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TEMPÉRANCE — TEMPIER (ETIENNE ;

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clémence s’oppose la colère, étudiée t. iii, col. 355. À la vertu d’humilité, t. vii, col. 321, s’oppose le péché d’orgueil, t. xi, col. 1410. On trouvera à Paresse, t. xi, col. 2023, l’étude d’un péché qui, sans s’opposer directement à la tempérance, peut cependant en certaines circonstances être considéré sous cet aspect spécial. Dans chacun de ces articles, on trouve les indications utiles qui groupent, autour de l’espèce principale, les espèces subordonnées de fautes similaires.

A. Michel.


TEMPIER (Etienne). — Originaire d’Orléans, il étudia la théologie à Paris. Chanoine de Notre-Dame, il succède, comme chancelier, à Aymeric de Veire, avant mars 1263. Il entre presque aussitôt en conflit avec l’Université ; sous prétexte qu’il lui appartient, en qualité de chancelier, d’admettre les bacheliers, il entend commencer lui-même à faire office de maître régent sans prêter les serments d’usage ; il prétend aussi, quoique dernier promu, prendre le titre et la fonction de doyen ; il se permet enfin d’admettre à la licence les bacheliers qui lui agréent, sans consulter comme il se doit les maîtres régents en théologie. De là, plaintes et procès à Rome. En 1268, après la mort de Réginald de Corbeil, il est élu évêque de Paris, et prête serment le 7 octobre. Sa grande préoccupation, à en juger par les documents que rapporte le Gallia christiana, t. viii, col. 108-115, fut de faire reconnaître les droits temporels de l’évêque de Paris. Il s’occupa aussi particulièrement de l’Université. C’est sous son épiscopat que se place le second enseignement parisien de saint Thomas. Il prit part au IIe concile de Lyon, eut maille à partir avec Philippe le Hardi qui, en 1273, l’exila quelque temps de son diocèse. Il mourut le 3 septembre 1279. Son œuvre littéraire et théologique semble des plus réduites ; on ne possède de lui ni traités ni commentaires. Seuls ont été conservés trois sermons prononcés en 1273 (Paris, Bibl. nat., lat. 16 48I, fol. 77 v°, 136 v°, 214) et quelques fragments de statuts synodaux. Il exerça pourtant une influence considérable sur le développement et l’orientation de la pensée philosophique et théologique au xiiie siècle par ses deux interventions dans la polémique antiaverroïste et antipéripatéticienne : sa condamnation de 1270 et son Syllabus de 1277.

I. La condamnation de 1270. —

Elle est la première digue officielle dressée contre la vague de rationalisme qui déferlait alors sur l’Université de Paris, et plus particulièrement sur la faculté des arts. Le nom d’averroïsme latin, par lequel on désigne ce courant de pensée, doit s’entendre non pas d’un averroïsme intégral que les latins, précisément, n’adoptèrent jamais, mais plus exactement d’un aristotélisme intégral, auquel l’adjonction de certaines thèses capitales de l’averroïsme donne une allure toute spéciale, mais confère un danger tout particulier aussi. Ces thèses concernaient surtout l’unité de l’intellect humain ; la négation, conséquente, de la liberté et de la responsabilité humaine ; la négation aussi de l’immortalité personnelle et donc de la rémunération et du châtiment, puisqu’il n’y a pas survie. Cet apport spécifiquement averroïste s’alliait, chez les philosophes parisiens, à tout l’ensemble des doctrines aristotéliciennes qu’il présupposait. Le système d’Aristote s’imposait en effet à eux comme le dernier mot de la pensée philosophique et la seule explication satisfaisante de l’univers. A la suite du Maître, on pouvait s’engager sans crainte ; accepter, évidemment, toutes ses données organiques si cohérentes entre elles ; mais aussi aller jusqu’au bout de ses exigences et de ses conclusions, y compris celles qui ne pouvaient se concilier avec l’enseignement révélé, l’éternité du monde par exemple et celle du mouvement ; le déterminisme universel avec le rôle joué par les constellations, et le retour cyclique des événements et des civilisations. Quelles que soient les conséquences auxquelles elle aboutit, la raison se doit de poursuivre implacablement sa route. Le Commentateur par excellence, Averroès, vient l’y aider, et c’est pourquoi on a recours à lui ; d’autres encore, tel Avicenne, à qui l’averroïsme latin empruntera également une de ses théories : sur l’action des « intelligences’dans la production des êtres et le gouvernement des sphères, avec les conséquences que cela comporte sur la providence ou plutôt la non-intervention de Dieu dans la destinée humaine et son bonheur. Il est certain que, ainsi compris et érigé en système cohérent (voir ici même, l’art. Averroïsme, t. i, col. 2629 sq.), l’averroïsme latin constituait un danger très réel, tant pour la foi que pour les mœurs. On ne nie pas en vain la liberté, la responsabilité personnelle, les sanctions de l’autre vie et les conclusions pratiques en sont vite comprises et appliquées. Guillaume de Tocco a conservé à ce propos la réflexion de ce soldat qui refusait de faire pénitence de ses péchés sous le beau prétexte que, ne faisant qu’un avec saint Pierre en vertu de leur commune intelligence, la sainteté de celui-ci lui était acquise. C’était logiquement la porte ouverte à tous les abus et à l’inconduite.

