Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.1.djvu/543

Cette page n’a pas encore été corrigée

1071 TIMOTHÉE ET TITE. ORGANISATION ECCLÉSIASTIQUE 1072

lettre l’adjuration de Paul, I Tim., vi, 13, ne dirait-on pas que Timothée est prédestiné, avec tout le peuple, à voir de ses yeux la manifestation du Christ à la fin du monde ? Paul supporte avec patience tous les maux à la pensée de ce dernier jour, II Tim., i, 12 ; il soupire après « ce jour », le grand jour ! où le juste juge viendra le récompenser et, avec lui, tous ceux qui auront aimé et attendu son avènement. II Tim., iv, 8. Car, ce n’est pas pour lui seul, ni pour Timothée, ni pour quelques amis privilégiés comme Onésime, II Tim., i, 18, qu’il souhaite cette faveur : tous les chrétiens sont exhortés à vivre dans la sagesse, la justice et la piété, « en attendant la bienheureuse espérance et la glorieuse manifestation de notre grand Dieu et Sauveur le Christ-Jésus ». Tit., ii, 12-14.

Si donc, comme on l’affirme, le désir et l’attente de la parousie caractérise l’âge apostolique, nos lettres appartiennent de plein droit à cette période. Mais, loin de faire oublier à l’auteur les soins de la vie présente, cette pensée le presse au contraire de veiller à la bonne administration et à l’organisation de l’Église : tel est l’objet des lettres à Timothée et à Tite. Attente de la parousie, souci d’une organisation définitive sont deux traits fortement marqués des Pastorales. Déclarer ces deux ordres d’idées incompatibles, attribuer les passages parousiaques et les textes hiérarchiques à deux auteurs différents, serait renouveler à propos des Pastorales la vaine polémique de l’école eschatologiste contre les évangiles. "Voir Buzy, L’imminence prétendue de la parousie, dans La Sainte Bible, t.xii, 1938, p. 178-185 ; Allô, L’Apocalypse, p. xcvii-cxxviii. Le Christ viendra aux temps qu’a fixés le Seigneur et que seul il connaît, xoctpoïç IStoiç, I Tim., vi, 15 ; et Paul près de mourir, II Tim., iv, 6, répète ce qu’il avait dit bien des fois : si désirable que soit pour tous l’avènement glorieux du Christ, ce qui importe c’est « le salut qu’il accordera dans son royaume céleste », owirei e’tç tt)v pocaiXstav tt)v èmaupâviov. II Tim., iv, 18 ; cf. II Thess., ii, 1-13 ; Rom., xi, 25 ; II Cor., iv, 14 ; v, 2-9 ; Phil., iii, 11.

En fait, l’organisation ecclésiastique avait commencé dès le début. Dès sa première mission, Paul avait eu soin d’établir dans chacune de ses églises des presbytres chargés de la célébration du culte et de la direction de la communauté. Act., xiv, 23. Ce fait est indiqué une fois pour toutes dans les Actes, comme une règle à laquelle Paul restera fidèle, sans qu’il soit besoin pour l’historien de revenir sur ce point. Nous apprenons, par les lettres de Paul, que les Thessaloniciens, convertis à sa seconde mission, ont leurs chefs religieux qui président, 7tpoiaTa[jiévouç, I Thess., v, 12, qui s’appliquent aux travaux de l’apostolat, xotuôjvteç, et qui instruisent les fidèles, vouŒToûvxaç. L’historien des Actes n’a parlé d’aucune ordination de presbytres à Éphèse durant les trois années du ministère de Paul ; mais, quand l’Apôtre va quitter définitivement l’Asie, on nous dit qu’il convoque à Milet « les presbytres de l’Église » d’Éphèse, Act., xx, 17, pour leur rappeler que l’Esprit les a établis « épiscopes » afin de veiller sur le troupeau, xx, 28. Écrivant aux Philippiens, vers l’an 62 ou 63 ; il salue les fidèles avec « les épiscopes et les diacres ». On voit donc que les Églises de Paul ne sont pas livrées à l’anarchie ou à la seule direction du Saint-Esprit et qu’elles ne vivent pas sous le régime égalitaire. Il y a, dès le premier jour, des chefs religieux auxquels les fidèles doivent respect et obéissance : il y a organisation et gouvernement.

Hiérarchie.

