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TEMPERANCE

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bien des vertus. Aussi est-elle une vertu cardinale. Voir Cardinales (Vertus), t. ii, col. 1714.

La prudence est la première des vertus cardinales, parce qu’elle a pour objet le bien de toutes les vertus. La justice vient ensuite, parce qu’elle règle nos devoirs envers autrui, y compris le culte dû à Dieu. La force vient en troisième lieu, parce que, dans l’exercice de toutes les autres vertus, elle modère notre aversion pour les maux sensibles. La tempérance ne vient qu’en quatrième lieu, parce qu’elle ne vise que notre bien individuel par la modération des plaisirs sensibles qui s’opposeraient à ce bien. S. Thomas, Sum. theol., 11*-II ffi, q. cxli, a. 7 et 8.

Cet ordre n’enlève rien à la tempérance de ses effets salutaires sur l’âme et sur le corps. À la tempérance, en effet, on attribue la tranquillité de l’âme (quoique cette tranquillité soit l’apanage de toutes les vertus), parce que la tempérance réprime les passions les plus fougueuses et les plus propices aux dissensions. De plus, elle communique à l’âme une certaine beauté qui rejaillit sur le corps : en mettant une juste harmonie entre l’âme et le corps, cette vertu embellit l’homme tout entier. La laideur du corps provient souvent des penchants de sa nature animale qui flétrissent le corps autant que l’âme : en communiquant à l’âme une sorte de beauté angélique, la tempérance influe indirectement sur la beauté du corps. Ibid., a. 2, ad 2um ; ad 3um.

On exposera donc :
I. La vertu de tempérance considérée en soi.
II. Les vertus connexes à la tempérance et les péchés opposés à ces vertus.

1. La tempérance considérée en soi. —

La tempérance est une vertu spéciale.


1. Vertu. —

Il est de la nature de la vertu d’incliner la volonté vers le bien. Cf. Ia-IIæ, q. lv, a. 3. Le bien, au point de vue naturel, c’est ce qui est conforme à la droite raison. La tempérance, qui comporte une modération ftemperies) des plaisirs sensibles conformément aux exigences de la droite raison, est donc une réelle vertu. II a -II a>, q. cxli, a. 1.

2. Vertu spéciale. —

Sans doute, toute vertu, quelle qu’elle soit, concourt à tempérer la violence des passions et à mettre dans l’âme humaine cette modération qui s’attache toujours à son exercice. Toutefois, la tempérance est une vertu spéciale, car elle a un objet distinct et comporte une modération d’un genre particulier : il s’agit de réprimer les mouvements excessifs de l’appétit sensible, conformément à la raison, et de l’éloigner des plaisirs qui le sollicitent le plus violemment. Ibid., a. 2.

Objet matériel de la tempérance.


1. Objet principal. —

L’objet matériel de la tempérance est principalement constitué par les plaisirs qu’on rapporte au toucher parce que le toucher y a la part prépondérante, plaisirs de la nourriture et de la boisson, utiles à la conservation de l’individu, plaisirs charnels, utiles à la conservation et à la propagation del’espèce. De même que la force règle et modère le mouvement de répulsion que nous éprouvons à l’égard des maux sensibles dans l’accomplissement du devoir, ainsi la tempérance règle et modère le mouvement d’attraction vers les plaisirs des sens capables de nous détourner du devoir. Par quoi la tempérance nous éloigne des délectations les plus vives et les plus opposées à la raison : or, il n’en est pas auxquelles la nature nous sollicite plus vivement et qui causent à la raison plus de trouble que les plaisirs de la nutrition et de la génération. Ibid., a. 3, 4. On pourra s’étonner que saint Thomas, au sujet des plaisirs de la nourriture, parle principalement du sens du toucher et non du sens du goût. Il s’en explique lui-même à propos de l’objet secondaire de la tempérance.

2. Objet secondaire. —

L’objet secondaire de la tempérance est constitué, non par ce qui est essentiellement requis aux opérations de la nutrition et de la génération, mais à ce qui est utile à ces opérations. C’est ici qu’intervient le sens du goût dans les délectations attachées à la nourriture : au goût, en effet, les aliments apparaissent plus ou moins attrayants, selon leur odeur ou leur saveur. Pareillement, dans l’ordre des délectations sensibles attachées à la génération, l’union des sexes relève du sens du toucher ; mais la beauté de la femme, sa parure, ses attraits physiques relèvent d’autres sens et forment un objet secondaire de la tempérance. Ibid., a. 5. Par là, l’homme tempérant s’abstiendra non seulement des plaisirs immodérés qui peuvent troubler sa raison et le détourner du devoir, mais encore de tout ce qui ne sert qu’à flatter les sens et n’est que de pur agrément : il modérera la vue, l’ouïe, l’odorat et surtout le goût qui est, de tous les sens, celui qui se rapproche le plus de l’objet principal de la tempérance, le toucher.

Objet formel ou motif de la tempérance.


Le motif formel de la vertu de tempérance ne peut être que le bon ordre à établir dans l’usage des plaisirs sensibles, conformément aux exigences de l’honnêteté et du devoir, envisagés soit dans l’ordre naturel (vertu naturelle de tempérance) soit, en s’inspirant d’un motif de foi, dans l’ordre surnaturel (vertu surnaturelle de tempérance). Voir Vertus. Cette considération commande le principe même qui permet au théologien de préciser la règle, la juste mesure de la vertu de tempérance.

Règle et juste mesure de la vertu de tempérance.


Le principe fondamental de cette juste mesure peut être ainsi formulé : « La règle et la juste mesure qui permettent de modérer les plaisirs sensibles conformément à la raison, c’est essentiellement la nécessité qu’imposent les exigences de la vie présente. » Le bien de l’homme c’est, en effet, l’ordre imposé par la raison. Or, l’ordonnance de la raison implique avant tout la conservation de l’individu et de l’espèce. Il faut donc que la tempérance règle les plaisirs attachés à ces deux fonctions selon les exigences rationnelles du bien de l’individu ou de l’espèce. Ces exigences peuvent être absolues ou simplement relatives. Exigences absolues, sans lesquelles la conservation de l’individu ou de l’espèce ne sauraient être obtenues ; exigences relatives, celles qui tiennent compte des circonstances de. personne, de santé, d’âge, de fonction, de dignité, de richesse, d’honnêteté, d’usage reçu, de convenances sociales, etc. Ces « exigences », qui sont plutôt des convenances doivent parfois apporter des nuances non négligeables dans l’appréciation de la juste mesure de la vertu de tempérance. A. 6, et ad 2um, ad 3um.

De ce principe général, saint Thomas déduit les applications en considérant successivement la fin prochaine qui commande la règle et la juste mesure aux délectations sensibles, et la fin dernière, que, dans l’économie de la vie chrétienne, l’on ne saurait négliger.

1. Fin prochaine et règle propre de la tempérance. —

Cette règle commandée par la fin prochaine des délectations sensibles, ce sont, avons-nous dit, les nécessités de la vie présente. Et, parce que la fin des plaisirs de la chair n’est pas la même que celle des plaisirs de la table, la règle pour les uns et pour les autres est différente.

a) En ce qui concerne les plaisirs attachés à l’acte générateur, la règle est qu’il faut s’en abstenir absolument en dehors du mariage, parce que l’institution du mariage seule peut donner à la société le moyen de conserver et de propager l’espèce humaine conformément aux exigences de la nature raisonnable de l’homme. Voir ici Mariage, t. ix, col. 2046. L’usage des plaisirs du mariage exige donc qu’aucun obstacle ne soit apporté à la fin principale, la procréation des