à celui qui, jadis, lui avait été secourable. Les analogies entre ce conte et l’histoire de Tobie et de Sara ne manquent pas. Avant d’en tirer quelque conclusion, il faut observer que le texte et la date de la légende sont tout à fait incertains. S’il y a dépendance, elle serait à chercher plutôt du côté du conte du Mort reconnaissant. D’ailleurs, des différences essentielles peuvent être relevées entre les deux récits : tandis que la sépulture assurée au mort est, dans un cas, l’unique raison du salut merveilleusement accordé, dans l’autre, elle n’est ni la seule ni la plus importante. Tob., xii, 12 sq. L’instrument de ce salut revêt ici la forme d’un serviteur et là celle d’un ange ; au serpent du conte oriental s’oppose Asmodée, le démon invisible du récit biblique. L’idée générale de la bienfaisance toujours récompensée, commune aux deux récits, n’implique pas entre eux une nécessaire dépendance littéraire. Cf. E. Cosquin, Le livre de Tobie et l’Histoire du sage Ahikar, dans Revue biblique, 1899, p. 81, n. 1 ; p. 513-521 ; K. Simrock, Der gute Gerhard und die dankbaren Toten, Bonn, 1856 ; S. Liljeblad, Die Tobiasgeschichte und andere Màrchen mit toten Heljern, Londres, 1927 ; A. Miller, op. cit., p. 10.

Que conclure de cet ensemble de considérations sur la nature du livre de Tobie et son caractère historique ? C’est, tout d’abord, qu’en raison de ces consi-