Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.1.djvu/541

Cette page n’a pas encore été corrigée
1067
1068
TIMOTHÉE ET TITE. ERREURS VISÉES


en dénonçant les « fables et généalogies sans fin », Paul rend responsables de ces élucubrations des hommes qui se prétendent « docteurs de la Loi », I Tim., i, 7, et, dans la lettre à Tite, il parle expressément de « fables judaïques », i, 14, énumérant ensemble « folles recherches, généalogies, discussions et controverses légales ». iii, 9. Kittel a montré que ces discussions généalogiques ont pris une place importante non seulement aux iie et iiie siècles, mais dès le milieu du premier. Cf. Gerhard Kittel, Die YEveaXoytai der Pastor., dans Zeitschr. fur N. T. Wissensch., t. xx, 1921, p. 49-69.

2. Les « Antithèses ». — Si les Pastorales avaient tant de souci de combattre le gnosticisme, de flétrir les termes qui lui sont familiers ou de les revendiquer comme patrimoine chrétien, d’où vient qu’elles semblent ignorer presque complètement le vocabulaire gnostique ? Elles ont une fois seulement yvCiCHç, ,

I Tim., vi, 20, que I et II Cor. emploient seize fois ; deux fois [i.oerT7]piov, qui revient cependant à dix reprises dans Eph. et Col. ; èTctyvwoiç uniquement dans l’expression stéréotypée èv : i.fj(x>aiç, àXrjŒÎaç, qui semble signifier simplement « connaissance de la foi » (quatre fois) ; jamais croqua (17 fois dans I Cor. ; 9 fois dans Eph. et Col.). Quand Paul conseille à Timothée d’éviter « les mots profanes et vides et les antithèses de la pseudo-gnose », I Tim., vi, 20, le mot gnose, qui paraît pour la première fois à la fin de la lettre et ne revient plus dans les autres, garde sa signification générale de « science » : les novateurs en font parade, mais ils n’ont de la véritable science que le nom. Le terme àiT16éaeiç n’a certainement rien à voir ici avec les Antithèses de Marcion. Cet hérétique opposait le Nouveau Testament à l’Ancien, l’Évangile à la Loi, Paul aux prophètes, le Dieu bon révélé par Jésus au démiurge qui a créé le monde et l’homme et institué la Loi, le salut apporté par Jésus à la perte éternelle dont le démiurge ne peut délivrer ses créatures. Si l’auteur des Pastorales avait en vue, comme prétend Baur, ces « Antithèses » en contradiction si criante avec la foi chrétienne, s’il entendait formuler, comme le veut M. Couchoud, la sentence de condamnation contre, un pareil livre, on peut être sûr qu’il aurait parlé plus clairement et plus énergiquement. Il ne se serait pas contenté d’appeler « profanes et vides de sens » un écrit digne de figurer au premier rang de ces « doctrines diaboliques » que l’Esprit annonçait pour les derniers temps, I Tim., iv, 1 ; il n’aurait pas ajouté, par un ménagement surprenant, que « quelques-uns, en faisant profession de (cette fausse science) ont perdu la foi », comme si le système de Marcion n’était pas la négation effrontée et radicale de cette foi dont l’un des fondements consiste dans les saintes Écritures tant recommandées à Timothée.

II Tim., iii, 15-17. De toutes les identifications hasardeuses proposées par Baur, celle-ci est de celles qui font le moins d’honneur à sa sagacité. Les « antithèses » sont dans le cas présent les objections et oppositions que font à la vérité révélée les prétendus savants que les Pastorales appellent si souvent « les adversaires » ; cf. I Tim., i, 10 ; II Tim., ii, 25 ; iii, 8 ; Tit., i, 9.