C’était surtout la foi mise en péril. L’autorité du Philosophe et du Commentateur étaient telles qu’elles faisaient accepter pour vrais même les points de doctrine directement opposés à l’enseignement révélé. On s’en tirait en protestant de l’orthodoxie des intentions, ou même en reconnaissant la vérité infaillible de l’Église ; mais on n’en abandonnait pas pour autant les conclusions philosophiques qu’on tenait pour vraies et nécessitantes dans leur ligne. Semblable concordat, d’ailleurs faux, ne pouvait durer longtemps ; la foi y sombrerait presque à coup sûr. D’autant plus que, répandues surtout à la faculté des arts, ces doctrines trouvaient là des auditoires de jeunes étudiants insuffisamment formés, prompts à s’enthousiasmer pour toute nouveauté et toute velléité d’indépendance. Par ailleurs l’averroïsme latin avait trouvé son principal théoricien en la personne de Siger de Brabant ; et celui-ci avait à un haut degré les qualités du chef, chef d’école et chef de parti. Voir ici Siger de Brabant, t. xiv, col. 2041 sq.

Devant le danger qui s’affirmait ainsi, sans doute aux environs de 1266, et ne cessait de croître, la Faculté de théologie s’était émue et la résistance aux thèses averroïstes s’y était organisée. On peut la suivre s’intensifiant à mesure que gagnaient les thèses adverses. C’est saint Bonaventure d’abord : en 1267, dans ses Collaliones de decem prseceplis ; puis, l’année suivante en divers sermons et dans ses Collaliones de donis Spiritus Sancti. Puis saint Thomas reparaît sur la scène parisienne ; et ce sont ses questions disputées De anima, en 1269, avec l’édition des quest. disp. De spiritualibus creaturis ; ses quodlibets I- 1 II, XII ; certains de ses opuscules : De motu cordis ; De unitale intellectus. Auprès de lui, Jean Peckham, le régent de l’école franciscaine, avec plusieurs questions disputées, sur l’éternité du monde par exemple ; Gérard d’Abbeville, dans son quodlibet XIV entre autres ; Albert le Grand aussi dans son De quindecim problematibus, en réponse à la consultation que lui avait demandée Gilles de Lessines. Par l’entremise de cette dernière, précisément, on sait que dans le cours de l’année 1270, circula au sein de la Faculté une liste de quinze propositions jugées répréhensibles et susceptibles de condamnation. Sans doute les maîtres, régents ou autres, ont-ils été sollicités comme Albert de donner leur appréciation sur elles. Gilles en parle d’ailleurs comme jam in mullis congregalionibus impugnatos.

C’est alors qu’intervient l’acte du 10 décembre 1270. Etienne Tempier dénonce, condamne, excommunie les