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tempier (étienne :


treize premiers articles de la liste incriminée. Voir les textes dans Denifle-Chatelain, Chartul. univers. Paris., t. I, p. 486-487 ; Mandonnet, Siger de Brabant, 2e éd., t. i, p. 111, n. 1. Dans ces articles l’essentiel de la doctrine averroïste, dans ce qu’il y a du moins de répréhensible en elle, se trouve contenu : négation de la providence divine dans l’ordre de la contingence (art. 10-12) ; éternité du monde tart. 5-6) ; unité numérique de l’intelligence humaine, avec ses conséquences (art. 1, 2, 7, 8, 13) ; négation du libre arbitre et règne de la nécessité (art. 3, 4, 9). « Ces erreurs, disait le prologue, ont été condamnées et excommuniées, ainsi que tous ceux qui les auraient enseignées sciemment ou soutenues, par le seigneur Étienne, évêque de Paris, l’an du Seigneur 1270, le mercredi après la fête du Bx Nicolas d’hiver. »

II. Le Syllabus de 1277. — Si judicieux qu’ait été le choix de ces articles et si clairement formulées qu’aient été les doctrines réprouvées, l’acte de 1270 ne produisit pas l’effet escompté. La forme conditionnelle de la condamnation : qui eos docuerint… vel asseruerint pouvait s’interpréter comme visant l’avenir seulement, ou comme ayant aussi un effet rétroactif. Certains en profitèrent pour contester la portée du geste ; on le voit par la question soulevée trois mois plus tard au quodlibet IV, q. xiv de saint Thomas. D’autres mirent sans doute en avant le privilège dont jouissaient les membres de l’Université de ne pouvoir être excommuniés sans faculté spéciale du Saint-Siège. On ne voit pas non plus qu’il y ait eu alors de condamnations nominales ni de sanctions personnelles. Tout au plus — et c’est un grief qui reviendra dans certains écrits de saint Thomas tout comme dans le décret du 2 septembre 1276 porté par l’Université — l’enseignement des doctrines réprouvées se fit-il plus discret, portes closes, en de petits conventicules. D’ailleurs des troubles universitaires auxquels l’influence et l’action de Siger de Brabant ne furent pas étrangères, tant s’en faut, désorganisèrent assez profondément la faculté des arts et y compromirent l’enseignement. Or, commencé au début de 1272, le schisme soulevé par l’élection du recteur ne prit fin qu’en mai 1275 par l’arbitrage du légat Simon de Brion. Trois années d’anarchie et d’énervement au cours desquelles les esprits se montent, les abus se glissent et les doctrines condamnées gagnent du terrain. La Faculté des arts et l’Université s’efforcent de réagir par de nouvelles décisions, en date du 1 er avril 1272, du 5 décembre 1275, du 2 septembre 1276 ; le légat intervient à nouveau le 6 décembre 1276 et lance l’excommunication contre les étudiants clercs dont la tenue donne du scandale. Le mal demeure cependant. Et Borne intervient à son tour. Par une bulle du 18 janvier 1277, Jean XXI (le Pelrus Hispanus, l’ancien maître de Paris, n la renommée mondiale) dit son émoi à la nouvelle des erreurs qui, jadis condamnées, reprennent

de plus belle au grand dommage de la foi. Et il coin ionne Étienne Tempier pour mener une enquête

sérieuse sur ces erreurs, leurs auteurs, les écrits qui les

propagent, les endroits ou elles se répandent ; l’évêque

il Pari devra lui en transmettre au plus tôt les tats. Trois mois plus tard, une autre bulle, du 28 avril, renouvellera cette commission en l’ampli flanl encore, car la Faculté de théologie elle-même i contaminée et ces erreurs auraient, paraît ii, trouve crédit en son sein. Mais avant que lui parvint cette econdi lettre (rontremandée bientôt par les cardinaux réunis en conclave après la mort de Jean i). i tienne Tempier avait agi et, dépassant les termi et air-doute l’intention du mandat pontifical,

m même condamnation des 219’qui constituent ce qu’on peut appeler le Syllabui

p. in mu (le 1277.