Quelques commentateurs voient de préférence dans ce terme d’antithèses soit les « contradictions » dans lesquelles tombent souvent les diseurs de sagesse, soit les « controverses » chères aux Juifs dans lesquelles les écoles adverses soutenaient le pour et le contre sur quelque point de la Loi, dissertant à perte de vue, rivalisant de subtilité et invoquant tour à tour l’autorité des anciens rabbis. Mais le premier sens ne convient guère avec le verbe « éviter » et le second paraît trop spécialisé. Une fois de plus, Timothée est invité à fuir les discussions et les controverses, et à réfuter l’erreur par le simple exposé de la vérité tra ditionnelle. Paul Feine, Einleitung in das N. T., 3e édit., Leipzig, 1923, p. 177, reconnaît la « gnose » hérétique dans la « connaissance » que les penseurs de Tit., i, 16 prétendent avoir de Dieu, 6eôv ôu.oXoygûcuv etSévai, et qu’ils renient par leurs actes. Mais, remarque Michælis, op. cit., p. 115-124, l’expression 6eèv dSévai n’est pas gnostique, car le verbe technique yv&vixi est remplacé par l’incolore elSévai. L’idée ici exprimée répond plutôt à celle de II Tim., m, 5 : « Paire profession de connaître Dieu » est identique à « faire profession de piété », sans allusion à la gnose.

3. Le salut universel.

D’après certains critiques, l’universalité du salut, affirmée en divers passages, surtout I Tim., ii, 4-6, serait une allusion à l’hérésie gnostique. « Ce passage, dit Jûlicher, résonne comme une protestation contre le partage que les gnostiques font de l’humanité en deux ou trois classes, dont l’une, celle des hyliques, est absolument exclue du salut. » Einleitung, p. 167-168. N.-J. Holtzmann précise : ce passage combat le dualisme gnostique, surtout le système valentinien des pneumatiques et des hyliques. Lehrbuch der N. T. Théologie, t. ii, p. 303. Cette interprétation est un remarquable exemple de la nécessité où se trouvent les critiques de forcer le sens naturel des mots pour leur découvrir une portée inattendue. Il s’agit de la prière publique. Paul veut qu’on prie pour tous les hommes, nommément pour les souverains et pour tous ceux qui exercent l’autorité. Le basileus d’alors pour tout l’empire romain était Néron qui avait commencé, en 64, à persécuter les chrétiens. Paul prend occasion des basileis et des magistrats pour insister sur le plan divin du salut universel. On voit que son esprit est tourné, non pas du côté des hyliques, mais du côté des rois et des grands, qui peuvent tant pour le bien ou le mal de l’Église. S’il pensait aux damnés de Valentin, il ne se contenterait pas de dire, un peu plus loin, que Dieu « est le Sauveur de tous les hommes, principalement des fidèles », u-àXurra 7U<ttwv, I Tim., iv, 10 ; afin de ne pas émousser la « pointe » dirigée contre Valentin, il mettrait plutôt l’accent sur le salut de tous. D’ailleurs, saint Paul énonce si souvent et avec tant de force le principe du salut de tous les hommes sans exception par le moyen de l’Évangile, qu’il faudrait traiter d’antignostiques maints passages de ses lettres les plus authentiques, surtout celles aux Romains et aux Galates. Il est vrai que, dans ces lettres, il se fait le champion de la vocation des gentils contre i’égoïsme juif ; mais, la polémique passée, le principe demeure et il n’y a plus qu’à l’appliquer selon les circonstances. D’ailleurs, y a-t-il tant d’insistance ? Outre I Tim., ii, 4, Holtzmann cite encore Ù7rèp toxvtoùv, ibid., ii, 6 ; î^woyovoûvtoç Ta navra, vi, 13 ; acoT^p 7râvTov àv6pd>7tcov, quxàiotix juaxeôv, iv, 10 ; owrrjpioç irâaiv àv6pw7roiç, Tit., ii, 11, et c’est tout. Mais le premier texte fait suite à la recommandation de la prière pour tous ; le second ne se rapporte pas directement à la vie surnaturelle ; le troisième met l’accent sur le salut des fidèles ; le dernier ne laisse voir aucune trace de polémique, car l’auteur en déduit simplement le devoir pour les fidèles de répondre par une vie sainte aux grâces de salut.

4. Le médiateur unique.

L’affirmation qu’il n’y a qu’un Dieu et qu’un médiateur, I Tim., ii, 5, aurait pour but de combattre la théorie des éons intermédiaires. Holtzmann, Lehrbuch…, t. i, p. 559. Mais l’unité de Dieu s’oppose très naturellement au polythéisme païen, comme l’unité de médiateur en vue du salut à tous les « sauveurs », dieux ou rois, du monde gréco-romain, et ce n’est pas la première fois que Paul enseigne que Dieu veut le salut de tous parce que, seul, il est le Dieu et Père des hommes : Rom., iii,