Malgré la thèse de tant de critiques,

la hiérarchie des Pastorales se distingue de celle des épîtres d’Ignace par des traits propres qui accusent manifestement une période de transition, plus voisine encore des origines que de l’organisation complète du

ne siècle. Avant les Pastorales nous n’avons aucun exemple certain en dehors de Jérusalem d’un dignitaire ecclésiastique, autre qu’un apôtre, préposé à une communauté déterminée. Épaphrodite, compagnon des labeurs et des combats de Paul, Phil., iii, 25, est le délégué des Philippiens auprès de lui, mais il n’est pas le chef de leur Église, non plus qu’Épaphras à Colosses. Col., i, 7 ; iv, 12 ; Phil., 23. Timothée et Tite sont les deux premiers personnages qui apparaissent revêtus d’une juridiction qu’ils exercent seuls sur les chrétiens d’une cité ou d’une contrée. Chargés d’assurer le recrutement du clergé, de choisir des diacres et des presbytres et de leur imposer les mains, I Tim., v, 22, ils possèdent la plénitude des pouvoirs, qui est aujourd’hui le propre des évêques. Ils exercent aussi le gouvernement spirituel avec une entière autorité : droit d’enseigner, de régler le culte, de porter des lois, de juger, de punir.

Grande cependant est la différence entre leur autorité et celle des évêques dont parle Ignace. Il n’y a dans chaque Église, au temps d’Ignace, qu’un seul évêque, jouissant de la plénitude du pouvoir spirituel : c’est l’épiscopat unitaire ou monarchique. En outre, sa fonction est stable, il est attaché à son Église : c’est l’épiscopat sédentaire et permanent. Telles ne sont point les fonctions de Timothée et de Tite. Collaborateurs de l’Apôtre, il les a amenés en mission avec lui, l’un à Éphèse, l’autre en Crète. Obligé, dans sa sollicitude universelle, d’aller visiter d’autres Églises, il les charge en son absence d’un ministère bien déterminé, qui coïncide avec celui de l’évêque dans son diocèse, mais qu’ils ne remplissent que d’occasion, par son ordre et comme en son nom : ils sont des compagnons d’apostolat, devenus ses remplaçants temporaires. Ils ne sont donc pas autonomes. Ils ne sont pas non plus attachés à leur siège. Tite est prévenu que son ministère sera de courte durée. Paul l’a laissé en Crète « pour achever de tout organiser », l’voc rà Xet7rovra l7T18top6cùcr)f), et pour établir des presbytres dans toutes les villes, selon les instructions précédentes de l’Apôtre. Tit., i, 5. Voilà un programme clairement tracé. Mais Paul enverra bientôt Artémas ou Tychique pour le remplacer et, dès leur arrivée, Tite devra se hâter de venir le rejoindre à Nicopolis avant l’hiver, iii, 1213. En effet, nous apprenons un peu plus tard que Tite n’est plus en Crète, mais en Dalmatie. II Tim., iv, 10. Timothée à son tour n’aura pas longtemps à exercer ses fonctions : Paul se propose de revenir bientôt à Éphèse, le relevant ainsi de son intérim ; et nous voyons que l’Apôtre, dans sa dernière lettre, le rappelle auprès de lui à Rome.

La mission subordonnée et temporaire de Timothée et de Tite n’a donc rien de commun avec l’épiscopat autonome et sédentaire. Au fond, l’apostolat des deux disciples à Éphèse et en Crète est un de ces épisodes de missions qui a dû se produire plus d’une fois au cours de la carrière de Paul ; plus d’une fois, il aura ainsi détaché tantôt l’un, tantôt l’autre de ses collaborateurs, pour achever le travail de. fondation des Églises ou pour une visite d’inspection de durée plus ou moins longue. Dans ces conditions, la composition des Pastorales par un contemporain d’Ignace, projetant de couvrir de la sanction apostolique le récent développement de la hiérarchie, serait un anachronisme. « Loin de contribuer à l’évolution de la hiérarchie, le faussaire l’aurait ramenée violemment d’un demi-siècle en arrière. Son œuvre ne marquerait pas un progrès, mais une régression. » Prat, Théologie de saint Paul, t. ii, p. 392.

Un autre signe d’antiquité est l’absence des diacres en Crète, autant qu’on peut le conclure du silence gardé à leur sujet. Tandis que Paul écrivant à Timothée parle des diacres et insiste sur le soin qu’il faut