On sait qu’il a pris pour cela conseil des maîtres en théologie ; on sait même qu’ils étaient au nombre de seize et qu’Henri de Gand fut l’un d’entre eux. On sait aussi par les témoignages de contemporains, Gilles de Borne, Godefroid de Fontaines, que ce travail fut hâtif, incohérent et tendancieux ; l’étude du document lui-même confirme ces appréciations. L’enquête et le jugement furent rondement menés, en moins de trois semaines à dater de la réception de la bulle pontificale. On a l’impression que le dépouillement des ouvrages suspects a été fait séparément par plusieurs maîtres, mais que les résultats n’en ont pas été coordonnés : un certain nombre de propositions se répètent ; d’autres se contredisent (voir par exemple les art. 204 et 219 sur la présence des anges dans le lieu, et l’embarras d’Henri de Gand à ce propos, Quodl. 11, 9 et IV, 18). Il semblerait même parfois que le censeur a pris comme pensée de l’auteur ce qui n’était qu’une thèse adverse relevée par lui pour être réfutée. Voir Mandonnet, Siger de Brabant, t. i, p. 221, n. 1. De toute façon, les articles se suivent sans ordre ni principe directeur ; et il faut un réel effort pour dégager de ce fouillis les grandes tendances doctrinales qui y sont réprouvées. Plus d’un copiste d’ailleurs voulut y porter remède en groupant de son mieux sous divers titres et catégories les multiples propositions qu’il relevait. C’est à une présentation de ce genre que s’est également résolu le P. Mandonnet dans la dernière édition qu’il a mise à la fin de son Siger de Brabant, t. ii, p. 175-181.

Chose plus grave, et qui devait exercer une influence considérable sur l’histoire des idées, cette condamnation de 1277 fut, sans aucun doute, œuvre de parti et nettement tendancieuse. Il était nécessaire de réprimer les menées averroïstes et, puisque l’acte de décembre 1270 s’était avéré insuffisant, d’aller plus loin dans le détail des doctrines à proscrire, de les préciser et dénoncer plus clairement. On comprendrait même à la rigueur, suivant la remarque de Godefroid de Fontaines, qu’on forçât un peu la note et que, pour réagir plus sûrement, on excédât quelque peu dans le sens contraire. Mais les articles réprouvés ne visent pas seulement les thèses erronées de l’averroïsme latin, qu’elles aient été empruntées à Arislote, Averroès ou Avicenne, ou formulées de façon inédile par les novateurs parisiens. À l’abri de ces thèses, et sous prétexte de réagir contre elles, on entreprit également le procès d’une tendance doctrinale qui ne méritait point semblable condamnation, et l’on s’elîorça de ruiner en même temps l’aristotélisme, le péripatétisme. C’était la revanche, longtemps attendue et préparée, du traditionalisme, appelons-le augustinisme, qui avait prévalu jusqu’à l’avènement d’Arislotc dans le monde latin, ou plus exactement Jusqu’aux tentatives d’un Albert le Grand et d’un saint I Immas pour intégrer dans la synthèse catholique tous les éléments féconds du péripatétisme.

Déjà en 1270 une première campagne avait été menée dans ce sens. I.a liste des propositions soumises ù l’examen des maîtres, aux fins de condamnation, comportait outre les treize qui furent effectivement prohibées, deux autres qui n’étaient point averroïstes mais répondaient par contre à renseignement de saint Thomas : la 11’touchant la doctrine de l’unité de [orme en l’homme, la 15°’la simplicité de composition des substances spirituelles. À la suite d’interventions

ou d’influences qui nous sont mal connues, ces deux thèses évitèrent la condamnation et saint Thomas ne fut pus excommunié de ion vivant. Mais ce n’était que

partie remise. Et, au lieu de deux thèses thomistes, il y en cul une quinzaine pour le moins qui se virent, en

1277, condamnées pèle mêle avec les erreurs aver roistes. Elles concernent par exemple l’unité du