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TOBIE. NATURE DU LIVRE


cacité, si elle s’appuie sur des faits réels et non sur de simples fictions, présentées sous quelque forme que ce soit, parabole ou roman ? La rédaction, d’ailleurs, du livre de Tobie apparaît tout à fait étrangère au genre de la parabole ; quant au roman qui, certes, s’accommode fort bien des plus minutieuses précisions sur le temps, les lieux et les personnes, il resterait à savoir si un tel genre, celui du roman à couleur historique, a pu trouver place dans la littérature biblique ; or, a-t-on justement remarqué, le roman ainsi entendu est un genre littéraire que l’antiquité orientale n’a jamais pratiqué. Cf. Rev. bibl, 1920, p. 520.

Part possible de fiction.

Malgré cet ensemble de

considérations, des critiques de plus en plus nombreux, parmi lesquels maints auteurs catholiques, ne croient pas pouvoir admettre ce caractère historique du livre de Tobie. Les raisons de leur attitude sont les suivantes.

Dans l’Ancien Testament, il n’est pas de livre à caractère nettement historique qui ne soit en même temps et plus ou moins écrit dans un but d’instruction et d’édification. Les réflexions du IVe livre des Rois sur la ruine du royaume d’Israël en sont une preuve manifeste. Et cependant, entre ces livres et notre livre la différence ne laisse pas d’être très marquée tant pour le fond que pour la forme. L’élément historique, en effet, n’apparaît ici que comme le moyen ordonné en vue d’une leçon. C’est celle-ci qui inspire l’auteur dans te choix et la disposition de ses matériaux ; peu lui importe la vraisemblance des personnages ou des évém ments, si la leçon se dégage de la narration avec forée et nette té. Pour que le lecteur ne s’y trompe pas, cette narration est à maintes reprises interrompue par des discours assez longs qui insistent sur la leçon à tirer des événements rapportés, iv, 3-23 ; xii, 6-20 ; xiv, 6-13, sans parler de courtes exhortations ou de formules de prière. La mention de Jérusalem au début du livre, I, 6, comme le, seul vrai sanctuaire du Dieu d’Israël, et son exaltation à la fin du livre dans le cantique de Tobie soulignent la valeur religieuse du récit dont l’intérêt n’est pas celui d’une famille juive, si extraordinaire soit-elle, mais celui de la nation elle-même tout entière, appelée aux plus éclatantes destine s : « Tu rayonneras (Jérusalem) d’une lumière resplendissante, et tous les pays de la terre se prosterneront devant toi. » xiii, 13.

Non moins que cette intention didactique manifeste, certaines particularités du récit supposent que l’auteur en usait assez librement dans la rédaction de son œuvre, où la part de l’imagination n’est pas exclue. Maints dialogues ou monologues, p.ar exemple, sont reproduits textuellement, aux chapitres iii, x, xi, comme l’expression des pensées et des sentiments de tel pi rsonnage, alors que nul témoin n’était là pour les avoir entendus. Faudra-t-il, pour en rendre compte, dire que leurs auteurs ont tenu un journal où ils auraient consigné l( urs réflexions ? C’est peu probable, si l’on Observe que, tandis que les évéïii ments racontés sont situés au viir-viie siècle, idées et préoccupations religieuses correspondent bien plutôt à la période du judaïsme postexilien. Le caractère artificiel de la composition s’avère encore dans la parfaite concordance établie entre les événements qui intéressent respectivement Tobie et Sara ; c’est ainsi que la dure épreuve qui l’abat sur tous deux les frappe au même jour, ii, 11 ; iii, 7, l’un à Ninive, l’autre à Ecbatane ; la prière que dan) leur détresse il’adressent à Dieu est exaucée au même moment, III, 24-25. Même remarque peut être faite au suji t du sort Identique des sept maris de Sara, vi, 14.

Quelques divergences se rencontrent encore ça et là, dont un genre littéraire qui ne prétend nullement au caractère’trirtement historique peut fort bien

s’accommoder, mais qui ne pourraient guère échapper au reproche de contradiction dans un ouvrage historique. C’est ainsi que Sara ignore tout d’un proche parent, qui d’après la loi de Moïse, devrait l’épouser, ni, 15 (d’après le grec), tandis que Raguel est informé de la situation, vii, 10 sq. (grec). Comment, dès lors, sa fille ne l’aurait-elle pas été également ? D’après i, 6, Tobie était seul à se rendre à Jérusalem en pèlerinage aux jours de fête, alors que, selon v, 14 (grec), il avait avec lui des compagnons. L’affirmation de Raphaël, v, 8, relative à ses voyages à Ecbatane et à ses séjours chez Raguel, ne laisse pas que de paraître du domaine de la légende plutôt que de celui de l’histoire. Ici, i, 25, Tobie rentre dans la possession de tous ses biens ; là, ii, 19, Anne, sa femme, n’en est pas moins obligée d’assurer par le travail de ses mains la subsistance des siens et pourtant, outre les biens recouvrés, Ahikar, l’Achior de la Vulgate, le neveu de Tobie, avait assuré pendant deux ans l’entretien de la famille de son parent, ii, 10 (grec).

En matière historique on n’a pas manqué de relever un certain nombre d’inexactitudes. Ce n’est pas, a-t-on observé, Salmanasar (727-722) qui déporta la tribu de Nephtali en Assyrie, mais son prédécesseur Téglatphalasar III (745-727). Cf. IVReg., xv, 29. Le nom d’Enémessar, qu’on lit dans le grec à la place de celui de Salmanasar, ne saurait être entendu de Saigon, le conquérant de Samarie ; d’ailleurs, toutes les anciennes versions, les plus importantes, portent le nom de Salmanasar dont l’authenticité n’est pas douteuse. A sa place devrait se lire, i, 18, le nom de Sargon, le père de Sennachérib. L’auteur du livre de Tobie. a puisé ses informations sur les monarques assyriens dans les livres des Rois plutôt que dans les annales assyriennes : la comparaison entre i, 24 de notre livre et IVReg., xix, 37, passages relatifs à l’assassinat de Sennachérib par ses propres fils, est assez significative. Il n’y a pas lieu toutefois d’insister sur de telles inexactitudes qui peuvent être le fait non de l’auteur même, mais de quelque rédacteur ou copiste peu exp rt dans la lecture ou l’interprétation des noms propres assyriens.

Dernière et non des moins graves objections contre le caractère historique du livre de Tobie, sa comparaison avec le conte ou le roman connu sous le nom d’Histoire du sage Ahikar ou Histoire et Sagesse d’Ahikar l’Assyrien.

A plusieurs reprises apparaît dans le livre de Tobie le nom d’un personnage qu’on identifie, malgré quelques variantes dans l’orthographe du mot (Achior, Aeheicharos, Achiacharos) avec Ahikar le héros de l’Histoire d’Ahikar, bien connue dans l’antiquité dès le ve ou même le vie siècle avant notre ère. La Vulgate ne le mentionne qu’une seule fois, xi, 20 : Achior et Nabath, cousins de Tobie, vinrent trouver Tobie avec joie et le félicitèrent de tous les bienfaits de Dieu à son égard. Anciennes versions latines et textes grecs sont plus explicites. D’après le Sinaîticus (édition de Nau, dans La sainte Bible polyglotte de Vigouroux, t. iii, p. 466-623), Ahikar établi intendant et maître des comptes de Sache rdonos (A-araddon), fils de’Sennachérib, roi d’Assyrie, avait intercédé pour Tobie, son oncle, pour lui permettre de se rendre à Ninive, i, 21-22 ; il assura sa subsistance pendant deux ans jusqu’à son départ peiur l’E’ymalde, B, 10 ; avec, Nadab il s’associe à la joie de Tobie pour la guérison de sa céi Ité et le’retour ele seni fils, xi, 17, 18 ; dans le discours qu’il prononce rivant ele mourir. Tobie tire pour son fils la leçe>n de> la cemduite d’Ahikar, sauvé du piège elr la mort parce qu’il lui avait fait l’aumône-, tandis que Nadab état ! descendu dans les ténèbres éternelles peiur avoir cherché à tuer Ahikar, xiv, 10 ; enfin, avant sa mort, Tobie entendit raconter la prise ele Ninive il vit les prisonniers qui furent emmenés en Médie